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Et c'est ainsi, pour revenir au poinct, que l'imaige de la croix, oultre la naturelle qualité qu'elle a de representer Jesus-Christ crucifié, qui la rend honnorable d'un honneur de latrie imparfaicte, oultre cela, dy-je, elle peut estre destinée et mise en œuvre, par le choix et fiction des hommes, à tenir le lieu et la place du crucifix, ou plutost de la vraye croix, en tant que joincte au crucifix; el considérée en ceste sorte, l'honneur et reverence qu'on luy fait ne vise proprement qu'au crucifix, ou à la croix joinctè au Sauveur, et non à l'image de la croix, qui n'a autre usage en ce cas que de prester son exterieure presence, pour recevoir les actions exterieures deues au Crucifix, au lieu et place d'iceluy, qu'elle represente et signifie; et cela sert à l'exterieure protestation de l'adoration que nous faysons au Crucifix.

Ce fut à ceste consideration que le glorieux prince des Apostres sainct Pierre, estant cloüé sur la croix, disoit au peuple: Čestuycy est le bois de vie, auquel le Seigneur Jesus estant relevé, tira toutes choses à soy. Cestuy-cy est l'arbre de vie auquel fut crucifie le corps du Seigneur Sauveur. Ainsi qu'Abdias babylonien recite (si le tiltre du livre ne ment) au livre premier du Combat apostolique. Et l'autre apostre aisné de sainct Pierre : Je te salüe, & croir qui a esté desdiée au corps de Jesus-Christ et ornée par les perles de son corps. O bonne croix, qui a prins ta beauté et ton lustre des membres du Seigneur! Et ce qui suit, au recit des prestres d'Achaïe. Qui ne void que les croix ny de l'un ny de l'autre des freres n'estoient pas la vraye croix du Sauveur? Et neantmoins ils s'addressent à icelles ne plus ne moins, comme si c'eust esté la mesme croix du salut.

D'où vient cela, sinon qu'ils consideroient ces croix-là en guise et au lieu de la vraye croix? Et c'est ainsi que l'Eglise ordonne que le jour du vendredy-sainct, le peuple, prosterné à genoüilx, vienne bayser l'imaige de la croix; car ce n'est pas à l'imaige que l'on monstre que cest honneur se fait, sinon en tant qu'elle represente Jesus-Christ crucifié, tel qu'il estoit au jour de sa passion, duquel elle tient la place pour recevoir ceste action exterieure simplement, sans que l'intention s'arreste aucunement à la figure presente.

Et qu'il soit ainsi' on use de parolles qui le descouvrent assez; car celuy qui fait le sainct office chante: Ecce lignum crucis; Voicy le bois de la croix auquel le salut du monde a esté pendu. Et on luy respond: Venez et adorons. Or, on ne regarde point si l'imaige proposée est de bronze ou d'argent, ou d'autre matiere, qui monstre assez que lorsqu'on l'appelle bois, c'est en tant qu'on la presente au lieu et en guise de la vraye croix.

Et de faict, comme on attribue tous les honneurs des jours de la nativité, passion, et resurrection de Nostre Seigneur, aux jours qui les representent et tiennent leur place, selon l'institution des anniversaires et commemorations qu'on en fait, aussi fait-on pareils honneurs à l'imaige de la Croix, quant à l'exterieur, qu'au Crucifix: mais ce n'est que pour commemoration et en vertu de la supposition

Et ce qui le prouve, c'est qu'on use.

que l'on fait, que l'imaige represente le Crucifix, et soit en son lieu à la reception de ces ceremonies exterieures. Certes, il est mal-aysé de contourner à autre sens les exterieurs honneurs faits anciennement à l'arche de l'allyance. Et les Anglois honnorent à mesme consideration le siege vuide de leur reyne. Or, en quelque façon que ce soit, quand on honnore ou la croix en guise de Crucifix, ou autre chose, quelle qu'elle soit, au lieu de ce qu'elle represente, on les honnore aussi improprement qu'elles sont improprement ce qu'elles representent. L'adoration doncques faite à la croix en ceste sorte n'est proprement adoration qu'à l'esgard du Crucifix; et à l'endroict de la croix, ce n'est qu'une adoration impropre et representative.

