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dans ce Voyage qu'il fit en commun avec Bachaumont, et qui est de tout point un pétit chef-d'oeuvre. C'est encore un de ces morceaux qui prouvent que le dernier siecle eut, jusques dans les petites choses, une originalité et une richesse de talent qui lui sont propres. Car, quoique nous ayons plusieurs Voyages où des auteurs de beaucoup de mérite, Desmahys, Lefranc, M. de Parny, ont essayé de rivaliser avec celui de Chapelle, aucun n'a pu en approcher. Mais c'est là tout Chapelle: ses autres poésies, qu'on a jointes à celles du chevalier d'Aceilly, ne les valent même pas, quoique celles-ci soient extrêmement faibles. Chapelle devait pourtant se tirer assez bien de l'impromptu (qui d'ailleurs est assez ami du vin), si l'on en juge par les deux suivans, que je ne me souviens pas d'avoir vus imprimés nulle part, et qui sont en effet de ces bagatelles qui ne méritent que les honneurs de la tradition, après avoir eu ceux de la table. Le premier est adressé à Boileau, qui venait aussi de s'égayer jusqu'à faire, entre deux vins, un petit quatrain contre Chapelle.

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Qu'avec plaisir de ton haut style,

Je te vois descendre au quatrain!

Bon Dieu, que j'épargnai de bile,
Et d'injures au genre-humain,
Quand, renversant ta cruche à l'huile,
Je te mis le verre à la main!

L'autre est sur le fameux gourmand Broussin, celui à qui le Voyage fut adressé.

Broussin, dès l'âge le plus tendre,

Inventa la sauce-robert;

Mais jamais il ne put apprendre
Ni son Credo ni son Pater.

SECTION III.

Lettres, Traductions, Critiques.

Le genre épistolaire eut dans le dernier siecle une assez grande importance: il avait fait la réputation de Balzac et de Voiture, suivis par cette foule d'imitateurs qui marche toujours à la suite des succès. Si les modeles ne sont plus guere lus, les copistes sont entièrement oubliés. Les gens plus curieux que difficiles vont encore chercher des anecdotes

rana,

dans les lettres de Guy-Patin, dans celles de Mde. Dunoyer, dans celles de Maconnues sous le nom d'Espion turc, etc. Tous ces livres, décriés auprès des gens instruits, ne sont guere que \des recueils de satires grossieres, оц d'historiettes romanesques et de contes populaires, alimens passagers de la malignité d'une génération, rebutés par la suivante. Un seul recueil de lettres a mérité de passer jusqu'à nous, et de vivre dans la postérité, et c'est celui dont l'auteur ne songeait à faire ni un roman, ni une satire, ni un ouvrage quelconque. Tout le monde me prévient, nomme Mde. de Sévigné.

et

C'est avec justice qu'on lui a dit dans un poëme dont le sujet, ébauché dans un temps plus heureux, n'est guere de nature à être achevé dans le nôtre:

Charmante Sévigné, quels honneurs te sont dus!
Tu les as mérités, et non pas attendus.
Tu ne te flattais pas d'avoir pour confidente,
Cette postérité pour qui l'on se tourmente.
Dans le coeur de Grignan tu répandais le tien:
Tes lettres font ta gloire, et sont notre entretien.
Ce qu'on cherche sans fruit, tu le trouves sans peine.

Que tu m'as fait pleurer le trépas de Turenne!
Qui te surpassera dans l'art de raconter?

Ces portraits d'une cour qu'on se plaît à citer,
Se retracent chez toi bien mieux que dans l'histoire:
Ces héros, dont ailleurs je n'appris que la gloire,
Je les vois, les entends, et converse avec eux, etc.

Si le plus grand éloge d'un livre est d'être beaucoup relu, qui a été plus loué que ces lettres? elles sont de toutes les heures: à la ville, à la campagne, en voyage, on lit Mde. de Sévigné. N'est-ce pas un livre précieux que celui qui vous amuse, vous intéresse et vous instruit, presque sans vous demander d'attention ? C'est l'entretien d'une femme très-aimable, dans lequel on n'est point obligé de mettre du sien; ce qui est un grand attrait pour les esprits paresseux, et presque tous les hommes le sont, au moins la moitié de la journée.

Je sais bien que les détails historiques d'un siecle et d'une cour qui ont laissé une grande renommée, font une partie de l'intérêt qu'on prend à cette lecture. Mais la cour d'Anne d'Autriche et la Fronde sont aussi des objets piquans pour la curiosité, et Mde. de Motteville est un peu moins lue que Mde. de Sévigné. II

y a donc ici un avantage personnel; et qui pourrait l'ignorer ou le méconnaître? C'est le mélange heureux du naturel, de la sensibilité et du goût; c'est une maniere de narrer qui lui est propre. Rien n'est égal à la vivacité de ses tournures et au bonheur de ses expressions. Elle est toujours affectée de ce qu'elle dit et de ce qu'elle raconte: elle peint comme si elle voyait, et l'on croit voir ce qu'elle peint. Une imagination active et mobile, comme l'est ordinairement celle des femmes, l'attache successivement à tous les objets : dès qu'elle s'en occupe, ils prennent un grand pouvoir sur elle. Voyez dans ses lettres la mort de Turenne : personne ne l'a pleuré de si bonne foi; mais aussi personne ne l'a tant fait pleurer. C'est la plus attendrissante des oraisons funebres de ce grand homme; mais ce n'est pas seulement, il faut l'avouer, parce que tout est vrai et senti; c'est qu'on ne se méfie pas d'une lettre comme d'un panégyrique. C'est une terrible tâche que de dire, écoutez-moi, je vais louer: écoutezmoi et vous allez pleurer. Alors précisément on pleure et on admire le moins

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