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monte à Dieu, comme l'encens (Matth. 2; Levit. 16; Exod. 30). En quoy un grand personnage de nostre aage a parlé un peu bien rudement, disant que l'encens est offert aux creatures. Ce sont inadvertances qui arrivent quelquesfois aux plus grands, Ut sciant gentes quoniam homines sunt (Psal. 9).

20 En ce qu'anciennemeut l'encensement estoit tellement conditionné, qu'il falloit qu'il fust offert par les prestres et levites, et qu'il fust bruslé sur le feu de l'autel, au seul temple de Hierusalem, où estoit l'autel du parfum destiné à cest usage (Deut. 36; 11. Paral. 6; Psal. 77); ailleurs il n'estoit pas loysible, comme vous confessez vous-mesme. Nadab et Abiu se treuverent mal d'avoir fait autrement (Levit. 10). Quelle merveille donc y peut-il avoir, si Ezechias, voyant ce peuple s'abestir autour de ceste imaige, et l'honnorer d'un honneur divin, la dissipa et mit à neant? Il falloit ainsi traitter avec un peuple si prompt à l'idolastrie.

Donc nous concluons au rebours de ce que vous avez fait, petit traitteur! Si les sainctes imaiges en general, et specialement celle de la croix, sont dressées par l'ordonnance de l'Eglise, et par consequent de Dieu, quoy que vituperées par l'oultre-cuidance et deffiance des hommes, qui ont estimé que Dieu ne les pouvoit ny voir, ny ouyr, sinon qu'ils eussent renversé telles imaiges, voire des imaiges receuës depuis un tems immemorable, combien doiventelles estre retenues et conservées? Ezechias fit bien d'abattre le serpent d'airain, parce que le peuple idolastroit en iceluy; Moyse, Josué, Gedeon, Samüel et David firent bien de le retenir, pendant que le peuple n'en abusoit pas. Or, l'Eglise, ny les catholiques, par son consentement, n'abusa jamais de la croix, ny autres imaiges;

il les faut donc retenir.

Ceux qui nous reprochent les idolastries ne sont pas des Ezechias, ce sont les racleures du peuple et des monasteres, gens passionnez, qui osent accuser d'adultere la Suzanne, que le vray Daniel a mille fois prononcée innocente en la saincte Escriture. Ny ne faut mettre en compte l'abus qui peut arriver chez quelque particulier; cela ne tousche point à la cause publique : il n'est raysonnable d'y avoir esgard au prejudice du reste. Le moyen de redresser l'usage de la croix ne gist pas à la renverser, mais à bien dresser et insruire les peuples.

CHAPITRE XIV.

De la punition de ceux qui ont injurié l'imaige de la Croix et combien elle est haye par les ennemys de Jesus-Christ.

DIEU

IEU a tesmoigné combien il a aggreable l'imaige du Crucifix et de la croix, par mille chastimens qu'il a miraculeusemeut exercés sur ceux qui, par faits ou parolles, ont osé injurier telle representation. Je laisse à part mille choses à ce propos, et entr'autres l'histoire du cas advenu en Berythe, recité par sainct Athanase, duquel j'ay fait mention cy-dessus.

Un Juif vit une imaige de Nostre Seigneur (sans doubte que ce fut un Crucifix) en une eglise : poussé de la rage qu'il avoit contre le

patron, il vient de nuict et frappe l'imaige d'une javeline, puis la prend sous son manteau pour la brusler en sa mayson: chose admirable! qu'aucun ne peut doubter estre advenue par la vertu divine, le sang sortit abondamment du coup qui avoit esté donné à l'imaige. Ce meschant ne s'en appercevant point, jusques à ce qu'entrant dans sa mayson, esclairé à la lumière du feu, il se void fort ensanglanté tout esperdu, il serre en un coing ceste imaige, et n'ose plus touscher ce qu'il avoit si meschamment desrobé. Cependant les chrestiens, qui ne treuvent point l'imaige en sa place, vont, suivant la trace du sang respandu, de l'eglise, jusques dans la mayson où elle estoit cachée: elle fut rapportée en son lieu, et le larron lapidé. Il y a pres de mille ans que sainct Gregoire de Tours escrivit ceste histoire.

