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faut que, pour remplir son sujet, il exalte magnifiquement tout ce que fut son héros selon le monde; et que, pour remplir son ministère, il termine tout cet héroïsme au néant, selon la religion, si la piété ou la pénitence ne l'ont pas consacré devant Dieu. Ce plan n'est contradictoire que pour l'irréflexion, et difficile que pour la médiocrité : c'est, au contraire, une grande vue en morale, et un puissant véhicule pour le talent oratoire. En abattant d'une main ce qu'il a élevé de l'autre, l'orateur chrétien ne se combat point lui-même; il ne combat que des illusions, et avec d'autant plus de supériorité, qu'après avoir, comme par complaisance, accordé ce qu'il devait au siècle et à ses coutumes, il semble se jouer de toute la pompe qu'il a étalée un moment, et fait voir à ses auditeurs détrompés combien ce qu'ils admirent est peu de chose, puisqu'il ne faut qu'un mot pour en montrer le vide, et qu'un instant pour en marquer le terme.

Ce genre d'écrire a donc de merveilleuses ressources pour l'imagination et pour l'instruction : il est plus étendu, plus élevé, plus varié que le sermon. Dans la peinture des talents, des vertus, des travaux qui ont illustré les empires, et servi ou embelli la société, il devance l'histoire et peut prendre un ton plus haut qu'elle : heureux quand elle n'a pas ensuite à le démentir! Mais combien imposante et majestueuse doit être la voix qui-se fait entendre aux hommes entre la tombe des rois

et l'autel du Dieu qui les juge! Ailleurs le panégyriste des héros est d'autant plus intimidé, qu'il a plus à faire; il borne son ambition et ses efforts à n'être pas au-dessous de son sujet, à égaler les paroles aux choses. Ici l'orateur sacré, planant au-dessus de toutes les grandeurs, les voit d'en haut, tient d'une main la couronne qu'il pose sur leur tête, et de l'autre l'Évangile, qui renverse toutes les couronnes devant celle de l'éternité. Mais combien aussi ces mains doivent être fermes et sûres! Si elles sont incertaines et vacillantes, si tous les mouvements n'en sont pas justes et décidés, tout l'effet. est perdu. La tribune sainte est pour l'éloquence un théâtre auguste, d'où elle peut de toute manière dominer sur les hommes; mais il faut que l'orateur sache y tenir sa place. S'il vous laisse trop vous souvenir que ce n'est qu'un homme qui parle; si Dieu n'est pas toujours à côté de lui, on ne verra plus qu'un rhéteur mondain, qui adresse à des cendres les derniers mensonges de la flatterie. Au contraire, s'il est capable d'avoir toujours l'œil vers les cieux, même en louant les héros de la terre; si, en célébrant ce qui passe, il porte toujours sa pensée et la nôtre vers ce qui ne passe point; s'il ne perd jamais de vue ce mélange heureux, qui est à la fois le comble de l'art et de la force, alors ce sera en effet l'orateur de l'Évangile, le juge des puissances, l'interprète des révélations divines; en un mot, ce sera Bossuet.

Ce nom vous rappelle un de ces hommes rares que le siècle de Louis XIV a réunis dans le vaste domaine de sa gloire; et je ne parle pas ici du théologien profond, de l'infatigable controversiste, dont la plume féconde et victorieuse était tour à tour l'épée et le bouclier de la religion : ces travaux apostoliques n'entrent point dans la classe des objets qui nous occupent.

Quatre discours, qui sont quatre chefs-d'œuvre d'une éloquence qui ne pouvait pas avoir de modèles dans l'antiquité, et que personne n'a depuis égalée, les oraisons funèbres de la reine d'Angleterre, de Madame, du grand Condé et de la Princesse palatine, sur-tout les trois premières, ont placé Bossuet à la tête de tous les orateurs français, non pas, comme on voit, par le nombre, mais par la supériorité des compositions. On les met sous les yeux de tous les jeunes rhétoriciens, et c'est peut-être ce qui fait qu'on les lit moins dans la suite. On croit connaître assez ce qu'on a eu long-temps entre les mains: on ne songe pas que ce n'est pas trop de toutes les connaissances que donne la maturité de l'esprit pour bien goûter et bien apprécier ces inimitables morceaux. Qu'un homme de goût les relise, qu'il les médite, il sera terrassé d'admiration je ne saurais autrement exprimer la mienne pour Bossuet. Si quelque chose, indépendamment de leur mérite propre, pouvait d'ailleurs les faire valoir encore plus, ce serait le contraste qui se présente de soi-même

entre cette éloquence si simple et si forte, toujours naturelle et toujours originale, et la malheureuse rhétorique qui de nos jours en prend si souvent la place. Dans Bossuet, pas la moindre apparence d'efforts ni d'apprêts, rien qui vous fasse songer à l'auteur; il vous échappe entièrement et ne vous attache qu'à ce qu'il dit. C'est là sur-tout, on ne saurait trop le répéter, la différence essentielle du grand talent et de la médiocrité, du bon goût et du mauvais; c'est que tout effet est manqué, si je vous vois trop vous arranger pour en produire; c'est que vous n'êtes plus rien si vous ne vous faites pas oublier; c'est que vos efforts, trop visibles, ne montrent que votre faiblesse; c'est qu'on ne se guinde que parce qu'on est petit. Au contraire, si vous êtes emporté par un élan naturel et comme involontaire, vous m'entraînez à votre suite; si votre imagination vous domine, vous dominez la mienne; si votre imagination vous commande, vous me commandez; et dans ce cas je ne verrai rien dans vous qui démente cette impression, je ne vous verrai rien chercher, rien affecter, rien contourner. Suivez de l'œil l'aigle au plus haut des airs, traversant toute l'étendue de l'horizon; il vole, et ses ailes semblent immobiles: on croirait que les airs le portent. C'est l'emblème de l'orateur et du poëte dans le genre sublime : c'est celui de Bossuet.

Que cet homme est un puissant orateur! En vérité, il ne se sert point de la langue des au

tres hommes; il fait la sienne, il la fait telle qu'il la lui faut pour la manière de penser et de sentir qui est à lui: expressions, tournures, mouvements, constructions, harmonie, tout lui appartient. D'autres écrivains, et même d'un grand mérite, font sans cesse du langage l'ornement de leur pensée, la relèvent par l'expression la pensée de Bossuet, au contraire, est d'un ordre si élevé, qu'il est obligé de modifier la langue d'une manière nouvelle, et de la rehausser jusqu'à lui. Mais comme elle semble être à sa disposition! comme il en fait ce qu'il veut! quel caractère il lui donne! Nulle part, sans exception, elle n'est ni plus vigoureuse, ni plus hardie, ni plus fière que dans les beaux vers de Corneille et dans la prose de Bossuet. C'est ce qui distinguera toujours ces deux écrivains, à qui notre langue a tant d'obligations; c'est ce qui soutiendra toujours Corneille en présence de ceux de nos poëtes qui ont eu sur lui d'autres avantages, et Bossuet contre ceux qui se rendent détracteurs de son talent, parce qu'ils le sont de sa croyance. J'ai vu de durs mécréants, et sur - tout des athées, dégoûtés de ses écrits et de ceux de Massillon, et tout près d'effacer leurs titres, qui sont les nôtres incrédules, laissez-nous nos grands hommes, car vous ne les remplacerez pas.

De quel ton il débute dans l'oraison funèbre de la reine d'Angleterre, femme de l'infortuné

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