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Les vers suivants offrent encore des constructions vicieuses :

<< Mais l'amour de l'Etat, plus fort que de moi-même,
Cherche, au lieu de l'objet le plus doux à mes yeux,
Le plus digne héros de régner en ces lieux. »

(D. Sanche, 11, 2.)

Plus fort que de moi-même ne peut pas se dire pour, plus fort que l'amour de moi-même, ou que celui de moi-même. Il est également irrégulier de dire, le plus digne héros de régner, pour, le héros le plus digne de régner.

Outre des fautes contre la propriété des termes et l'exactitude des constructions, les tragédies de notre poëte, admirateur passionné de Sénèque, de Lucain, même de Stace, offrent encore de nombreux exemples de mauvais goût. Le goût est même plus souvent en défaut chez Corneille que la grammaire proprement dite, surtout dans ses premières et ses dernières pièces. Malherbe se vantait d'avoir dégasconné la cour. Lorsque Corneille parut, elle n'était plus gasconne, elle était italienne. Les affectations et les recherches prétentieuses et mignardes d'outre-mont se sentent principalement dans quelques comédies1. Les concetti des Italiens, les agudeze des Espagnols déparent de nombreux passages des chefs-d'œuvre mêmes de Corneille.

'Voir, en particulier, la Suiv., v, 2 : « Rival, qui que tu sois, etc.; » la Galerie du Palais, iv, 3: « Je n'en ai que trop vu, » etc.; et v, 5 : « Vous me pouvez ôter tout sujet de me plaindre, etc.; jusqu'à ... vous approcher d'eux ; » et Clilandre, 1, 10:

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Faites pour m'étouffer de plus puissants efforts.

Le Menteur offre aussi plusieurs exemples de mauvais goût que Voltaire n'a pas relevés. Ainsi dans ces vers de la seconde scène du premier acte:

⚫ Jugez par là quel bien peut recevoir ma flamme,
D'une main qu'on me donne en me refusant l'âme.
Je la tiens, je la touche, et je la touche en vain,
Si je ne puis toucher le cœur avec la main.

Toucher est employé au sens propre en parlant de la main, et au sens figuré d'émouvoir en parlant du cœur.

Chez ce poëte dont le style est bien plus imagé1, bien plus haut en couleur que celui de Racine, la critique sévère est souvent obligée de relever le mauvais emploi des figures. Les théories de Voltaire qui iraient à détruire le langage de la poésie sont surtout excessives en ce qui concerne les métaphores, contre lesquelles il exerce une rigueur géométrique. Cependant plusieurs de celles qu'il a reprises chez Corneille sont réellement vicieuses. Des juges moins suspects en ont également critiqué quelques-unes, comme

1 Corneille a conservé jusqué dans l'Imitation ses habitudes de style image. Dès les premiers chapitres du livre premier, on rencontre cette poétiqne expression, porter les couleurs d'une chose pour signifier en avoir les apparences. Dans le même livre, laisser attiédir est dit d'une maniére également poétique, au figuré, pour laisser refroidir:

« Nous laissons attièdir son impuissante ardeur. • Plus loin on rencontre ces vers expressifs :

(1., 11.)

Et combien est puissante à dérouiller le vice

L'aigreur des tribulations. »

(111, 50.)

Dérouiller le vice, pour signifier enlever la rouille du vice, le déraciner de l'âme, pourrait paraître une création de Corneille; mais Ronsard avait dit auparavant, en parlant de l'amour :

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Celuy vous dérouilla la honte de jeunesse.»

(Les Vers d'Eurym. et de Callirée, Élég. du poëte à Eurym.)

On pourrait encore relever, dans l'Imitation, beaucoup d'expressions neuves et poétiques, comme un sommeil croupissant, dans ces vers:

Et qu'une lenteur morne, un sommeil croupissant

Tiennent enveloppé de tant de nonchalance,

Qu'à tous les bons effets je demeure impuissant. »

(IV, 3.)

La mutine insolence, dans cette belle traduction du latin, Qui sibi ipsi violentiam frequenter facit :

a Et lui-même à toute heure il se fait violence
Pour vaincre de ses sens la mutine insolence. »

Dans l'édition de 1652, Corneille avait mis:

Pour vaincre de la chair la brutale insolence. »

Dans l'édition de 1654, il corrigea :

Pour vaincre de la chair la coupable insolence. »

(1, 24.)

Ce n'est qu'à la troisième édition qu'on le voit arriver à cette épithète si neuve, si énergique et si poétique.

Voilà un bel exemple des heureuses corrections d'un poète qui, d'ordinaire, réussissait surtout au premier jet.

celles de ces vers fameux dont Boileau, Racine et Fénelon1 ont fait sentir le faux :

Impatients désirs d'une illustre vengeance,

Dont la mort de mon père a formé la naissance, etc. » (Cinna, 1, 1.)

Les figures de Corneille pèchent souvent pour n'être pas continuées, comme dans ces vers :

« Une heure de froideur à propos ménagée,
Pour rembraser une âme à demi dégagée,

Qu'un traitement trop doux dispense à des mépris

D'un bien dont cet orgueil fait mieux sentir le prix ; »

(Mėl., iv, 1.)

ou pour être incohérentes, comme dans ces autres vers écrits à une très-longue distance des premiers :

<< Mille autres te diront que pour ce bien suprême,
Vainqueur de toutes parts tu t'es vaincu toi-même;
Ils diront à l'envi les bonheurs que la paix

Va faire à gros ruisseaux pleuvoir sur tes sujets.

D

(Au Roi, sur la paix de 1678.)

