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L'INGRÉDULITÉ

CONVAINCUE PAR LES PROPHÉTIES.

Discours Préliminaire.

Sur la preuve tirée des prophéties.

S'il était nécessaire de prouver que Dieu peut connaître avec une certitude infaillible les choses futures, on trouverait la preuve de cette vérité dans les prophéties, qui sont le sujet de cet ouvrage. Le fait, sans autre examen, emporte la possibilité : et l'on ne peut nier que Dieu n'ait prévu ce qu'il a fait prédire.

Mais nos incrédules sont-ils du nombre de ces aveugles philosophes à qui S. Augustin (1) reproche de rendre les hommes sacriléges, pour les rendre libres? Disputent-ils à Dieu la prescience de l'avenir? Croient-ils que des événements arrivés dans le temps n'aient pu être présents de toute éternité à une intelligence infinie? Refuser à Dieu cette connaissance, ce serait anéantir sa nature. S'il est des vérités que Dieu ait ignorées, il a manqué quelque chose à sa perfection. Si ses connaissances se sont augmentées, à mesure que les événements, qu'il ignorait, lui ont été découverts, il a donc acquis en certains moments ce qu'il n'avait pas en d'autres. Admettre dans la nature divine des bornes et des progrès, qu'est-ce autre chose que lui ravir son immutabilité, sa souveraine perfection, et se contredire dans les termes, en appellant Dieu ce qui ne l'est pas ? Les incrédules voudraientils nous réduire à la nécessité de défendre contre eux non plus seulement la révélation et les mystères qu'elle renferme, mais les premiers principes qu'enseigne la raison humaine?

En vain diraient-ils que la prescience divine est incompatible avec la liberté des créatures raisonnables: l'objection n'est pas nouvelle. Les diverses conséquences qu'on a tirées de cette prétendue incompatibilité, ont formé des erreurs aussi opposées les unes aux autres, qu'elles l'étaient toutes à la vérité. Les uns, plus respectueux pour la Divinité, ont méconnu

le libre arbitre de la créature en des actions infailliblement prévues par le Créateur. D'autres, plus jaloux d'une prérogative sans laquelle il n'y aurait parmi les hommes ni vice, ni vertu, ni exhortation, ni repentir, ni châtiment, ni récompense, n'ont pas craint de soumettre Dieu même aux ténèbres de l'ignorance, pour affranchir les actions libres de la nécessité leur imposait, selon eux, la certitude d'une que prévision éternelle.

Les incrédules, à ne consulter que l'intérêt de leur cause, devraient être plus favorables au premier de ces deux excès. Sans doute ils l'adopteraient volon

(1) S. Aug. de Civitate Dei, 1. 5, c. 9.

tiers, s'ils considéraient avec attention tout l'avantage que le christianisme peut tirer de ces trois dogmes réunis, l'existence de Dieu. l'immortalité de l'âme, et le libre arbitre. Il semble néanmoins que les incrédules modernes, honteux des emportements de leurs prédécesseurs, ne disputent plus que faiblement sur l'immortalité de l'âme, et qu'avec l'existence de Dieu, ils reconnaissent ouvertement le libre arbitre.

Mais qu'ils ne se croient pas autorisés par cet aveu à contester l'étendue infinie de la prescience divine. Il ne leur est pas plus permis de faire injure au Créateur, que d'avilir la créature. Le témoignage de la raison n'est pas moins exprès ni moins décisif pour la prescience que pour le libre arbitre; et loin qu'on puisse combattre l'une de ces vérités par l'autre, la nécessité de les retenir toutes deux, jointe à la difficulté de les concilier, est une démonstration contre l'incrédule qui rejette dans la révélation tout ce qu'il ne conçoit pas. Qu'il apprenne par cet exemple à révérer l'impénétrable obscurité qui dérobe à ses yeux la liaison des dogmes qu'on lui propose. En voilà deux que la foi enseigne, et qui ont également pour eux le suffrage de la raison. Dieu a prévu de toute éternité les actions des créatures intelligentes, et ne peut pas plus se tromper dans cette prévision, qu'il ne peut cesser d'être Dieu : cependant ces créatures agissent librement, et leur

liberté ne souffre aucune atteinte de la certitude infaillible avec laquelle Dieu a su ce qu'elles feraient. Il faut que toutes les subtilités d'une raison présomptueuse viennent se briser contre cette inébranlable doctrine. Si l'incrédule ne peut l'éclaircir par des explications qui le satisfassent, si l'accord de deux vérités qui paraissent contradictoires est pour lui un mystère incompréhensible, qu'attend-il encore pour confesser la faiblesse de son esprit et la médiocrité de ses connaissances? Que veut approfondir dans la révélation un homme forcé de s'arrêter à chaque pas dans les sciences qui sont du ressort de la raison?