Consalve Fernand escrit en une sienne lettre, que les chrestiens avoient dressé une croix sur un mont du Japon: trois des principaux Japonnois la vont couper; ils n'ont pas plustost achevé, que commençant à s'entrebattre, deux demeurent morts sur la place, et ne sceut-on jamais que devint le troisiesme.

Quelques troupes françoises vindrent ces années passées sur les frontieres de nostre Savoye, en un village nommé Loëtte, et y avoit en ces compaignies quelques huguenots meslez, selon le malheur de nostre aage, quelques-uns d'entr'eux entrent dans l'eglise un vendredy, pour y bauffrer certaines fricassées; quelques autres de leurs compaignons, mais catholiques, leur remonstroient qu'ils les scandalizoient, et que leur capitaine ne l'entendoit pas ainsi : ces gourmands commencerent à gausser et railler à la reformée, disant qu'aucun ne les voyoit, puis se retournant vers l'imaige du Crucifix : Peut-estre, disoient-ils, marmouset, que tu nous accuseras, garde d'en dire mot, marmouset, et jettoient des pierres contre icelle, avec un nombre de telles parolles injurieuses, quand Dieu, pour faire cognoistre à ces belistres qu'il faut porter honneur à l'imaige, pour l'honneur de celuy qu'elle represente, prenant l'injure à soy, la vengeance s'en ensuivit quant et quant. Ils sont tout à coup esprins de rage, et se rüent les uns sur les autres pour se deschirer, dont l'un meurt sur la place, les autres sont menez sur le Rhosne, vers Lyon, pour chercher remede à ceste fureur qui les brusloit et defaysoit en eux-mesmes. J'ay tant ouy de tesmoins asseurez de cecy, que me venant à propos, je l'ay deu consigner en cest endroict.

Honnorer la croix c'est honnorer le Crucifix; la deshonnorer, c'est le deshonnorer. Ainsi les Juifs, Turcs, Apostats, et semblables canailles, ne pouvant offenser Nostre Seigneur en sa personne (car, comme dit nostre proverbe, la lune est bien gardée des loups), ils se sont ordinairement addressez à ses imaiges. Les empereurs Honorius et Theodose tesmoignent que les Juifs de leur tems, en leurs festes plus solemnelles, avoient accoustumé de brusler des imaiges de la crucifixion de Nostre Seigneur, en mespris de nostre religion; dont ils commandent aux presidens des provinces de tenir main á ce que telles insolences ne fussent plus commises, et qu'il ne fust permis aux Juifs d'avoir le signe de nostre foy en leur synagogue.

Le vilain persan Xenaïas, avec tous les Mahumetans, ont par tout renversé les croix : Julien l'Apostat leva du labare, ou estendart des Romains, la croix que Constantin y avoit fait former afin d'attirer les gens au paganisme. Ceste mesme hayne qu'il portoit à Nostre Sauveur le poussa à cest autre dessein. Eusebe escrit que la femme qui fut guerie au touscher de la robbe de Nostre Seigneur fit peu apres dresser, en memoire de ce benefice, une tres-belle statue de bronze, devant la porte de sa mayson, en la ville de Cesarée de Philippe, autrement dite Paneade, où Nostre Seigneur estoit representé d'un costé avec sa robbe frangée, et de l'autre ceste femme à genoüilx, tendant la main vers iceluy. Julien sçachant cecy, comme raconte Sozomene, fit renverser ceste statue, et mettre la sienne au lieu d'icelle: mais cela fait, un feu descend du ciel, qui terrasse et met en pieces la statue de Julien, laquelle demeura toute noircie, et comme bruslée, jusques au tems de Sozomene. En ce tems-là les payens briserent ceste imaige du Sauveur, et les chrestiens en ayant ramassé les pieces, les mirent en l'eglise.

Or je finiray ce second livre, disant qu'il y a deux raysons principales pour lesquelles on honnore plutost les croix que les lances cresches et sepulchres, quoyque comme la croix a esté ennoblie pour avoir esté employée au service de nostre redemption, aussi ont bien la lance, la cresche et le sepulchre.