La continuation affectée de la même image est encore un défaut où Corneille, obéissant au goût de son époque, tombe quelquefois dans ses tragédies, et qui choque justement, parce que les spectateurs n'aiment pas à être détournés de l'émotion du drame pour suivre une allégorie curieusement préparée et prolongée.

Bien des expressions singulières déparent aussi sa versification, si riche soit-elle d'ailleurs :

« C'est votre foudre, ô ciel! qu'à mon secours j'appelle;
Edipe est innocent, je me fais criminelle.

Par un juste supplice osez me désunir

De la nécessité d'aimer et de punir. »

(OEd., iv, 5.)

Désunir de la nécessité d'aimer et de punir nous paraît une singularité de style dans le goût de Lucain. Les vers suivants ne sont pas d'une facture plus heureuse :

a Savez-vous ce qu'il aime? Il est hors d'apparence
Qu'il fasse un tel refus sans quelque préférence,
Sans quelque objet charmant, dont l'adorable choix
Ferme tout son grand cœur au pur sang de ses rois. »

Voir Fénelon, Lett. à l'Acad., VI.

(Sur., III, 3.)

Il faut réfléchir quelque temps pour comprendre que

" ... Dont l'adorable choix

Ferme tout son grand cœur au pur sang de ses rois, »

veut dire le choix qu'il a fait de quelque objet adorable empêche son grand cœur d'être touché du mérite de la fille de ses rois; et, indépendamment de l'obscurité, l'expression est bizarre.

Des fautes de cette sorte pourraient être relevées en assez grand nombre '.

Avouons-le donc, en nous affranchissant de la partialité de l'enthousiasme, la simplicité n'est pas le trait caractéristique du style non plus que du génie de Corneille; on ne peut pas dire que le mot de simplicité embrasse toute la langue de Corneille. Par une conséquence nécessaire, on ne peut pas davantage soutenir que son goût ait été sûr. Trop souvent des recherches, des affectations, quelquefois des bizarreries, gâtent ses plus sublimes beautés. Aussi n'a-t-il pas droit à être, ne peut-il pas être classique comme l'est Racine.

La poésie de Corneille pèche encore assez souvent par la dureté. L'auteur de Phèdre et d'Athalie n'aurait jamais commis la cacophonie de ces vers :

« Ces charmes à Carthage autrefois adorés
Ont soudain réuni ses regards égarés. »

« Quelle gloire à Plautine, ô ciel! de pouvoir dire,
Que le choix de son cœur fut digne de l'empire;

Qu'un héros destiné pour maître à l'univers
Voulut borner ses vœux à vivre dans ses fers,
Et qu'à moins que d'un ordre absolu d'elle-même
Il auroit renoncé pour elle au diadème! »

(Sophon., 11, 1.)

(Oth., 1, 3.)

Les tragédies de Corneille présentent nombre de vers aussi durs; on y trouve bien rarement la douceur racinienne, ni cette souplesse, ces nuances, enfin toutes les parties délicates de l'art d'écrire où excelle l'auteur de Phèdre et d'Athalie. Aucun homme, d'aussi loin qu'il ait surpassé les autres, ne fut avantagé de tous les dons.

Voltaire a signalé dans Corneille quantité de vers qui pèchent réellement contre la justesse des figures. Voir, en particulier, ses remarques sur Pompée, 1, 1; sur Rodogune, 11, 6.

Il est hors de dispute que Corneille possède au suprême degré l'énergie du style, la fécondité des expressions. Personne mieux que lui ne sait presser en peu de mots un sentiment ou une pensée; toujours économe de mots et toujours prodigue d'idées. Comme on l'a excellemment dit : « Corneille parle mieux que tout autre la langue de l'élévation de l'âme, de la dignité du rang, des affections fortes et généreuses, même des grandes pensées de la politique et de l'ambition '. »

Malheureusement cet écrivain à la nerveuse éloquence rend quelquefois sa pensée un peu obscure à force de précision, et peut paraître forcer la langue, comme quand il dit :

Raffermis-toi, mon âme, et prends des sentiments

A te mettre au-dessus de tous événements. >>

(Sophon., v. 1.)

Nous n'osons cependant critiquer ouvertement des vers qui renferment une ellipse hardie: Des sentiments à te mettre audessus de tous événements, c'est-à-dire, des sentiments qui aillent à te mettre, qui soient capables de te mettre au-dessus de tous événements.

On sait que Boileau citait pour exemple de ce qu'il appelait du galimatias fin et double, ces quatre vers de la tragédie de Tite et Bérénice (1, 2):

« Faut-il mourir, madame, et si proche du terme
Votre illustre inconstance est-elle encor si ferme,
Que les restes d'un feu, que j'avois cru si fort,
Puissent dans quatre jours se promettre ma mort?

Non-seulement Despréaux, mais Molière et Baron n'entendaient rien à ces vers obscurs. Corneille lui-même consulté, dit-on, par le célèbre acteur qui devait jouer le rôle de Domitien dans sa pièce, répondit qu'il ne les entendait pas trop bien non plus 2.

En plus d'un endroit aussi, Corneille veut pousser trop loin ses effets de style et de pensée, et il oublie que, dans la littérature comme dans les choses de la vie, le tempérament fait la force. Ce manque de mesure lui a fait quelquefois forcer la langue par des constructions peu naturelles, et violenter son génie par des tournures trop latines, trop espagnoles ou trop cornéliennes. Le style de Corneille, si fort de pensées, offre cependant de

'Bonald, Recherches philosophiques, ch. ix.

Voir le Boloana.

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