On peut dire que la croix est encore adorée, selon quelque exterieure apparence, quand on prie Dieu devant la croix, sans autre intention que de monstrer qu'on prie, en vertu de la mort et passion du Sauveur: mais on peut beaucoup mieux dire, que cela n'est adorer la croix, ny peu, ny prou, puisque ny l'action exterieure, ny l'interieure n'est dressée à la croix, ne plus ne moins que lorsque nous adorons du costé d'orient, selon l'ancienne tradition, nous n'adorons en aucune façon l'orient; mais monstrons seulement que nous adorons Dieu tout-puissant, qui s'est levé à nous d'en-haut, pour esclairer tout homme venant en ce monde.

Au demeurant, les pieces du vray bois de la croix, telles que nous les avons aujourd'huy, estant mises en forme de croix, comme est la saincte croix d'Aix en Savoye, oultre les sortes d'honneur qu'elles meritent par maniere de relíques, peuvent avoir tous les usages de l'imaige de la croix. C'est pourquoy la bien-heureuse Paula, adorant la vraye croix, qui estoit en Hierusalem, de son tems, se prosternoit devant elle, comme si elle y eust veu le Sauveur pendant, au recit de sainct Hierosme, en son epitaphe. De mesme le signe de la croix fait par le mouvement a tous les usages des imaiges de la croix, et par consequent part à tous les honneurs, Et oultre cela, il a encore pour son particulier et ordinaire honneur d'estre une briefve et puissante orayson, à rayson de quoy il est tres-venerable.

CHAPITRE XIII.

L'honneur de la Croix n'est contraire au premier commandement du Decalogue, et briefve interpretation d'iceluy.

AIS une grande objection semble encore demeurer sur pied, car

M'il est escrit: Tu n'auras point autres dieux devant moy; tu ne te feras aucune idole taillée, ny similitude quelconque des choses qui sont au ciel en haut, ny en la terre à bas, ny des choses qui sont és eaux sous terre; tu ne les adoreras, ny serviras, car je suis le Seigneur ton Dieu, fort, jaloux (Exod. 20). Il est donc deffendu d'avoir les imaiges de la croix, et autres quelconques. Les schismatiques, et autres adversaires de l'Eglise, font profession de puiser en ce commandement toutes les injures execrables qu'ils vomissent contre les catholiques; comme quand ils les appel

lent idolastres, superstitieux, punais, forcenez, insensibles, ainsi que fait le petit traitteur en plusieurs endroicts. Il ne sera donc que bon de le bien considerer, touschant la prohibition qu'il contient de ne faire similitude quelconque, qui est ce qui tousche à nostre propos.

Or, j'en ay rencontré quatre signalées interpretations: 1o Les Juifs prennent tant à leur rigueur les mots de ceste deffense, qu'ils rejettent toutes imaiges de quelque sorte qu'elles soyent, et leur portent une grande hayne, comme le petit traitteur dit.

Ceste opinion est du tout barbare. Les imaiges des cherubins (Exod. 25), lyons, vaches, pommes, grenades, palmes, serpent d'airain (Num. 21), sont appreuvées en l'Escriture. Les enfans de Ruben, Gad et Manassé, firent la semblance de l'autel de Dieu (Jos. 22), et leur œuvre est appreuvée. Les Juifs monstrent à Jesus-Christ l'imaige de Cesar, et il ne la rejette point. L'Eglise a eu de tous tems l'imaige de la croix, ainsi que j'ay monstré au second livre. Par nature on fait la similitude de soy-mesme és yeux des regardans, en l'air, en l'eau, au verre; et la peincture est un don de Dieu et de nature. Ceste interpretation doncques combat l'Escriture, l'Eglise, la nature, et n'est aucunement sortable aux parolles precedentes, qui deffendent la pluralité des dieux, à quoy là deffense des imaiges ne sert à rien; ny aux parolles suivantes, qui deffendent l'adoration des idoles, car à quoy faire deffendre l'adoration s'il n'est loysible de les avoir, ny faire si on deffend d'avoir simplement aucune similitude, qu'est-il besoin d'en deffendre l'adoration?

