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prophétie dut irriter Jeroboam dans une assembléc si nombreuse et dans les fonctions de sa nouvelle liturgie, plus le bruit d'une démarche si hardie dut se répandre de tous côtés. Il s'accrut encore par la fin tragique du prophète (1), qu'un lion mit à mort pour avoir désobéi à l'ordre exprès qu'il avait reçu du ciel; et, afin que le souvenir de cette prophétie se perpétuât jusqu'au moment de son exécution, Dieu voulut que, sur le tombeau de ce prophète et de celui qui l'avait séduit, il fût élevé un monument que Josias aperçut (2) après qu'il eut accompli, sans le savoir, toutes les circonstances de la prédiction. L'incrédulité peutelle découvrir ici quelque ombre d'imposture ou quelque trace de supposition?

Combien a-t-il fallu préparer de loin et rassembler d'événements, pour que cette prédiction fût accomplie dans tous ses points! La famille de David a dû conserver la couronne jusqu'au temps de son accomplissement. Il a dú naître de cette race, dans un certain temps, un prince appelé Josias, préférablement à tout autre nom qu'on aurait pu lui donner. Cet enfant, monté sur le trône à l'âge de huit ans, après la mort de son père Amon, a dû parvenir à un âge assez avancé, pour exercer par lui-même le pouvoir que donne la royauté. Il a fallu que, loin d'imiter l'exemple de son prédécesseur, dont il chérissait d'ailleurs la mémoire et dont il avait vengé la mort, il n'ait employé son autorité qu'à rétablir le culte du Seigneur, et à purger la Terre-Sainte des moindres vestiges de l'idolâtrie. Toutes ces circonstances étaient libres dans l'ordre moral, ou incertaines dans l'ordre naturel. Qu'une seule d'elles manquât ou fût déplacée, la prédiction était démentie par l'événement. Mais que peut-on conclure de son exécution si précise et si littérale, sinon qu'elle a été inspirée par le souverain Être, qui joint à la certitude infaillible de sa prescience un empire absolu sur les créatures?

Cette réflexion peut s'appliquer avec plus ou moins d'étendue aux prophéties que nous avons déjà rapportées. Elle convient également à celles que nous rapporterons dans la suite. Nous ne la répèterons plus; et nous prions une fois pour toutes nos lecteurs de la graver profondément dans leurs esprits.

CHAPITRE II.

Idée générale des prédictions contenues dans les livres prophétiques de l'ancien Testament.

Il n'avait paru jusqu'au temps d'Osias, roi de Jérusalem, que des prophètes prononçant de vive voix leurs oracles. Alors Dicu voulut que ceux à qui il révélait les secrets de l'avenir écrivissent leurs prédictions. Ces prophètes sont au nombre de seize. Isaïe, Jérémie, Ézéchiel et Daniel, qui occupent les quatre premières places, sont appelés grands prophetes, à cause de la longueur et de l'étendue de leurs

(1) 3 Reg. 13, 24. (2) 4 Reg. 23, 17

écrits. Les douze suivants, dont les prophéties sont plus courtes, sont nommés petits prophètes.

Outre les instructions salutaires dont ces livres prophétiques sont remplis, première raison pour laquelle Dieu a voulu qu'ils fussent composés et qu'ils passassent jusqu'à nous, on y trouve encore un avantage pour la conviction de l'incrédulité : c'est qu'il paraît avec plus d'évidence que les prophéties antérieures aux événements ont été conservées sans altération. Elles portent toutes le nom de leurs auteurs, et c'est par-là qu'elles commencent, à l'exception de celles de Daniel, qui ne tarde pas à se nommer dans la suite de son ouvrage. La plupart ajoutent à cette marque d'authenticité la date de leur composition, soit en indiquant les règnes sous lesquels leurs auteurs ont vécu et prophétisé, soit en racontant des événements contemporains, dont la date est d'ailleurs connue.