L'une est, que dés lors que Constantin eut aboly le supplice de la croix, la croix n'eut d'autre usage parmy les chrestiens, sinon de representer la saincte Passion: là où les cresches, sepulchres, et autres choses semblables, ont plusieurs autres usages ordinaires et naturels.

L'autre est celle que dit sainct Athanase, d'autant que si quelques payens, ou huguenots, nous reprochoient l'idolastrie, comme si nous adorions le bois, nous separerions aysement les pieces de la croix, et ne les honnorant plus on cognoistroit que ce n'est pas pour la matiere que nous honnorons la croix, mais pour la representation et remembrance: ce qu'on ne peut faire de la cresche, lance et sepulchre et autres telles choses, lesquelles neantmoins estant employées expressement à la representation des saincts mysteres, ne doivent pas estre privées d'honneur.

Donc les imaiges ayant perdu leur forme, et par consequent la representation, elles ne sont plus venerables: mais cela s'entend quand elles n'ont point d'autre qualité honnorable, sinon la representation, et le rapport à leur modelle, comme il arrive ordinairement. Mais ceste imaige de Cesarée, ou la representation estoit une relique precieuse de ceste devote femme, un memorial d'antiquité venerable, et instrument d'un grand míracle, lesquelles qualitez ne se treuvent pas seulement à l'assemblage, symetrie, et proportion des lineamens et releveures d'une statuë, mais encore à chaque piece d'icelle ainsi les pieces des statues anciennes sont gardées pour memoire d'antiquité; et de mesme, le moindre brin de la robbe, ou, autres meubles des saincts et des instrumens de Dieu.

Or, un grand miracle avoit esté fait à ceste statuë; elle estoit colloquée sur une haute colomne de pierre, sur laquelle croissoit une

herbe incogneuë, laquelle venant à joindre aux franges de la robbe de l'imaige, guerissoit de toutes maladies en quoy la robbe de Nostre Seigneur est d'autant plus comparable à sa croix; car si la robbe fit miracles estant touschée, aussi fit bien sa croix. Si nonseulement sa robbe, mais encore l'imaige de sa robbe a fait miracles, je viens aussi de preuver que les imaiges de la croix ont eu ceste grace excellente d'estre bien souvent instrumens miraculeux de sa divine Majesté.

LIVRE TROISIESME.

DE L'HONNEUR ET VERTU DU SIGNE DE LA CROIX.

L

CHAPITRE PREMIER.

Definition du signe de la croix.

E signe de la croix est une ceremonie chrestienne, representant la Passion de Nostre Seigneur, par l'expression de la figure de la croix, faite avec le simple mouvement. J'ay dit que c'est une ceremonie, et voicy de quoy: un habile homme rend utiles et met en œuvre tous ses gens, non-seulement ceux qui sont de nature active et vigoureuse, mais encore les plus mols. Ainsi la vertu de religion, qui a pour sa propre et naturelle occupation de rendre à Dieu, autant que faire se peut, l'honneur qui luy est deu, tire au service de son dessein les actions vertueuses, les dressant toutes à l'honneur de Dieu : elle se sert de la foy, constance, temperance, par le bien croire, le martyre, le jeusne. C'estoient desjà des actions vertueuses et bonnes d'elles-mesmes, la religion ne fait que les contourner à sa particuliere intention, qui est d'en honnorer Dieu.

Mais non-seulement elle employe ces actions, qui d'elles-mesmes sont bonnes et utiles, mais met en œuvre des actions indifferentes, et lesquelles d'ailleurs seroient du tout inutiles, comme ce bon homme de l'Evangile (Matth. 20), qui envoya en sá vigne ceux qu'il treuva oyseux, et desquels aucun ne s'estoit voulu servir jusques à l'heure. Les actions indifferentes demeureroient inutiles, si là religion ne les employoit; estant employées par icelle, elles deviennent nobles, utiles et sainctes, et partant capables de rescompense, du denier journalier.

