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FABLE PREMIÈRE,

O U

PROLOGUE

Contre ceux qui ont le goût difficile.

(Avant La Fontaine ). LATINS.Phèdre, L. IV. (après la fab.6.)

QUAND

UAND j'aurois en naissant, reçu de Calliope,
Les dons qu'à ses amans cette Muse a promis,
Je les consacrerois aux mensonges d'Esope.

Le mensonge et les vers de tout temps sont amis (1).
Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse (2),
Que de savoir orner toutes ces fictions;
On peut donner du lustre à leurs inventions:
On le peut; je l'essaie; un plus savant le fasse.
Cependant jusqu'ici, d'un langage nouveau (3),
J'ai fait parler le Loup et répondre l'Agneau.
J'ai passé plus avant (4), les arbres et les plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes.
Qui ne prendroit ceci pour un enchantement (5)?
Vraiment, me diront nos critiques,

Vous parlez magnifiquement

De cinq ou six contes d'enfant.

Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques, Et d'un style plus haut? En voici. Les Troyens, Après dix ans de guerre autour de leurs murailles,

Avoient lassé les Grecs (6), qui, par mille

Par mille assauts, par cent batailles, N'avoient pu mettre à bout cette fière cité

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Quand un cheval de bois, par Minerve inventé,

D'un rare et nouvel artifice,

Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse,
Le vaillant Diomède, Ajax l'impétueux,
Que ce colosse monstrueux

Avec leurs escadrons devoit porter dans Troye,
Livrant à leur fureur ses Dieux mêmes en proie :
Stratagême inoui, qui des fabricateurs,

C'est

Paya la constance et la peine....

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assez me dira quelqu'un de nos auteurs:
La période est longue, il faut reprendre haleine.
Et puis, votre Cheval de bois (7),
Vos héros avec leurs phalanges,

Ce sont des contes plus étranges,

Qu'un Renard qui cajole un Corbeau sur sa voix (8).
De plus, il vous sied mal d'écrire en si haut style.
Et bien, baissons d'un ton. La jalouse Amarylle
Songeoit à son Alcippe, et croyoit de ses soins
N'avoir que ses moutons et son chien pour témoins.
Tircis qui l'apperçut, se glisse entre des saules;
Il entend la bergère adressant ces paroles

Au doux Zéphir, et le priant
De les porter à son amant....
Je vous arrête à cette rime,
Dira mon censeur à l'instant;
Je ne la tiens pas légitime,
Ni d'une assez grande vertu.

Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte (9).
Maudit censeur ! te tairas-tu (10)?
Ne saurois-je achever mon conte?
C'est un dessein trop dangereux
Que d'entreprendre de te plaire.

Les délicats sont malheureux :

Rien ne sauroit les satisfaire.

OBSERVATIONS DIVERSES:

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(1) Le mensonge et les vers etc. Plutarque, sur la manière de lire les poètes : « Socrate un jour, d'après un songe qu'il eut, entreprit de faire des vers; mais comme il avoit combattu toute sa vie pour la vérité, il réussissoit peu dans les fictions poétiques. Il se mit donc à traduire en vers les Fables d'Esope, ne croyant pas qu'il pût y avoir de poésie si la fiction ne s'y trouvoit mêlée. En effet, nous voyons bien des sacrifices sans danse et sans musique; mais nous ne connoissons point de poésie sans fictions. » - Voyez Traduct. de l'abbé Ricard, T. I. p. 84, et les excellentes notes dont ce traité est accompagné.

(2) Si chéri du Parnasse, que de savoir. On ne parleroit plus ainsi à présent; il faudroit dire : assez chéri pour. Le génie luimême est l'esclave de l'usage, quem penès est imperium et jus et norma loquendi, a dit Horace.

(3) Jusqu'ici, d'un langage nouveau,

| J'ai fait parler, n'est pas exact; on dit parler un langage ou dans une langue, et non parler d'un langage. C'est la traduction du vers de Phèdre : et in cothurnis prodit Æsopus novis.

(4) J'ai passé plus avant, les arbres et les plantes. Arbores loquuntur, non tantùm feræ, dit encore le fabuliste latin (Phèdre, Prolog. Liv. I. ).

(5) Qui ne prendroit ceci pour un enchantement? Oui, et pour le plus merveilleux de tous. Mais c'est sur-tout dans les mains de La Fontaine que la baguette magique de l'apologue se joue avec les miracles.

(6) Les Troyens, après dix ans de guerre, etc. Ce sont ces événemens, mêlés de fables et de vérités, qui ont inspiré les deux plus beaux poëmes dont le génie humain puisse s'énorgueillir. L'Iliade a commencé l'histoire du siége de Troye, l'Eneide l'acheve. (Voyez sur-tout le deuxième chant de ce dernier poëme ).

(7) Et puis votre Cheval. Ce cheval de bois n'est qu'une fiction poétique, à la bonne heure; mais le siége et la prise de Troye par l'élite de la Grèce, est un fait attesté par trop de monumens, pour être révoqué en doute. (Voyez Dictys de Crête, Denys d'Halycarnasse, Hist. de la Grèce, de M. Cousin-Despréaux, etc. ).

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(8) Qu'un Renard qui cajole un Corbeau sur sa voix (Fab. 2 du L. I.). L'abbé Batteux trouve de la force dans l'expression cajole. Elle est bien choisie, elle est piquante; mais ce n'est point par la force qu'elle doit plaire. Boileau a dit :

Dieu sait comme les vers chez vous s'en vont couler,

Dit d'abord un ami qui veut me cajoler. (Ep. VI. v. 90.)

(9) Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte. Imité d'Horace Et male tornatos incudi reddere versus. Boileau de même :

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage.

(10) Maudit censeur. Phèdre adoucit l'amertume du reproche en disant lector Cato, lecteur, censeur aussi sévère que Caton.

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(Avant La Fontaine ). LATINS. Abstemius, f. 195. Faern. 47.

UN Chat nommé Rodilardus (1), Faisoit de Rats telle déconfiture (2),

Que l'on n'en voyoit presque plus,
Tant il en avoit mis dedans la sépulture.
Le peu qu'il en restoit, n'osant quitter son trou,
Ne trouvoit à manger que le quart de son sou (3);
Et Rodilard passoit, chez la gent (4) misérable,

Non pour un Chat, mais pour un diable.
Or, un jour qu'au haut et au loin (5)

Le galant alla chercher femme,

Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame,

Le demeurant (6) des Rats tint chapitre en un coin, Sur la nécessité présente.

Dès l'abord, leur doyen (7), personne fort prudente, Opina qu'il falloit, et plutôt que plus tard (8), Attacher un grelot au cou de Rodilard;

Qu'ainsi, quand il iroit en guerre,

De sa marche avertis, ils s'enfuiroient sous terre:
Qu'il n'y savoit que ce moyen.

Chacun fut de l'avis de monsieur le doyen.
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.

L'un dit je n'y vas point, je ne suis pas si sot:1

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