2o Un tas de schismatiques et chicaneurs confessent qu'il n'est pas deffendu au commandement dont il est question d'avoir et faire des similitudes et imaiges, mais seulement de les mettre et faire és eglises et temples. Ceste opinion est plus notoirement contraire à l'Escriture que la precedente; car les Juifs et Mahumetans ont au moins pretexte és mots de commandement, qui portent tout net qu'on ne fasse aucune similitude. Mais ceux de ceste autre ligue ne sçauroient produire un mot de l'Escriture qui porte qu'il soit moins loysible d'avoir des imaiges és eglises qu'ailleurs. Les Juifs ont au moins quelque escorce de l'Escriture à leur advantage en ce poinct; mais ceux-cy, qui ne font que trier l'Escriture, n'en ont ny suc ny escorce et neantmoins qui ne les croira à leur parolle, ils le proclameront idolastre et ante-christ.

Mais où fut-ce, je vous prie, que les imaiges des cherubins, vaches, lyons, grenades et palmes, estoient anciennement sinon au temple, et quant aux cherubins, au lieu le plus sacré ? Voylà un grand exemple pour nous, qui nous le veut arracher des mains, il doit apporter une grande authorité pour garant: nostre exemple estant l'Escriture, il faut une aussi grande authorité pour nous en prohiber l'imitation, il ne suffira pas d'y apporter des discours.

Dieu propose l'ornement des imaiges en ce vieux temple, à la vue d'un peuple si enclin à l'idolastrie; qui gardera l'Eglise d'orner les siens des remembrances de la croix et des glorieux soldats qui, sous cest estendart, ont abattu toute l'idolastrie? Aussi certes l'a-t-elle fait de tout tems: jamais elle n'eut temple (qu'on sçache)

sans croix, comme j'ay preuvé cy-dessus. Que si les eglises sont maysons du Roy des roys, les ornemens y sont fort convenables. Le temple est imaige du paradis, pourquoy n'y logera-t-on les pourtraicts de ce qui est en paradis? Quelles plus sainctes tapisseries y peut-on attacher?

Et oultre tout cela, ceste interpretation tant prisée par les novateurs ne cadre nullement à l'imitation de la loy, qui veut rejetter toute idolastrie; car ne peut-on pas avoir des idoles et idolastrer hors les temples aussi bien que dedans? Certes, l'idole de Laban ne laissoit pas d'estre idole (Gen. 31), encore qu'il ne fust pas en l'eglise, ou au temple, ny le veau d'or aussi (Exod. 32). Ce commandement donc ne rejettoit pas assez toute idolastrie.

3o Autres ont dit que par ceste deffense les autres ressemblances ne sont rejettées, sinon celles qui sont faites pour representer immediatement et formellement Dieu, selon l'essence et nature divine. Et ceux-cy ont dit la verité, quant à ce poinct, que les imaiges de Dieu, à proprement parler, sont deffendues. Mais ils ont mal entendu lé commandement, estimant qu'autres similitudes n'y soyent deffendues, sinon celles de Dieu. Qu'ils ayent bien dit quant au premier poinct, il n'y a point de doubte; car ils parlent des imaiges exterieures, corporelles et artificielles. Or telles imaiges, à proprement parler, doivent representer aux sens exterieurs la forme et figure des choses dont elles sont imaiges, par la similitude qu'elles ont avec icelles. Mais le sens exterieur n'est pas capable d'apprehender par aucune cognoissance la nature de Dieu infinie et invisible. Et quelle forme et figure peut avoir similitude avec une nature qui n'a ny forme, ny figure, et qui est nonpareille?

Ce qui soyt dit, sans rejetter les imaiges, esquelles on represente Dieu le Pere en forme d'un vieillard, et le Sainct-Esprit en forme de colombe ou de langues de feu; car elles ne sont pas imaiges de Dieu le Pere ou le Sainct-Esprit, à proprement parler, mais sont imaiges des apparences et figures par lesquelles Dieu s'est manifesté selon l'Escriture, lesquelles apparences et figures ne representoient pas Dieu par maniere d'imaiges, ains par maniere de simples signes. Ainsi le buisson ardent, et semblables apparences, n'estoient pas imaiges de Dieu, ains signes d'iceluy; et tous les pourtraicts des choses spirituelles ne sont pas tant pourtraicts de ces choses-là, comme des formes et apparences par lesquelles ces choses-là ont esté manifestées.