Isaïe annonce au commencement de sa prophétie, qu'elle a été faite dans les temps d'Osias, de Joathan, d'Achaz et d'Ézéchias, rois de Juda. On voit ensuite (1) l'époque d'une de ses prédictions: c'est l'année où mourut Osias. Il en fait une autre à Achaz (2), roi de Juda, lorsque Rasin, roi de Syrie, et Phacée, roi d'Israël, vinrent investir Jérusalem et ne purent s'en rendre maîtres. Il cite encore l'année (3) où Tharthan, l'un des généraux de Sargon, roi des Assyriens, entra dans la ville d'Azot et s'en empara c'est l'époque d'une de ses prédictions. Mais c'est surtout sous le règne d'Ézéchias qu'il a prophé tisé avec plus d'éclat, et il semble être l'historien de la vie de ce prince dans (4) quatre chapitres de sa prophétie.

Jérémie décrit encore avec plus de soin les faits historiques arrivés de son temps. Il déclare d'abord qu'il a commencé l'exercice de son ministère la treizième année du règne de Josias (5), et qu'il l'a continué jusqu'à la onzième et dernière année de Sédécias, lorsque Jérusalem fut prise et ses habitants transplantés. L'ordre chronologique n'est pas toujours exactement gardé entre les chapitres de sa prophétie, qui ont sans doute été déplacés. Mais ce dérangement n'empêche pas qu'on ne trouve dans Jérémie tout ce qui s'est passé de plus important à Jérusalem, depuis la mort de Josias jusqu'à ce que cette ville succomba sous les armes des Chaldéens. Il (6) termine sa narration par ce que firent dans la Palestine les Juifs qu'on y avait laissés, et qui l'emmenèrent avec eux en Égypte, où ils ne méprisèrent pas moins ses sages conseils que dans leur propre pays.

Ézéchiel et Daniel ont écrit leurs prophéties dans la Chaldée, où ils avaient été transportés au premier enlèvement que fit Nabuchodonosor d'une partie des Juifs, sous le règne de Joachim, petit-fils de Josias.

(1) Isai. 6, 1. (2) Ibid. 7, 1.

Ibid. 20, 1.

Ibid. 36, 37, 38, 39. (5) Jerem. 1, 2, 5. (6) Jerem. 44.

Ezechiel date le (1) commencement de sa prophétie de la cinquième année de cette transmigration. I rapporte ce que faisaient ses compatriotes captifs avec lai dans Babylone, et les crimes qui se commettaient dans le même temps à Jérusalem, dont il ne cessait de prédire la ruine. Daniel est de tous les prophètes le plus précis dans ses époques, comme il est le plus clair et le plus circonstancié dans ses prophéties. Il ne cite que des événements connus dans tout l'empire des Chaldéens et des Mèdes, et dans la cour des princes qui régnaient à Babyfone : c'est son élévation aux premiers emplois et aux premiers honneurs (2) de l'empire, sous Nabuchodonosor, Balthazar, et Darius le Mède, nommé Cyaxare par les historiens profanes; ce sont les édits (3) de ces princes en faveur de Daniel, de ses trois compagnons, et du culte du vrai Dieu. Il vécut et prophétisa jusqu'au temps que Cyrus, ayant succédé à Cyaxare, son oncle, régna scu! dans tout l'Orient; et l'une de ses prédictions est datée de la (4) troisième année du règne de ce conquérant.

En général, quoiqu'il y ait eu quelques prophètes, qui, contents d'exprimer leurs noms à la tête de leurs prophéties, n'en ont pas marqué le temps avec la inême précision, on sait, à n'en pouvoir douter, que ceux-là mêmes ont écrit avant la captivité de Babylone. Aggée, Zacharie, Malachie, les derniers de tous, n'ont prophétisé que depuis le retour des Juifs dans la Terre-Sainte. Ils font assez connaître, les deux premiers par le titre de leurs prophéties, le treisième par la suite du discours, le temps où elles ont été composées. Pour ne pas laisser aux incrédules le moindre sujet de contestation, je leur promets de n'employer que les oracles dont la date est si manifeste, qu'ils ne pourront eux-mêmes disconvenir qu'ils n'aient précédé les événements prédits.

