LIVRE SECON D. FABLE PREMIÈRE, O U PROLOGUE Contre ceux qui ont le goût difficile. (Avant La Fontaine). LATINS. Phèdre, L. IV. (après la fab. 6.) QUAND j'aurois en naissant, reçu de Calliope, Les dons qu'à ses amans cette Muse a promis, Le mensonge et les vers de tout temps sont amis (1). Vous parlez magnifiquement De cinq ou six contes d'enfant. Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques, Et d'un style plus haut? En voici. Les Troyens, Après dix ans de guerre autour de leurs murailles, Avoient lassé les Grecs (6), qui, par mille moyens, Par mille assauts, par cent batailles, N'avoient pu mettre à bout cette fière cité ; Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse, Avec leurs escadrons devoit porter dans Troye, Paya la constance et la peine.... C'est assez, me dira quelqu'un de nos auteurs: Ce sont des contes plus étranges, Qu'un Renard qui cajole un Corbeau sur sa voix (8). Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte (9). Les délicats sont malheureux : Rien ne sauroit les satisfaire. OBSERVATIONS DIVERSES: (1) Le mensonge et les vers etc. Plutarque, sur la manière de lire les poètes : « Socrate un jour, d'après un songe qu'il eut, entreprit de faire des vers; mais comme il avoit combattu toute sa vie pour la vérité, il réussissoit peu dans les fictions poétiques. Il se mit donc à traduire en vers les Fables d'Esope, ne croyant pas qu'il pût y avoir de poésie si la fiction ne s'y trouvoit mêlée. En effet, nous voyons bien des sacrifices sans danse et sans musique; mais nous ne connoissons point de poésie sans fictions. » Voyez Traduct. de l'abbé Ricard, T. I. p. 84, et les excellentes notes dont ce traité est accompagné. (2) Si chéri du Parnasse, que de savoir. On ne parleroit plus ainsi à présent; il faudroit dire: assez chéri pour. Le génie luimême est l'esclave de l'usage, quem penès est imperium et jus et norma loquendi, a dit Horace. (3) Jusqu'ici, d'un langage nouveau, J'ai fait parler, n'est pas exact; on dit parler un langage on dans une langue, et non parler d'un langage. C'est la traduction du vers de Phèdre : et in cothurnis prodit Æsopus novis. (4) J'ai passé plus avant, les arbres et les plantes. Arbores loquuntur, non tantùm feræ, dit encore le fabuliste latin (Phèdre, Prolog. Liv. I. ). (5) Qui ne prendroit ceci pour un enchantement ? Oui, et pour le plus merveilleux de tous. Mais c'est sur-tout dans les mains de La Fontaine que la baguette magique de l'apologue se joue avec les miracles. (6) Les Troyens, après dix ans de guerre, etc. Ce sont ces événemens, mêlés de fables et de vérités, qui ont inspiré les deux plus beaux poëmes dont le génie humain puisse s'énorgueillir. L'Iliade a commencé l'histoire du siége de Troye, l'Eneide l'acheve. (Voyez sur-tout le deuxième chant de ce dernier poëme ). (7) Et puis votre Cheval. Ce cheval de bois n'est qu'une fiction poétique, à la bonne heure; mais le siége et la prise de Troye par l'élite de la Grèce, est un fait attesté par trop de monumens, pour être révoqué en doute. (Voyez Dictys de Crête, Denys d'Halycarnasse, Hist. de la Grèce, de M. Cousin-Despréaux, etc.). (S) Qu'un Renard qui cajole un Corbeau sur sa voix (Fab, 2 du L. I.). L'abbé Batteux trouve de la force dans l'expression cajole. Elle est bien choisie, elle est piquante; mais ce n'est point par la force qu'elle doit plaire. Boileau a dit : Dieu sait comme les vers chez vous s'en vont couler, Dit d'abord un ami qui veut me cajoler. (Ep. VI. v. 90.) (9) Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte: Imité d'Horace Et male tornatos incudi reddere versus. Boileau de même : : Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. (10) Maudit censeur. Phèdre adoucit l'amertume du reproche en disant lector Cato, lecteur, censeur aussi sévère que Caton. ( Avant La Fontaine ). LATINS. Abstemius, f. 195. Faern. 47. UN Chat nommé Rodilardus (1), Que l'on n'en voyoit presque plus, Tant il en avoit mis dedans la sépulture. Le galant alla chercher femme, Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame, Le demeurant (6) des Rats tint chapitre en un coin, Sur la nécessité présente. Dès l'abord, leur doyen (7), personne fort prudente, Opina qu'il falloit, et plutôt que plus tard (8), Attacher un grelot au cou de Rodilard; Qu'ainsi, quand il iroit en guerre, De sa marche avertis, ils s'enfuiroient sous terre: Chacun fut de l'avis de monsieur le doyen. L'un dit je n'y vas point, je ne suis pas si sot: : |