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l'autre quelques traits de cette générosité, de cette grandeur, de cette délicatesse qu'elle a rêvées, quelque chose enfin, comme on dit, de son idéal. On pense qu'on l'a enfin rencontré, on le pense d'abord, on finit par le dire; on le laisse deviner du moins, si on ne l'avoue pas, ce qui est presque plus dangereux que l'aveu. Ce sont là les ravissants préludes de l'affection naissante, et dans cette période du premier enchantement, tout se tourne aux nobles désirs; c'est entre les deux âmes une sorte d'émulation chevaleresque à bien faire, à sentir généreusement et plus haut que le reste du monde, pour se rendre plus digne de l'autre et se rapprocher de son niveau. A ces imaginations exaltées la vertu semble trop facile; il faut des luttes difficiles, on aspire à de plus rares triomphes: on invoque une de ces circonstances exceptionnelles où l'on puisse faire éclater l'héroïsme que l'on sent frémir dans son cœur. L'occasion vient à qui l'invoque et l'épie au passage. Elle arrive bientôt pour ces amants de l'idéal. A force de s'étudier mutuellement, de découverte en découverte, on arrive à se persuader qu'il existe, de son âme à l'autre, un si grand nombre de points de contact et de si visibles rapports, que l'on est tenté de les expliquer par une de ces harmonies préétablies, par un de ces mariages d'âme, contractés dans une vie antérieure ou

espérés dans la vie future, et dont on tient à faire honneur à Dieu. La seconde période commence, celle de l'héroïsme. Il ne faut rien moins que cela pour renvoyer à une autre vie les voluptés idéales de cet hymen spirituel, si visiblement providentiel, et pour n'en pas trop vouloir aux circonstances et aux personnes dont la rencontre vous a détourné de la voie où était le bonheur. C'est alors tout un grand orage qui s'élève dans les profondeurs de l'âme, orage furieux de désirs chimériques et de passions révoltées. On s'anime à la lutte; l'héroïsme coule à pleins bords dans la vie. L'âme s'étonne de son courage, elle s'exalte et s'enivre de ce beau spectacle qu'elle se donne à elle-même, elle jouit de sa force, elle a le vertige de sa grandeur. Attendez un peu, son triomphe lui devient un piége. Sûre d'elle-même et de son amère victoire, elle ne croit plus qu'il soit opportun de combattre, mais elle réfléchit douloureusement sur le combat. Elle s'attriste de ce que tant d'héroïsme soit compté pour rien, précisément par ceux qui devraient lui en savoir le plus de gré; elle veut bien être magnanime, mais c'est à condition qu'on s'en aperçoive. Quel prix a-t-elle reçu de ces immolations secrètes à un devoir ingrat, de cette passion comprimée d'une main violente et qui dévore silencieusement son cœur? Et l'autre héros, ne faut-il pas le récompenser un peu

de tant d'efforts? Est-il juste de le laisser périr à la peine et ne doit-on pas au moins lui montrer sensiblement que son dévouement est compris? Tant de sacrifices ne sont-ils pas des droits? Et alors se produit ce tournoiement d'esprit dont nous parle saint François de Sales, qui trouble le jugement et qui fait croire qu'on fait bien encore en mal faisant. Pour la fin de l'histoire, voyez la fin de tous les romans. La moralité, c'est que l'âme la mieux née se soutient difficilement à ces hauteurs de l'amour désintéressé. Elle voudrait sincèrement s'y maintenir, elle y arrive même parfois, on le sait. Mais pour deux qui s'y maintiennent, combien qui tombent, et de quelle chute! L'amour platonique est une vertu à laquelle toutes les nobles imaginations aspirent. Il en coûte de le dire, c'est presque une chimère dans la vie.

Le privilége du bon sens est de ne pas vieillir. Il saisit d'une vue si nette la vérité dans l'éternel fond de l'homme, que l'expression en reste juste à travers les modifications des mœurs et du temps. Saint François de Sales a raison aujourd'hui contre les spiritualités romanesques de l'amour, comme autrefois contre les amitiés dévotes dont il dévoilait le dangereux attrait. Nous n'avons choisi qu'un chapitre dans cette série de chapitres si délicats et si variés. Sur tous, nous aurions pu faire la même

étude et le même travail de transposition. C'est ainsi qu'on arrive sans peine à dégager, des formes spéciales de la plus pure mysticité, une suite de conseils excellents, applicables à la vie de chaque jour. C'est ainsi qu'en interprétant les avis de la direction spirituelle dans un sens tout voisin et à peine altéré, l'honnêteté même mondaine peut profiter à cette lecture aussi bien que la piété la plus raffinée, et chaque âme peut se faire à soimême cette douce illusion d'être la privilégiée à laquelle ces entretiens s'adressent à travers les siècles, d'être la Philothée de saint François de Sales.

III

Fénelon semble être le directeur de choix des grands seigneurs et des grandes dames. Ses lettres sont adressées aux plus illustres noms de France. Des maisons considérables tout entières sollicitent ou acceptent sa direction. Il a, parmi ses clients spirituels, toute la famille du grand Colbert, le marquis de Seignelai, ses sœurs, les duchesses de Beauvilliers, de Chevreuse, de Mortemart; ses beaux-frères, les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, M. Colbert, l'archevêque de Rouen. Joignez-y des prélats considérables dans le monde, comme

l'Electeur de Cologne, des femmes qui tenaient un haut rang à la cour, comme la comtesse de Gramont, celle enfin qui tenait le premier rang entre toutes, Mme de Maintenon. Est-ce l'effet de tous ces grands noms qui se pressent dans ses Lettres spirituelles? Est-ce l'effet de ce style aux grâces nonchalantes, où l'on ne sait qu'admirer le plus de l'aisance naturelle ou de la distinction parfaite? Je l'ignore. Toujours est-il qu'il sort de ces délicieux volumes comme un parfum d'aristocratie. Oui, d'aristocratie. Le mot est juste, même dans ces matières de pure spiritualité. On ne gouverne pas, semble-t-il, l'âme d'une Chevreuse comme on gouverne une âme bourgeoise. Au fond, les vertus recommandées sont les mêmes; mais elles trouvent pour s'exercer d'autres circonstances et un autre théâtre. Les sentiments à réprimer, ceux à exciter sont les mêmes aussi; la piété ne change pas de conditions ni de règles, la sainteté ne change pas d'idéal. Quelque chose change pourtant dans l'application des mêmes vérités, quelque chose aussi dans la manière de les exprimer. Il ya une parfaite convenance entre cette clientèle illustre et le style de Fénelon, ce style né grand seigneur. Je ne craindrai pas de généraliser ma pensée. Le style de Fénelon est un style aristocratique, parce que Fénelon lui-même est un pur aristocrate. On se récriera, on me citera tous les lieux communs

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