Ce n'est pas qu'on prétende interdire aux incrédules des recherches modestes sur la manière d'accorder le libre arbitre de l'homme avec la prescience de Dieu. On ne condamne qu'une vaine et téméraire curiosité toujours prête à s'élever contre ce qui surpasse ses lumières, et qui, trop attachée à une vérité, accuse d'erreur tout ce qu'elle ne peut concilier avec son dogme favori. En retranchant cette curiosité, il est permis d'entreprendre la conciliation des deux vérités dont nous parlons.

Si les incrédules peuvent vaincre leur dégoût pour

1

des dissertations scholastiques, ils n'ont qu'à jeter les yeux sur les réponses de nos philosophes et de nos théologiens aux objections formées contre l'infaillibilité de la prescience divine. Ils apprendront d'eux comment cette infaillibilité subsiste avec la liberté de l'action prévue. On leur dira que la nécessité qui résulte de la prévision de Dieu n'est pas ennemie du libre arbitre, parce que, s'il est vrai, s'il certain, s'il est infaillible que l'homme fera ce est que Dieu a prévu, ce n'est pas précisément à cause que Dieu l'a prévu ainsi; mais au contraire Dieu ne l'a prévu qu'à cause que l'homme devait agir ainsi en sorte que la prescience divine, quoique antérieure dans l'ordre des temps, selon notre manière de concevoir, à l'action de l'homme, n'en détermine pas néanmoins l'existence, mais plutôt la suppose future; semblable à la présence d'un homme qui, témoin oculaire d'une action, ne peut se tromper dans ce qu'il voit de ses propres yeux, sans que sa présence soit cause de ce qui se fait devant lui. Il n'est pas possible que ce qu'il voit ne se fasse réellement : mais l'auteur de l'action agit avec une entière liberté; et il pouvait faire, en agissant autrement, que le témoin qui le regarde, vît une action toute différente. De même il est impossible que Dieu se trompe dans sa prescience, et que ce qu'il a prévu n'arrive point. Mais cette prévision n'influe pas sur le choix volontaire et libre de la créature: et si celle-ci, comme il dépendait d'elle, avait fait un autre choix, la prévision de Dieu n'aurait pas eu le même objet.

On ajoutera aux incrédules que la prescience divine, par la raison même qu'elle est infaillible, doit s'étendre non-seulement sur les actions futures, mais encore sur les circonstances de ces actions. Sont-elles l'effet d'une nécessité inévitable? Dieu les a prévues comme nécessaires. Sont-elles librement produites? Dieu les a aussi prévues comme libres. Et puisqu'il ne peut pas plus se tromper dans la manière que dans la réalité même de ce qu'il prévoit, soutenir que l'infaillibilité de la prescience divine détruit la liberté des actions humaines, c'est tomber dans une contradiction manifeste.

Voilà ce qu'on peut dire de plus raisonnable et de plus simple, pour soulager l'esprit humain accablé sous la majesté d'un Dieu qui a connu de toute éternité les actions futures des êtres intelligents qu'il a voulu créer. On dispense les incrédules, s'ils sont contents de ces réponses, d'entrer plus avant dans l'examen des systèmes qui partagent les écoles. On y agite sur la science de Dieu et sur le libre arbitre de l'homme beaucoup d'autres questions, qui peuvent être ignorées sans péril, et dont l'étude serait déplacée dans les incrédules. Il y a pour eux quelque chose de plus pressé que de discuter les décrets prédéterminants des Thomistes, et la science moyenne des Molinistes. Ils doivent convenir d'abord, je ne dis pas seulement avec ces écoles, mais avec toutes les sectes chrétiennes, des principes fondamentaux de la religion. La prescience est du nombre de ces principes. On a

vu que l'idée scule de Dieu en démontre la certitude. On a vu comment on peut l'allier, par le secours du raisonnement, avec le libre arbitre, qui n'est pas d'ailleurs moins évidemment prouvé que la prescience. C'en est assez pour décider contre les incrédules, qui voudraient douter de cette prescience, la question de droit, avant même que d'établir le fait par les prophéties que nous devons examiner.