Ce droict d'ennoblir les actions, lesquelles d'elles-mesmes seroient roturieres et indifferentes, appartient à la religion, comme à la princesse des vertus. C'est une marque de sa souveraineté; et elle a cecy tellement à cœur, que jamais il n'y eut religion qui ne se servist de telles actions, lesquelles sont, et s'appellent proprement ceremonies, dés lors qu'elles entrent au service de la religion. Et pour vray, puisque l'homme tout entier, avec toutes ses actions et despendances, doit honneur à Dieu, et qu'il est composé d'ame et de corps, d'interieur et d'exterieur, et qu'en l'exterieur il y a des

actions indifferentes, ce n'est pas merveille si la religion, qui a le soing d'exiger de luy ce tribut, demande et reçoit en payement des actions exterieures, indifferentes et corporelles.

Considerons le monde en sa nayssance: Abel et Caïn font des offrandes (Gen. 4); quelle autre vertu les a sollicitez à ce faire, sinon la religion? Peu apres Noë sort de l'arche (Gen. 8), comme de son berceau, et tout incontinent un autel est dressé, et plusieurs bestes consommées sur iceluy en holocauste, dont Dieu reçoit la fumée pour odeur de suavité. S'ensuit le sacrifice d'Abraham (Gen. 12), de Melchisedech (Gen. 14), d'Isaac (Gen. 22), de Jacob (Gen. 28), et le changement d'habict (Gen. 35) avec le lavement d'iceluy. La loy de Moyse avoit une grande partie de son exercice

en ceremonies.

Venons à l'Evangile combien y void-on de ceremonies en nos sacremens, en la guerison des aveugles (Joan. 3), ressuscitation des morts (Joan. 9), au lavement des pieds des apostres (Joan. 11)? L'huguenot dira qu'en cela Dieu a fait ce qui luy a pleu, qui ne doit estre tiré en consequence par nous autres. Mais voicy sainct Jean qui baptize (Matth. 3; Marc. 1); sainct Paul qui se tond en Cenchrée selon son vou; il prie les genoüilx en terre, avec l'Eglise miletaine (Act. 18). Toutes ces actions estoient d'elles-mesmes steriles et infructueuses; mais estant employées au dessein de la religion, elles ont esté ceremonies honnorables, et de grand poids.

Or je dy ainsi que le signe de la croix de soy-mesme n'a aucune force, ny vertu, ny qualité, qui merite aucun honneur, et partant je confesse que Dieu n'opere point par les seules figures ou characteres, comme dit le traitteur, et qu'és choses naturelles la vertu procede de l'essence et qualité d'icelle; és surnaturelles, Dieu y opere par vertu miraculeuse, non attachée à signe, ny figure. Mais je sçay aussi que Dieu, employant sa vertu miraculeuse, se sert bien souvent des signes, ceremonies, figures et characteres, sans pourtant attacher son pouvoir à ces choses-là.

Moyse touschant la pierre avec sa verge, Helysée frappant sur l'eau avec le manteau d'Hely (Iv. Reg. 2), les malades s'appliquant à l'ombre de sainct Pierre (Act. 5), le mouchoir de sainct Paul (Act. 19), ou la robbe de Nostre Seigneur (Matth. 9), les Apostres oignant d'huyle plusieurs malades (Marc. 6) (choses qui n'estoient aucunement commandées), que faysoient-ils autre chose que de pures ceremonies, lesquelles n'avoient aucune naturelle vigueur, et neantmoins estoient employées pour des effects admirables? Faudroit-il dire à cause de cela, que la vertu de Dieu fust cloüée et attachée à ces ceremonies? Au contraire, la vertu de Dieu, qui employe tant de sortes de signes et ceremonies, monstre par-là qu'elle n'est attachée à aucun signe ny ceremonie.

J'ay donc dit 10 que le signe de la croix est une ceremonie; d'autant que de sa qualité naturelle un mouvement croisé n'est ný bon, ny mauvais, ny loüable, ny vituperable. Combien est-ce qu'en font les tisserans, peintres, tailleurs et autres que personne n'honnore ni ne prise, parce que ces croix (autant en dy-je des characteres et figures croisées que nous voyons és images prophanes, fenestres, bastimens), ces croix, dy-je, ne sont pas destinées à

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