On ne rejette pas non plus les imaiges ou figures mystiques, comme d'un agneau pour representer le Sauveur, ou de colombes pour signifier les apostres; car ce ne sont pas images des choses qu'elles signifient, non plus que les mots où les lettres des choses qu'elles denotent elles representent seulement au sens exterieur des choses, lesquelles par voie de discours, remettent en memoire les choses mystiquement signifiées par quelque secrette convenance. Bien que je serois d'advis, apres le docte Bellarmin, qu'on ne multipliast pas beaucoup de telles imaiges des choses invisibles, et qu'il ne fust loysible d'en faire sans le jugement de quelque discret theologien.

Mais au bout de là, je dy que le commandement de Dieu a beaucoup plus d'estendue que ne porte ceste consideration; car si ce commandement ne deffend que les imaiges de la Divinité, à quoy fayre sera-t-il particularisé de ne fayre similitude quelconque des choses qui sont au ciel, en terre et és eaux? Item, qui adoreroit l'idole d'une chose créée, ne seroit-il pas idolastre contre ce commandement? Donc ceste interpretation n'est pas legitime, ny sortable à la loy.

40 Voicy donc enfin la droicte et chrestienne intelligence de ce commandement desduicte par ordre le plus briefvement et clairement que je sçauray.

1° L'idolastrie gist en deux sortes d'actions : les unes sont interieures, par lesquelles on croit et recognoist pour dieu ce qui n'est pas dieu; les autres sont exterieures, par lesquelles on proteste de l'interieur par les inclinations et sousmissions exterieures. Les premieres actions peuvent estre sans les secondes, et semblablement les secondes sans les premieres: car celuy qui est affectionné aux idoles, quoy qu'il n'en fasse aucune demonstration, est idolastre; et celuy qui, volontairement, adore ou honnore les idoles exterieurement, quoyqu'il ne leur aýt aucune affection, est idolastre exterieurement, et tant l'un que l'autre offense l'honneur deu à Dieu. Or les actions interieures d'idolastrie sont deffendues par ces parolles Tu n'auras point d'autres dieux devant moy. Les exterieures sont rejettées par les suivantes : Tu ne te feras point d'idole, ny similitude quelconque, tu ne les adoreras point, ny serviras. Lesquelles deux prohibitions ne visant qu'à un mesme but, de rejetter toute idolastrie, ne font qu'un seul commandement constitué de deux parties.

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Que s'il est ainsi, comme je n'en doubte point, ceste prohibition de ne faire aucune similitude se doit entendre, non absolument et simplement, mais selon la fin et intention du commandement, comme s'il estoit dit : Tu n'auras point d'autres dieux que moy, tu ne te feras aucune idole, ny aucune similitude; à sçavoir, pour l'avoir en qualité de dieu, ny ne les adoreras point, ny serviras en ceste qualité-là. De maniere que tout ce qui est porté en ce commandement soit entierement rapporté à ce seul poinct, de n'avoir autre Dieu que le vray Dieu, de ne donner à chose quelconque l'honneur deu à sa divine Majesté, et en somme de n'estre point idolastre.

Mais si quelqu'un veut debattre que la prohibition de n'avoir autre que le seul vrai Dieu, soit un commandement separé de l'autre deffense: Tu ne te feras aucune idole, ou semblance quelconque, pour ne m'amuser à le convaincre par vives raysons que je pourrois produire à ce propos, je me contenteray qu'il m'accorde que la prohibition de ne faire aucune similitude, et de les adorer, n'est qu'un mesme et seul commandement. Ce que certes on ne peut nyer en aucune façon, sinon que, contre la pure et expresse Escriture (Exod. 34), on veuille faire plus de dix commandemens en la loy, et qu'on veüille oster à ces loyx le nom de Decalogue. Car, si ce n'est qu'un seul commandement qui deffende de ne faire semblance quelconque, et de ne les adorer, il faut que

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