Il était digne de Dieu de confondre ces doutes injurieux à sa perfection infinie par des preuves de fait aussi convaincantes en elles-mêmes, et plus intelligibles à la plupart des hommes que des démonstrations métaphysiques. On peut croire, sans se rendre coupable de présomption, que c'est une des fins que Dieu s'est proposée, en inspirant tant de prophètes. Il manifeste chacun de ses attributs par des opérations qui lui sont conformes: sa bonté, par les bienfaits qu'il répand; sa justice, par la punition du péché; sa prescience, par la prédiction des choses futures. Tous ces effets concourent néanmoins à faire éclater la grandeur et la souveraineté de son être, à distinguer son langage lorsqu'il parle aux hommes, et à confirmer la vérité de ce qu'il leur déclare. Mais parmi ces admirables effets, quel autre plus capable que la prophétie de prouver la divinité d'une révélation ?

Toutes les manières dont il a plu à Dieu d'autoriser ses oracles sont également respectables. On n'a garde d'en élever aucune en dégradant les autres. Les miracles en particulier suffiraient, au défaut de toute autre preuve, pour le triomphe de la foi sur l'incrédulité. Toutefois, s'il est permis à l'esprit humain de comparer ensemble, non les œuvres divines en ellesmêmes, mais les diverses impressions qu'elles font en lui, il semble qu'il doive être plus étonné d'une prophétie que d'un miracle; et que, ne pouvant méconnaître dans l'un et dans l'autre l'opération de Dieu, il la trouve plus marquée dans une prédiction de l'avenir, que dans une interruption des lois de la nature. Dans le miracle, la matière, qui est un être purement passif, obéit à Dieu sans résistance. Elle prend sous sa main des formes et des arrangements auxquels nous ne sommes pas accoutumés, mais qui n'altèrent pas son essence, et n'excèdent pas l'idée que nous avons naturellement de la toute-puissance du Créateur. Aussi n'est-ce pas le défaut de pouvoir qu'opposent à Dieu ceux qui contestent avec Spinosa la pos sibilité des miracles. Ils ne se fondent que sur son immutabilité. Comme s'il n'était pas aisé de concevoir que Dieu, sans changer de volonté, peut changer les lois de la nature; le même décret, qui est éternel, ayant embrassé tout à la fois et l'établissement et l'interruption de ces lois! Mais il est plus difficile de comprendre coinment une action non-seulement libre, mais au-dessus de toutes les conjectures, souvent même opposée à toutes les apparences, a pu être prévue avec certitude plusieurs siècles avant qu'elle arrivât. Et s'il est si difficile de l'imaginer d'une scule action, combien plus d'une multitude d'événements aussi peu liés les uns aux autres, qu'à ce qui se pas

sait dans le temps de leur prédiction. De là vient que des philosophes, aussi éclairés qu'ils pouvaient l'être dans les ombres de l'idolatrie, tels que Cicéron (1), n'ont pu se résoudre à croire l'infaillibilité de la prescience divine. De là vient que d'autres auteurs, qui, sans abjurer le christianisme, ont voulu en retrancher tous les mystères, comme les Sociniens, ont combattu cette même infaillibilité. Les objections que les incrédules proposent avec eux contre ce dogme se tournent donc en preuves contre eux. Plus il leur paraît étrange que Dieu ait prévu ce que l'homme pouvait ne pas faire, plus ils rendent hommage à l'excellence de la prophétie, moins ils peuvent se dispenser de reconnaître la divinité d'une religion appuyée sur un témoignage si peu vraisemblable, selon eux, et néanmoins si réel et si positif.