Daniel est le seul sur lequel les ennemis du christianisme aient formé autrefois cette difficulté. L'évidence de ses prophéties lui attira de leur part cette accusation dépourvue de toute vraisemblance. Il leur paraissait, dit saint Jérôme (5), avoir plutôt raconté des choses passées, que prédit des événements futurs. C'est ce qui détermina Porphyre à nier que les prophéties attribuées à Daniel fussent véritablement son ouvrage. Un Juif zélé pour sa nation les avait composécs, selon lui, vers le temps des Machabées. Il leur ent donné sans doute une origine plus récente, s'il F'avait pu. L'intérêt même de sa cause le demandait ainsi. Car enfin il ne gagnait rien à la date qu'il imaginait. Nous verrons qu'il reste dans le livre de Daniel, malgré tous les efforts de Porphyre, des prophéties dont l'accomplissement est postérieur au temps des Machabées.

(4) Ezech. 1, 2.

2) Dan. 2, 48; 5, 29; 6, 2.

(3) Ibid. 3, 96; 4, 6; 25, 26; 14, 4.

(3) Ibid. 10, 1.

Tanta enim dictorum fides fuit, ut propheta incredulis hominibus videatur, non futura dixisse, sed arràsse præterita. S. Hieron. proœmio in Dan.

Mais on pourrait demander à Porphyre et à tous ceux qui voudront renouveler contre les livres de Daniel la même accusation, quelle preuve ils sont enétat d'en donner. Suffit-il, pour dépouiller un ouvrage de la possession d'authenticité où il s'est toujours maintenu, d'y trouver des prophéties si évidentes, qu'on ne peut en éluder la force qu'en avançant qu'elles ont été faites après coup? Cette évidence peut bien prouver l'intérêt qu'ont les incrédules à rejeter ces prophéties; mais elle ne prouve rien de plus: et si un témoin intéressé veut être écouté sur sa seule parole, on est en droit de lui opposer avec plus de fondement le témoignage de Josèphe, historien juif, qui raconte (1) qu'Alexandre lut, en passant à Jérusalem, les prophéties de Daniel, qui annonçaient ses victoires sur les Perses.

Josèphe, en parlant ainsi, supposait que les prophé ties de Daniel existaient au moins dans le temps d'Alexandre. Mais il les croyait lui-même plus anciennes, comme il le dit (2) ailleurs, et il ne doutait pas, avec toute la nation, que Daniel n'en fût le véritable auteur. Cette tradition, dont on ne voit pas le commencement, est la plus forte preuve de l'authenticité d'un ouvrage. Car on ne peut mieux s'assurer du nom d'un auteur, ni du temps où il a vécu, que · par le consentement unanime de la nation dépositaire de ses écrits.

Les Juifs avaient d'autant plus de raison d'attribuer à Daniel ses prophéties, qu'ils les voyaient sous son nom dans leur Canon, dont ils savaient qu'Esdrasétait l'auteur. Ils n'y trouvaient pas, à la vérité, du moins dans les derniers temps, quelques endroits de ces prophéties, le Cantique des trois jeunes hommes dans la fournaise, l'Histoire de Susanne, celle de l'Idole de Bel, et du Dragon. C'est par ce motif qu'ils n'admettent pas comme canoniques ces morceaux quenous n'avons plus aujourd'hui qu'en grec; et les protestants ont suivi leur exemple. Cette controverse est étrangère aux incrédules, puisqu'il n'y a aucune prédiction dans tout ce que les Juifs et les protestants rejettent du livre de Daniel. Elle présente au contraire un nouveau titre pour l'authenticité de ce livre. Il est possible que le texte original ait souffert quelque altération; et sans examiner ici de quelle manière elle est arrivée, les anciennes versions grecques font foi, que ces endroits contestés appartiennent au livre de Daniel. Mais si le livre entier n'avait pas été inséré dans le Canon des Juifs, lorsqu'il fut dressé par Esdras, il n'est pas possible qu'ils l'eussent reçu avec tant de respect, eux qui en ont rejeté quelques parties, uniquement parce qu'elles avaient été supprimées dans quelques-uns de leurs exemplaires. Il est encore moins possible qu'ils l'eussent regardé comme canonique, s'il n'eût été composé que dans le temps des Machabées. On sait que tous les livres de l'ancien Testament, publiés vers le même temps, n'ont jamais

