Oldalképek
PDF
ePub

min, dont l'aspect vous dégoûte, et que, cependant, par une étrange pitié, votre pied ne veut pas écraser1.

« Cette goutte de soleil » qui était la poésie de Heine, de combien de petites passions elle fut obscurcie, ternie, souillée! La Correspondance est l'histoire d'une douloureuse maladie dont Heine souffrit toujours, maladie qui lui est commune avec plusieurs poëtes de notre temps: un amourpropre irritable, emporté, parfois même furieux et délirant, une sorte d'épilepsie morale qui a ses crises, ses accès, et dont l'étude est navrante. Cette maladie fut la vraie cause de tous les malheurs dont Henri Heine accusa sans cesse soit la fatalité de sa race soit une conspiration imaginaire. C'est elle qui l'engagea dans de violentes querelles, toujours renaissantes, où il compromit son talent et discrédita même sa gloire.

[ocr errors]

Il n'était vraiment pas armé pour ces épreuves de la vie littéraire qui exigent tant de sang-froid, de possession de soi-même ou de dédain. On le voit, dans la Correspondance, épier tous les bruits qui se font autour de son nom, aux aguets de tous les échos qui lui renvoient la louange ou l'injure. Il sollicite de chacun de ses amis soit des témoignages publics, soit des protestations contre les té

1. De l'Angleterre. Les Héroïnes de Shakespeare, p. 26.

moignages hostiles. La vraie dignité consiste, dans cette rude carrière d'écrivain, à mépriser beaucoup de choses, à en ignorer autant. Quelle tâche ingrate, si l'on voulait relever toutes les inepties haineuses qu'inspire le dépit de la médiocrité! C'est donner trop d'avantages et trop de prise aux envieux que de se montrer sensible à l'excès aux inévitables attaques des passions mauvaises ou même des convictions blessées. Pour lui, il offrait de toutes parts une surface vulnérable aux traits de ses ennemis, dont chaque jour voyait croître le nombre. Il les attirait par son ardeur indiscrète de combattre, par ce goût funeste de la lutte où il excelle, par ce génie de l'invective qui l'emporte du premier bond aux extrémités des polémiques irréconciliables. Mais aussi comme il faisait la partie belle à ses ennemis! On peut dire qu'il se découvrait tout entier aux coups qui le cherchaient de toutes parts. Pour le frapper mortellement on n'avait que l'embarras du choix. Son inquiétude maladive, son irritabilité nerveuse, le livraient aux représailles implacables des haines ameutées contre lui. Tristes luttes qui divisaient ses amis mêmes, aliénaient ou refroidissaient des sympathies dévouées, affligeaient les autres. De chacun de ces combats il sortait meurtri, affaibli, n'ayant d'ordinaire réussi qu'à mettre l'opinion du côté de ses adversaires, jusqu'au jour où il fut con

traint de leur abandonner le champ de bataille, l'Allemagne.

Nous ne raconterons pas ces querelles successives, avec le comte Platen, avec Menzel, avec Bæerne, et les amis de Boerne, avec M. Strauss qu'il avait diffamé. Cette dernière affaire eut pour con+ séquence, non-seulement le duel qui faillit lui coûter la vie, mais une tempête de fureurs ger÷ maniques, telle qu'il n'en avait pas encore soulevé, et dans laquelle son nom, sa célébrité, son honneur même furent sur le point de faire naufrage. Quelques-unes de ces querelles éclatèrent pour d'assez frivoles motifs et prirent des dévelop, pements hors de toute proportion avec l'occasion qui les fit naître. Lorsque, las de combattre, Heine voit poindre dans son cœur des dispositions nouvelles à la mollesse et au pardon, il s'excite luimême et pour cela, afin de bien régler ses comptes et de n'oublier personne, il dresse une liste de tous ceux qui ont voulu le blesser1. Bien plus, il tient cette liste ouverte au compte de ses amis; il s'engage à tirer sur tous les ennemis qu'on lui indiquera. Cela devient du condottiérisme littéraire. • Voulez-vous, écrit-il à M. de Varnhagen, m'envoyer votre liste de proscription? Je suis tout à vos ordres 2. » M. de Varnhagen le remercia en

1. Correspondance, 2a série, p. 36.

2. Ibid., p. 328.

riant, ajoutant que pour le moment il n'avait personne à lui désigner, mais qu'il se souviendrait de son obligeance.

Nous n'avons pas besoin de rappeler en détail ce que ces polémiques coûtèrent de temps et de forces au poëte, ce qu'elles firent perdre de dignité à son caractère et d'élévation à son talent. Que de belles inspirations anéanties dans ces vaines colères qui ne peuvent plus nous émouvoir! Le châtiment de ce mauvais emploi du talent, c'est l'indifférence publique et le rapide oubli. Toutes ces violences nous laissent froids. La personnalité est une mauvaise conseillère pour le génie même. Il s'amoindrit en s'y abandonnant et se déconsidère.

En vain cet amour-propre maladif veut-il justifier ses excès et ses emportements, en s'identifiant avec de grandes idées et de grandes causes. Il est trop facile, dans la plupart des cas, de discerner la fragilité et la vanité de ces excuses. Examinez d'un peu près cette lutte avec le comte Platen, lutte si regrettable de tout point, Platen ayant pour lui tout ce qui, avec un talent véritable, rend un homme vraiment fort dans une polémique pareille de la considération et des amis. Heine a beau vouloir enfler le sujet de la querelle, soutenir dans ses lettres qu'il s'agit de tout autre chose que d'un simple tournoi littéraire, qu'il s'agit « de la Révolution elle-même entrant dans la littéra

ture; que ce n'est rien moins qu'un épisode de la guerre sociale; que c'est le prostitué effronté des aristocrates et des prêtres qu'il a voulu détruire, on sent trop bien qu'il y a surtout là une personnalité exaspérée, et quand on relit l'OEdipe romantique, qui fut l'occasion de cette lutte à outrance, on s'étonnerait des proportions qu'elle a prises, si l'on n'apercevait bientôt les vraies causes : des allusions à la nationalité d'Henri Heine, à cette nationalité juive qu'il considérait comme la fatalité attachée à sa vie ; tout cela mêlé à des épigrammes contre sa manière poétique, contre ce qu'il pouvait y avoir d'artificiel et de voulu dans son talent poétique. -Tous les genres d'amours-propres blessés à la fois et du même coup! C'en était trop: dès lors plus de repos, plus de trêve dans la vengeance. On sait le reste. C'est une triste histoire.

Le rôle de Heine se relève un peu dans les rudes combats qu'il soutint pour la Jeune Allemagne, à laquelle, selon l'arrêt de proscription intellectuelle de la Confédération germanique, appartenaient nommément, avec le célèbre poëte, Charles Gutzkow, Henri Laube, Théodore Mundt. Cette école littéraire était accusée d'attaquer la religion chrétienne et d'ébranler les bases de l'ordre social; les gouvernements allemands étaient sommés de procéder contre elle avec la rigueur qu'autorisaient leurs législations respectives.-Nous n'aimons pas

« ElőzőTovább »