Une autre raison qui donne à la preuve tirée des prophéties une espèce de supériorité, est celle qu'ont fait valoir les premiers défenseurs du christianisme. Il est des prophéties, et ce sont précisément les plus merveilleuses et les plus décisives pour la religion, dont l'accomplissement n'a pas même besoin d'être prouvé. On voit de ses propres yeux les événements prédits. Il suffit alors, pour se convaincre que Dieu a parlé, de savoir que les prophéties ont précédé les événements. Et qui peut sérieusement le nier, lorsqu'on les voit entre les mains d'une nation plus ancienne que le christianisme, et qui, loin de les avoir reçues des chrétiens, aurait un intérêt essentiel à détruire des monuments si favorables pour eux? Il y a quelque chose de moins palpable dans les miracles qui servent de fondement à la religion, tels que ceux de Moïse et de Jésus-Christ. Je sais qu'ils sont indubitables pour quiconque les examine avec un peu d'application. Mais ils n'ont plus de témoins oculaires, comme en a l'état du peuple juif ou celui de l'Eglise chrétienne.

C'est le sens dans lequel on explique avec raison un texte de l'apôtre saint Pierre. Il avait d'abord allégué, en preuve de la mission divine de Jésus-Christ, sa transfiguration glorieuse sur le Thabor, et cette voix descendue du ciel qui l'avait déclaré sur la montagne sainte le Fils bien aimé de Dieu. Saint Pierre se donnait lui-même pour témoin de ces faits (2). Il avait vu la majesté de Jésus-Christ. Il avait entendu la voix du Père céleste; et il ne prétendait pas que son témoignage pût être rejeté comme suspect. Les miracles qu'il faisait pour l'autoriser, le caractère irréprochable de sa personne, ses souffrances, étaient des garants assez surs de sa sincérité. Cependant,

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queique recevable que fût son témoignage, saint Pierre lui préfère les oracles des prophètes comme plus authentiques: Et habemus firmiorem propheticum sermonem. C'est que les hommes auxquels il parlait, et qui devaient dans la suite des siècles lire son Épître, n'avaient pas vu, comme lui, les faits qu'il leur racontait au lieu que l'accomplissement des prophéties était dès lors présent aux yeux, et devait encore l'être d'une manière plus sensible, à mesure qu'il acquérait par la révolution des années plus d'éclat et de stabilité. Et les hommes étant plus disposés à croire ce qu'ils voient eux-mêmes, que ce qu'ils entendent dire aux témoins les plus dignes de foi, saint Pierre ne balançait pas à reconnaître plus de force pour la conviction des esprits dans l'accomplissement des prophéties, que dans les prodiges qui avaient accompagné l'avénement de Jésus-Christ.

Ajoutons un dernier motif de préférence, qui n'a pas non plus échappé aux saints Pères. Les miracles prouvent évidemment la vérité du christianisme. Mais ils laissent quelques subterfuges à ses ennemis. Les Juifs, et après eux Celse et Porphyre, ont attribué ces miracles à la magie. Cette réponse est trop contraire aux principes de nos incrédules pour qu'ils l'adoptent. La magie n'est pas moins chimérique pour eux que les vrais miracles. Il est plus de leur goût de soupçonner de l'imposture et de la fourberie dans les faits extraordinaires dont ils ne peuvent absolument nier toutes les circonstances. Quelque frivoles que soient ces deux accusations, il n'est pas même possible de s'en servir contre l'accomplissement des prophéties. Dira-t-on, suivant la remarque de saint Augustin (1), que Jésus-Christ par un enchantement magique ait suscité, plusieurs siècles avant sa venue, des prophètes pour prédire tout ce qui devait lui arriver? Ici les anciens ennemis du christianisme sont forcés de se taire. Y a-t-il plus d'apparence à soutenir que les caractères du Messie ayant été prédits au hasard, Jésus-Christ, pour s'en faire honneur, a subi volontairement une mort cruelle et ignominieuse? Nous attendons qu'une telle absurdité soit sortie de la bouche des incrédules, pour les croire capables de l'avoir pensée. Mais quand ils en seraient réduits à cette extrémité, expliqueraient-ils comment JésusChrist, dans le dessein de se faire regarder comme le Messie prédit, a pu choisir la tribu dont il devait naître, le temps et le lieu de sa naissance, une croix pour l'instrument de son supplice, du vinaigre pour étancher sa soif dans les derniers moments, des bourreaux pour diviser entre eux une partie de ses vêlements, et tirer l'autre au sort? Le mensonge n'a donc pas plus de part que la magie à l'accomplissement des prophéties; et cette preuve est entièrement à l'abri des injustes soupçons formés contre les miracles.