(1) Joseph. Antiquit. Judaic., lib. 11, cap. 8. (2) Ibid., lib. 10, cap. 11.

eu parmi eux l'autorité des autres écrits canoniques; et la seule raison qu'on puisse donner de cette difféTence, est que leur Canon ayant été une fois arrêté par Esdras, ils n'ont pas cru devoir la même vénération aux ouvrages dont la composition ou la publication était postérieure à cette époque.

Comment auraient-ils pu douter du livre de Daniel, en voyant les éloges de ce prophète dans Ezéchiel, auteur contemporain? La connaissance profonde que Daniel avait de l'avenir, devait être déjà fort célèbre, quoiqu'il fût encore dans un âge peu avancé, puisqu'Ezéchiel, captif comme lui dans Babylone, ne craint pas de demander au roi de Tyr (1), en lui reprochant sa présomption, s'il se croit plus sage que Daniel, et s'il se flatte de pénétrer, comme ce prophète, dans les choses les plus cachées. Ce reproche ne faitil pas une allusion manifeste à l'explication que Daniel avait donnée du songe prophétique de Nabuchodonosor sur la succession des empires? Ezechiel, dans un autre chapitre, compare (2) l'innocence de Daniel à celle de Noé et de Job. Il détrompe les Juifs de leur vaine confiance dans l'intercession des saints qu'ils n'imitaient pas, et il leur déclare que quand Noë, Daniel et Job seraient rassemblés dans la même terre, leur justice personnelle les sauverait, mais net détournerait pas la malédiction justement préparée aux habitants criminels de cette terre. Quelle était dès lors la réputation de Daniel associé pendant sa vie, et même dans sa jeunesse, à des hommes tels que Job et Noë? Et sur quoi cette réputation pouvait elle être fondée, si ce n'est sur les preuves éclatantes qu'il avait déjà données de son commerce intime avec Dieu? Il faudra donc renvoyer jusqu'au temps des Machabées la composition du livre d'Ezéchiel, ou, pour mieux dire, de toutes les prophéties et de tous Les livres canoniques des Juifs; opinion si absurde, qu'elle se détruit d'elle-même, et que personne n'a encore osé l'avancer.

Ce n'est pas tout: il faudra nier non-seulement avec les Juils et les protestants, que le premier livre des Machabées que nous lisons aujourd'hui soit un ouvrage canonique, mais que ce soit même une histoire contemporaine; ce qui n'a jamais été révoqué en doute. L'auteur de ce livre fait citer la prophétie de Daniel à Matthathias, le père des Machabées, et le généreux défenseur de la loi de Moïse contre les persécutions d'Antiochus (3). Ananias, dit ce saint vieilFard à ses enfants, Azarias et Mizaël ont été délivrés par leur foi de la fournaise ardente où Nabuchodonosor les avait fait jeter. Daniel par son innocence a été préservé de la gueule des lions. Ces exemples, dans le discours de Matthathias, viennent à la suite d'autres traits de l'histoire juive, tirés de quelques livres antérieurs sans difficulté à l'époque dont il s'agit. Le Livre de Daniel était donc aussi respecté parmi les Juifs, que le Pentateuque, que le livre de Josué, que

(1) Ezech. 28, 3.

(2) Ezech. 14.

(3) 1 Machab. 2, 59, 60.

ceux des rois, puisqu'on y choisissait également des exemples de la protection miraculeuse de Dieu sur ses serviteurs. La prophétie de Daniel est donc plus ancienne que la persécution d'Antiochus et que le temps des Machabées.

Mais d'ailleurs quelle apparence que cette prophétie ait jamais été supposée? Ne porte-t-elle pas tous les caractères d'un ouvrage fait dans le temps, où les événements qu'il raconte se sont passés. On y voit Daniel dans sa première jeunesse comblé par Nabuchodonosor de magnifiques présents, nommé gouverneur de toutes les provinces de l'empire, élevé au-dessus de tous les grands de l'état, introduit dans le palais et dans tous les conseils du roi; ses trois compagnons aussi jeunes que lui, préposés, comme il l'avait demandé, à l'administration des affaires de la province de Babylone. Ces faits ont été publics dans un vaste empire. Ils n'ont pu être supposés; et ce n'est pas sans doute ce que les incrédules contestent dans cette histoire. Mais qu'ils nous assignent une autre cause d'une élévation si extraordinaire, que celle même qui est rapportéc dans Daniel. Un prince tel que Nabuchodonosor aurait-il choisi pour son premier ministre, avec une autorité si grande et des distinctions si marquées, un homme de cet age, d'une nation odieuse et méprisée, s'il n'avait reconnu dans ce jeune Juif une intelligence plus qu'humaine par l'interprétation qu'il lui donna de son songe? Qui put ignorer dans Babylone un songe qui avait causé au roi de si vives inquiétudes, qui l'avait engagé à convoquer auprès de lui tous les devins et les mages dont cette ville était pleine, qui les avait mis dans un danger de mort, dont ils ne purent être garantis que par Daniel, l'unique interprète de ce songe mystérieux? L'élévation de Daniel ne fut pas plus connue dans tout l'empire chaldéen, que le principe même de cette élévation; et suivant toutes les règles de la critique, l'un de ces événements est inséparable de l'autre.

Que si l'on demande quelque chose de plus convaincant, on le trouvera dans les édits que Daniel transcrit en leur entier, et qui rendent témoignage à sa mission prophétique: édits répandus par ordre des souverains dans tous leurs états, consignés dans leurs archives, et qui par conséquent ne peuvent être l'ouvrage d'un imposteur. Nabuchodonosor, témoin du prodige opéré en faveur des trois jeunes compagnons de Daniel (1), prononce la peine de mort et la confiscation des biens contre quiconque de ses sujets blasphemera le Dieu qu'ils adorent: et cette ordonnance n'est pas moins publique que celle qui avait enjoint l'adoration de la statue d'or. Le même prince, banni d'abord de la société des hommes et réduit à la condition des bêtes, rétabli ensuite sur le trône, annonce (2) à tous ses sujets, non-seulement cette révolution qu'ils n'ignoraient pas; mais le signe effrayant dont Dieu s'était servi pour l'en avertir, et l'explication que Daniel en avait donnée, en lui pré

(1) Dan. 5, 96. (2) Ibid. cap. 4.

disant les circonstances singulières de sa dégradation el de son rétablissement. Croit-on que Nabuchodonosor, ce prince altier et superbe, ait voulu faire honneur à Daniel d'une aventure si humiliante pour luinême; que dans la vue de persuader à ses peuples qu'il avait un prophète pour ministre et pour favori, il se soit ravalé à leurs yeux jusqu'à leur déclarer dans un édit public, que le Dieu de Daniel l'avait puni par un abrutissement de sept années, dont il n'y a jamais eu d'exemple parmi les hommes? Ce fait était d'ailleurs d'une nature à ne pouvoir être supposé, s'il n'eût pas été véritable. Tout le monde savait dans l'empire Chaldéen, ce qu'était devenu le roi pendant sept ans, la vacance de son trône et la facilité avec laquelle il y était remonté. Quand Dieu exerce de pareils jugements sur un souverain, on ne doit pas être étonné qu'il les ait révélés auparavant à un de ses prophètes et la prédiction de Daniel est moins incroyable que l'aventure de Nabuchodonosor, dont il n'est pas possible de douter.