Il n'est pas surprenant qu'une preuve si lumineuse ait été souvent employée par Jésus-Christ, l'objet des

(1) Lib. 12 contra Faustum, c. 45.

prophéties, par les apôtres, par les saints Pères, par tous les auteurs ecclésiastiques qui ont entrepris à leur exemple l'apologie de notre religion. Il n'est point de preuve qui ait plus contribué à la conversion des infidèles et à la propagation du christianisme. Il s'est trouvé, je l'avoue, des écrivains audacieux qui, préférant dans l'explication des prophéties l'autorité des rabbins à celle de toute l'antiquité chrétienne, ont réduit aux seuls miracles les fondements de notre croyance. Mais ils ont tenté inutilement de nous arracher des armes tant de fois victorieuses. Elles ont terrassé les Juifs et les Païens. J'espère qu'on verra dans cet ouvrage qu'elles ont la même force contre les incrédules modernes.

L'usage que je prétends en faire est même plus dégagé de toute controverse épineuse, que s'il fallait livrer de nouveaux combats aux anciens adversaires du christianisme et nos incrédules seraient vaincus, quand on leur accorderait ce que les Juifs et les Chrétiens judaïsants ont avancé sur les prophéties qui regardent Jésus-Christ et son Eglise. Ceux-ci ne disconviennent pas qu'il n'y ait dans le corps des saintes Écritures des prophéties véritablement accomplies. Ils sont contents, pourvu qu'on leur permette de détourner à d'autres personnes et à d'autres événements les oracles dont on fait l'application à JésusChrist. Les incrédules en demandent davantage. Comme ils ne connaissent aucune religion révélée, et qu'ils méprisent également les Écritures admises par les Juifs, et celles qui entrent dans le canon des Chrétiens, ils rejettent par une conséquence nécessaire toutes les prédictions. Leur prouver l'accomplissement d'une seule, c'est renverser leur système. Je veux pour un moment qu'il faille recevoir les interprétations judaïques qui font cadrer à Ezéchias, à Josias, à Jérémie, à Zorobabel, à Judas Machabée, les prophéties que les apôtres et les Pères ont entendues de Jésus-Christ. Nous aurons alors une preuve de moins en faveur de la religion chrétienne. Mais les Juifs profiteront seuls de notre perte et puisqu'enfin ces prophéties, de quelque manière qu'on les explique, ont eu un accomplissement véritable, l'incrédulité demeure toujours confondue.

Que si elle croit pouvoir tirer quelque avantage d'une prétendue obscurité, qu'il est néanmoins trèsfacile de dissiper, que répondra-t-elle à ces prophéties où les Juifs et les Chrétiens, d'un commun accord, ont toujours trouvé le même accomplissement? A celles qui ont appelé Cyrus par son nom deux cents ans avant sa naissance, qui ont annoncé ses conquêtes, le siége et la prise de Babylone, la ruine entière et la profonde humiliation de cette ville autrcfois si puissante et si orgueilleuse? A celles qui ont prédit avec tant de clarté la chute des quatre plus grands empires qu'on eût vus dans le monde; l'irruption de Xerxès dans la Grèce, celle d'Alexandre dans l'Asie, la marche rapide et les prodigieuses victoires de ce conquérant, le partage de ses états entre quatre successeurs qui ne seraient pas issus de son sang,

les guerres et les trompeuses alliances des rois d'Egypte et de Syrie, les fureurs d'Antiochus contre Jérusalem? Pour juger de la divinité de toutes ces prophéties, on n'exige pas des incrédules un long et pénible examen. Qu'ils se souviennent de ce qu'ils ont lu dans toutes les histoires, et qu'ils disent de bonne foi par quelle lumière Isaïe et Daniel ont pu connaître et annoncer de si loin de tels événements. L'inspiration peut-elle être marquée à des traits plus sensibles? Mais s'ils la reconnaissent dans ces deux hommes, tout est décidé contre eux. S'il y a des prophètes, il faut croire ce qu'ils ont enseigné. De Daniel et d'Isaïe, on remonte bientôt à David et à Moïse; et en reprenant cette chaîne, on ramène inévitablement les incrédules à Jésus-Christ et à la nouvelle loi.