Darius le Mède, ou Cyaxare, oncle et prédécesseur de Cyrus, n'eut pas moins de confiance en Daniel que les rois de Babylone, dont il avait renversé l'empire. Forcé par la jalousie de ses principaux officiers, de l'exposer aux lions (1), il vit avec autant de surprise que de joie, que ces cruels animaux avaient respecté son innocence. Il voulut lui-même en instruire tous ses sujets; et pour réparer l'impiété de son premier édit, qui défendait d'adresser des prières durant trente jours à aucune divinité, il ordonna par un second, que le Dieu de Daniel, seul éternel et tout-puissant, fût craint et révéré dans tous ses états. Ces deux lois furent également publiques. L'une et l'autre attesta la sainteté d'un prophète si chéri du ciel. Après de telles époques, et cette multitude de monuments auMentiques, qui osera soupçonner de supposition les prophéties de Daniel?

Je me suis étendu sur Daniel, parce qu'il est le seul des prophètes que Porphyre, ce subtil adversaire des chrétiens, ait eru pouvoir accuser de supposition. De plus, ces prophéties sont si évidentes, que leur date une fois établie, elles suffisent pour confondre les incrédules.

Je n'ignore pas que Spinosa, dans un ouvrage écrit contre la religion judaïque, dont il était déserteur, a fait le même reproche aux autres prophètes. Il a prétendu que leurs ouvrages n'étaient que des compilations indigestes, publiées long-temps après les événements qu'elles annoncent. M. Huet, dans sa démonstration evangélique, a réfuté en détail les ob jections de Spinosa sur chaque prophète. Je crois pouvoir renvoyer à cet ouvrage, ceux qui voudront connaître le mérite de ces objections. Ils les trouveront si faibles, qu'ils me sauront gré de les avoir passées sous silence. Ce n'est pas tromper mes lecteurs que de leur épargner, sous la garantie d'un auteur comme M. Huet, l'ennuyeuse discussion de

(1) Dan. cap. 6.

toutes les minuties de grammaire et de critique employées par Spinosa contre les prophètes. Elles tombent même par cette unique réponse, que les prophéties ont une date certaine, soit par le nom de leurs auteurs qu'elles disent toutes, soit par le temps que la plupart indiquent, soit par la tradition du peuple Juif, qui remonte jusqu'à l'âge des prophètes, soit enfin par le canon hébreu des livres saints où elles sont toutes contenues, à l'exception de celle de Baruch que nous ne citerons pas, et que les copistes ont sans doute omise, parce qu'elle ne faisait qu'un seul et même livre avec la prophétie de Jérémie qu'elle suivait immédiatement.

Nous venons de voir que Dieu avait inspiré à plusieurs de ses prophètes la pensée d'écrire leurs prédictions pour en mieux fixer l'époque, et pour les conserver plus facilement à la postérité. Mais il se présentait un obstacle à l'exécution de ce projet. Les prophètes prédisaient ordinairement à leurs concitoyens de si tristes événements, ils joignaient à leurs prophéties de si fortes invectives contre les vices dominants; ils attaquaient avec tant de liberté les personnes les plus éminentes, qu'il n'était pas vraisemblable que leurs écrits dussent êire conservés par les Juifs. Pour la sûreté d'un dépôt si precieux, il fallait que ceux mêmes qui étaient intéressés à le supprimer, y aperçussent un caractère de divinité qui les forçat a les respecter. Ce caractère fut l'accomplissement prochain et manifeste des oracles qui concernaient la destinée de leur propre nation et celle des peuples voisins.

Il s'élevait dans Juda ou dans Israël un prophète qui menaçait des vengeances divines les prévaricateurs de la loi. On méprisait d'abord ses menaces autant que ses leçons. Souvent même les rois, les grands et le peuple, fatigués de ses discours, indignés de son audace, l'accablaient d'outrages, le chargeaient de chaînes, le faisaient mourir dans les supplices. Les écrits d'un auteur qui avait été l'objet de la haine publique, semblaient devoir périr avec lui. Mais bientôt les prédictions renfermées dans ces écrits étaient vérifiées aux yeux de ses persécuteurs. Tout ce qu'il avait prédit contre Jérusalem ou contre Samarie, contre les villes des Philistins, contre Ninive, Damas, Tyr, Sidon, contre les Moabites, les Iduméens, les Ammonites, contre l'Egypte, contre Babylone, tout cela s'accomplissait sans qu'aucune de ses paroles fût démentie par l'événement. On ne pouvait plus alors douter de sa mission céleste ni de son inspiration prophétique. On rendait à sa mémoire les hommages qu'on avait refusés à sa personne. Ses écrits, déposés dans le temple ou insérés dans les registres publies, devenaient pour la nation des écrits sacrés qui la confirmaient dans l'attente des événements futurs, par l'accomplissement de ceux qu'elle avait vus arriver.

En effet, les livres prophétiques sont remplis de prédictions sur des événements peu éloignés du temps où vivaient les prophètes. Ni le royaume de Jérusa

lem, ni celui de Samarie, ni tous les états, dont la Terre-Sainte était entourée, ou dont les intérêts se trouvaient mêlés avec ceux des Juifs, n'ont échappé à la lumière surnaturelle qui éclairait les prophètes. Ils ont annoncé le sort de toutes les nations et de toutes les villes que nous avons nommées plus haut, et ces prédictions ne tardaient pas à s'accomplir. Elles étaient nécessaires, pour assurer parmi les Juifs la durée des livres prophétiques. Elles l'étaient encore, pour concilier de l'autorité à d'autres prophéties plus importantes, l'objet principal du ministère des prophètes, mais qui, regardant le Messie et son Église, devaient s'accomplir en des temps beaucoup plus éloignés. Nous réservons l'examen de ces prophéties à la seconde partie de cet ouvrage. Mais pour nous attacher maintenant à la première raison, que les incrédules nous disent pourquoi des livres, qui, sous le nom de prophéties, ne débitaient, selon eux, que des mensonges, ont été si religieusement conservés par les Juifs.

Il n'était pas possible de leur en imposer sur l'accomplissement de ces prophéties. Il s'agissait d'abord d'eux-mêmes, et de leur propre destinée. Pouvait-on leur faire croire que des malheurs prédits fussent réels pour eux, tandis qu'ils ne les éprouvaient pas ? Il s'agissait ensuite de leurs voisins, de leurs alliés, de leurs ennemis. Était-il facile de leur donner le change sur des choses qui excitaient de si près et si vivement leur attention? La plupart de ces prophéties sont obscures pour nous aujourd'hui. Trop de siècles se sont succédé depuis leur accomplissement. L'histoire ne nous fournit pas des éclaircissements, qui nous rapprochent en quelque sorte d'une antiquité si reculée. Mais alors les Juifs savaient parfaitement ce que nous ignorons. On ne leur aurait pas persuadé, quoi qu'en eussent pu dire Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, que la superbe ville de Tyr avait été prise, pillée, et démolie par Nabuchodonosor, ni que l'Égypte avait été ravagée par ce conquérant, si les événements n'avaient pas répondu aux prophéties. Il en était de même de ce que Nahum avait prédit sur Ninive, Abdias sur l'Idumée, Amos sur Damas, les cinq villes des Philistins, les pays d'Ammon et de Moab, et ainsi des autres. Les prédictions étaient trop récentes, les événements qu'elles annonçaient trop connus, pour qu'on ne sût pas d'abord à quoi s'en tenir sur leur conformité réciproque.