En parlant ainsi, mon dessein n'est pas de négliger dans cet ouvrage les prophéties qui regardent directement Jésus-Christ. Ce serait se priver dans la réfvtation des incrédules d'un trop grand avantage. Les preuves qui accablent les Juifs tombent également sur ceux qui font profession de ne rien croire. Je les exposerai donc, mais sans m'assujétir à la méthode qu'on suit ordinairement contre les Juifs, et sans supposer, avec des adversaires tels que les incrédules, la vérité de la révélation judaïque.

On ne doit pas s'attendre à voir ici des types et des allégories. J'ai toujours été persuadé que les figures, même les plus respectables, sont plus propres à l'édification des fidèles qu'à la conviction des ennemis du christianisme. Peut-être aurai-je un jour le loisir de traiter avec quelque détail cette fameuse question, d'en approfondir les principes, en prenant pour guide la tradition, d'indiquer un juste milieu entre les deux extrémités vicieuses, dont l'une condamne indistinctement toutes les figures, et n'approuve tout au plus que celles qui sont expressément marquées dans le nouveau Testament; l'autre commence, à la vérité, par avouer qu'il y a quelques endroits dans l'ancien Testament qui ne sont pas figuratifs, mais permet ensuite d'y chercher partout des figures, use ellemême de cette prétendue liberté en adoptant les allégories les plus froides et les plus forcées, propose de faibles conjectures comme des preuves concluantes, et, ce qui est encore plus répréhensible, dégrade la lettre malgré les protestations qu'elle fait de la respecter, étend les figures au-delà de la personne de Jésus-Christ et des caractères généraux de l'Eglise chrétienne, cherche dans les livres saints les personnes et les événements qui l'intéressent, et par un dernier attentat livre les divins oracles au délire fanatique d'un esprit révolté contre l'autorité légitime.

Je me bornerai dans la matière présente aux prophéties purement littérales. Je n'entreprendrai pas même, en les expliquant, de réfuter directement la dangereuse opinion qui, dans les plus magnifiques et les plus claires de ces prophéties, joint un premier accomplissement à celui qui regarde Jésus-Christ et son Eglise. Il me suffit aujourd'hui que les partisans de cette opinion reconnaissent ce dernier accomplis

sement comme véritable, comme littéral, comme démonstratif en faveur de la religion chrétienne. Je prends droit de cet avcu, sans examiner comment il s'accorde avec le premier sens qu'ils donnent à ces prophéties. Si dans l'application qui en sera faite à Jésus-Christ, on trouve une exclusion manifeste de ce sens étranger, il faudra l'attribuer à la force et à l'énergie du texte, qui n'est susceptible d'aucune autre interprétation et j'ose défier les incrédules de détruire la mienne, en rétablissant celle que j'aurai rejetée. Qu'ils étudient, j'y consens, les raisons sur lesquelles ces hardis critiques fondent leur système. Mais qu'ils conviennent ensuite que Jésus-Christ doit être bien visible dans ces prophéties, puisque les interprètes, qui prétendent y apercevoir un sens qui ne se rapporte pas à lui, ne peuvent cependant l'y mé

connaître.

Mais il faut avant toutes choses leur apprendre sous quelles conditions on exige que leur incrédulité se rende à l'argument tiré des prophéties. Ils jugeront par cet exposé qu'on n'a pas dessein de les surprendre, qu'on ne prodigue point à de légères preuves le nom de démonstration, et que si la religion chrétienne leur ordonne de croire des mystères inconcevables, ce n'est qu'après en avoir acquis le droit par des motifs invincibles de crédibilité.