Il est donc évident que dans la supposition des incrédules, les Juifs ont dû être convaincus de la fausseté des prophéties. Si cela est, je demande encore une fois, comment avec un nouveau motif de mépriser les livres prophétiques, et d'en détester les auteurs, ils ont respecté les uns comme des envoyés de Dieu, et retenu les autres comme des livres inspirés. Ils ne lisaient dans ces ouvrages que les satyres les plus offensantes pour leur nation. C'en était assez, pour en effacer jusqu'aux moindres vestiges. Mais, quand ils y voyaient de plus la mauvaise foi de ces laussaires, qui s'étaient érigés en prophètes, démas

quée par des preuves aussi claires que le soleil, la Judée avait-elle assez de feux, pour réduire en cendre ce coupable recueil d'invectives et de mensonges? Le jugement contraire que les Juifs ont porté des livres prophétiques détruit l'hypothèse des incrédules. Ceux-ci ne sont plus recevables à s'inscrire en faux contre des fails avérés par des témoignages contemporains. Il n'est plus permis aujourd'hui de rejeter des prophéties adoptées par un peuple entier, à qui elles devaient être suspectes, et qui a pu juger par ses propres yeux de la vérité de leur accomplis

sement.

Au reste, nous ne nous bornons pas à ce préjugé, qui, dans les règles de la bonne critique, forme une démonstration. Il est plusieurs de ces prophéties, dont l'accomplissement se prouve par l'histoire, et nous choisirons les plus éclatantes, pour achever de convaincre les incrédules par ce genre de prédictions.

Mais il faut auparavant répondre à une objection des incrédules contre les écrits des prophètes. Ils voudraient y trouver plus de clarté, de suite et de détail. Ils ne comprennent rien à des prédictions éparses qui ne sont liées ensemble ni par l'ordre des temps, ni par celui des matières; qui, parlant d'un prince ou d'un héros, ne développent pas l'histoire entière de ses exploits ou de sa vie; qui, annonçant un événement, n'en décrivent pas toutes les circonstances. Ils seraient contents si les prophètes semblables aux historiens par l'exactitude et par la méthode, ne différaient d'eux qu'en prédisant comme futur, ce que les autres racontent comme passé.

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Telle est l'obstination de l'incrédulité. Elle demande toujours de nouvelles lumières. Celles qu'on lui présente ne suffisent pas pour l'éclairer. Ses yeux malades ne peuvent en soutenir l'éclat et le désir chimérique d'une lumière plus vive est le prétexte spécieux de son aveuglement volontaire. A l'entendre, elle croirait la résurrection de Jésus-Christ, s'il était apparu non-seulement à ses disciples, mais à ses ennemis, mais à toute la ville de Jérusalem. Elle se rendrait de même aux prophéties, si elles étaient plus claires, plus suivies et plus circonstanciées. Mais a-t-elle droit de l'exiger? Et doit-elle faire dépendre son acquiescement à des preuves concluantes d'une condition qui n'est ni nécessaire, ni convenable,

C'est d'abord ignorer la nature du style prophétique, que d'y chercher la même suite et la même liaison que dans le discours d'un historien. Celui-ci s'attache à l'ordre chronologique; et il ne s'en écarte quelquefois, que pour ne pas dépayser trop souvent ses lecteurs, ou pour ne pas interrompre le fil d'une narration intéressante. C'est ce qui met dans son ouvrage une netteté qui soulage la mémoire et fixe l'attention. Mais autant que cette netteté plaît dans une histoire, autant serait-elle insipide et languissante dans un livre prophétique. Le prophète, transporté par l'Esprit divin qui l'anime, ne s'assujétit ni à l'ordre des temps, ni à celui des matières. Il répète ce

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