Il n'y aurait jamais eu dans le monde des oracles trompeurs, si les hommes n'eussent été intimement persuadés que Dieu, qui possède la science de l'avenir, daigne quelquefois la communiquer à ceux qu'il inspire. Une folle curiosité dans les uns, et la cupidité dans les autres, ont produit cette fausse imitation de la prophétie. On l'a vue parmi les païens, non pas toujours à la vérité par la malice seule des hommes, ainsi que l'ont prétendu Wandale et l'ingénieux (1) auteur qui a donné à ce nouveau système un tour si agréable. Car il est certain que, si une fourberie toute humaine a présidé à la plupart des oracles du paganisme, le démon, par une permission particulière de Dieu, a souvent dicté les réponses des prêtres et des prêtresses des idoles; et le savant père Baltus, jésuite, a mis le sentiment des Pères sur ce point dans un degré d'évidence qui ne permet plus de penser autrement. On a vu de même de faux oracles parmi les Juifs. Mais dans quelque nation qu'ils aient été prononcés, il y a toujours eu des différences essentielles et palpables entre eux et les vraies prophéties.

La plus importante est celle qui est si souvent et si fortement inculquée dans l'Ecriture sainte. Prévoir les événements futurs qui dépendent d'une cause libre, est un attribut incommunicable de la Divinité : les prédire est une opération qui surpasse les lumières, non-seulement de l'homme le plus éclairé, mais de toute intelligence créée. Un astronome peut connaître avec certitude et annoncer par avance des phénomènes naturels, suites nécessaires de la révolution

(1) Histoire des Oracles, par M. de Fontenelle.

constante et uniforme des corps célestes. Ainsi sont prédites les éclipses par un calcul aussi infaillible que les lois de la nature sont invariables. Un habile politique qui connait parfaitement les hommes et leurs différentes mœurs, qui a fait de profondes réflexions sur les événements qui l'ont précédé, et sur ceux qui se passent de son temps, peut former d'heureuses conjectures sur l'avenir. Ainsi le judicieux Polybe, en examinant la diverse constitution des républiques de Rome et de Carthage, a sagement conjecturé ce qui devait arriver à l'une et à l'autre. Mais il pouvait le faire sans être prophète; et tous ceux qui raisonnent de la sorte n'ont besoin pour cela que d'une prudence qui n'est pas toujours exempte d'erreur, quelque clairvoyante qu'elle puisse être. Les esprits dégagés de tout commerce avec la matière ont encore plus de pénétration et de sagacité que les hommes, soit pour la prévision des effets purement physiques, soit pour la combinaison de l'avenir avec le passé. Ils peuvent même savoir et découvrir aux autres des secrets inaccessibles à l'esprit humain. Ainsi, selon la remarque de quelques Pères, ont-ils prédit des maux dont ils devaient être les auteurs. Ainsi ont-ils manifesté dans un endroit ce qui était arrivé dans un autre lieu trop éloigné pour qu'il fût humainement possible d'en être si promptement instruit. Mais la prévision certaine des actions libres est au-dessus de leurs lumières. Elle est réservée à la nature divine. Des oracles trompeurs, soit qu'ils fussent rendus par l'influence de ces esprits pervers, soit qu'ils n'eussent d'autre principe que la fourberie des devins consultés, n'ont jamais prédit des événements de cette espèce; et toutes les fois qu'ils ont voulu en parler, l'ambiguité de leurs réponses a décelé leur ignorance.

L'accomplissement d'une prophétie sur des événements qui dépendent d'une cause qui agit avec liberté, est donc un témoignage incontestable de l'inspiration divine. Voici le signe (1), disait Moïse, auquel vous distinguerez les paroles que Dieu n'a pas inspirées. Lorsqu'un prophète aura prédit au nom du Seigneur un événement qui ne sera pas arrivé, le Seigneur n'a pas parlé par sa bouche. C'est une fiction de ce téméraire prophète, et alors vous le mépriserez. Isaïc, quoique persuadé avec le Psalmiste (2) que les démons étaient les dieux des gentils, les défiaft (3) d'annoncer les choses futures, et il leur offrait à cette condition de reconnaître leur divinité. Jérémie confondait par la même preuve l'audace d'un de ces imposteurs qui usurpaient sans mission le ministère prophétique. Il le ramenait à l'exemple des prophètes qui les avaient précédés l'un et l'autre. Il sommait le peuple juif de les juger tous deux sur cet exemple, et de n'accorder le titre d'envoyé de Dieu qu'à celui dont les

(1) Deuter. 18, 21, 22.

(2) Ps. 95, 5.

(5) Annuntiate quæ ventura sunt in futurum. et sciemus quia dii estis vos. Is. 41, 25.

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