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des piéges du monde et de lui donner ce goût des choses divines auprès duquel toute saveur est fadé. Mais il n'excède pas un seul instant le droit rigoureux de la direction. Rien n'égale la discrétion de sa tendresse ni la délicatesse de ses con+ seils. Il a horreur de ces violences de zèle, qui, sous prétexte de conduire l'âme à l'héroïsme religieux, lui inspirent un dangereux esprit de révolte contre la famille et le monde où sa condition l'oblige à vivre. Voici quelques pensées de saint François de Sales, qui mettront dans tout son jour cette modération exquise et ce tact parfait : « Dieu, dit-il, commanda en la création aux plantes de porter leurs fruits chacun selon son genre, ainsi commande-t-il aux chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Église, qu'ils produisent des fruits de dévotion, un chacun selon sa qualité et vocation.... Il faut accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier. Je vous prie, Philothée, serait-il

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propos que l'évêque voulût être solitaire comme les chartreux? Et si les mariés ne voulaient rien amasser non plus que les capucins, si l'artisan était tout le jour à l'église comme le religieux', cette dévotion ne serait-elle pas ridicule, déréglée et insupportable?... Non, Philothée, la dévotion ne gâte rien quand elle est vraie, ains elle perfectionne tout, et lorsqu'elle se rend contraire ài lạ

légitime vocation de quelqu'un, elle est sans doute fausse... Non-seulement la vraie dévotion ne gâte nulle sorte de vocation ni d'affaires, mais au contraire elle les orne et les embellit: le soin de la famille en est rendu paisible, l'amour du mari et de la femme plus sincère, le service du prince plus fidèle, et toutes sortes d'occupations plus suaves et aimables... Où que nous soyons, nous pouvons et devons aspirer à la vie parfaite. »>

François de Sales n'oublie jamais qu'il écrit pour une personne obligée de tenir son rang dans le monde, et il s'efforce de marquer le milieu juste entre deux extrémités blâmables qui seraient de rechercher ou de fuir avec excès la société. C'est dans ce milieu sagement gardé que réside la vraie dévotion civile. Il n'interdit à Philothée que les conversations mauvaises: Les autres conversations ont pour leur fin l'honnêteté, comme sont les visites mutuelles, et certaines assemblées qui se font pour honorer le prochain. Et, quant à celleslà, comme il ne faut pas être superstitieuse à les pratiquer, aussi ne faut-il pas être du tout incivile à les mépriser; mais satisfaire avec modestie au devoir que l'on y a, afin d'éviter également la rusticité et la légèreté. C'est un vice, dit-il expressément, que d'être si rigoureux, agreste et sauvage, qu'on ne veuille prendre pour soi ni permettre aux autres aucune sorte de récréation.

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Pour toutes les récréations qui n'exposent pas la vertu, il n'est besoin, pour en bien user, que de la commune prudence, qui donne à toute chose le rang, le temps, le lieu, la mesure. Dansez même et jouez, pourvu que ce soit par récréation et non par affection, pour peu de temps, et non jusqu'à se lasser ou étourdir. Dansez et jouez, quand, pour condescendre et complaire à l'honnête conversation en laquelle vous serez, la prudence et discrétion vous le conseilleront car la condescendance, comme le surgeon de la charité, rend les choses indifférentes bonnes, et les dangereuses permises.... Je vous dis des danses, Philothée, comme les médecins disent des champignons : les meilleurs n'en valent rien, disent-ils, et je vous dis que les meilleurs bals ne sont guère bons: si néanmoins il faut manger des champignons, prenez garde qu'ils soient bien apprêtés. S'il faut aller au bal, prenez garde que votre danse soit bien apprêtée. Mais comment faut-il qu'elle soit accommodée? de modestie, de dignité et de bonne intention.» N'est-ce pas là une dévotion qui a bien du charme? Et n'y a-t-il pas comme un sourire dans cette sagesse qui conduit Philothée jusqu'au bal?

Ne croyez pas pourtant qu'un seul instant la vigilance du pasteur s'endorme. Il est vif et pressant sur le chapitre des engagements, et même des

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simples badinages du cœur. Il n'ignore pas que c'est là le charmant péril des âmes généreuses, et que les plus aimables qualités peuvent devenir autant de piéges. Les âmes sèches sont à l'abri du péril; elles trouvent leur sécurité dans leur froideur. Ce qui n'est pas aimable aime difficilement. Mais la bonté, la tendresse, la sensibilité, voilà ce qui attire et ce qui produit l'amour; voilà ce que le bon évêque redoute pour sa chère Philothée. Aussi le voit-on insister beaucoup sur cette délicate matière « L'amour tient le premier rang entre les passions de l'âme : c'est le roi de tous les mouvements du cœur. Il convertit tout le reste à soi, et nous rend tels que ce qu'il aime. Prenez donc bien garde, ma Philothée, de n'en point avoir de mauvais, car tout aussitôt vous seriez toute mauvaise. » Il y a dans cette partie du livre toute une psychologie de l'amour, où se révèle, sous des formes d'une adorable naïveté, une profonde expérience. Saint François de Sales indique d'abord à Philothée les variétés de la mauvaise et frivole amitié, et il se mêle à cette analyse des faiblesses du cœur de vifs portraits, tirés du monde. Nous en choisissons quelques-uns, presque au hasard : « L'amitié fondée sur la communication des plaisirs sensuels est toute grossière, indigne du nom d'amitié; comme aussi celle qui est fondée sur des vertus frivoles et vaines, parce que ces vertus dépendent aussi des

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sens. J'appelle vertus frivoles certaines habiletés et qualités vaines, que les faibles esprits appellent vertus et perfections. Oyez parler la plupart des filles, des femmes et des jeunes gens, ils ne se feindront nullement de dire un tel gentilhomme est fort vertueux, il a beaucoup de perfections, car il danse bien, il joue bien à toutes sortes de jeux, il s'habille bien, il chante bien, il cajole bien, il a bonne mine. Or, comme tout cela regarde les sens, aussi les amitiés qui en proviennent s'appellent sensuelles, vaines et frivoles, et méritent plutôt le nom de folâtrerie que d'amitié. Ce sont ordinairement les amitiés des jeunes gens, qui se tiennent aux moustaches, aux cheveux, aux œillades, aux habits, à la morgue, à la babillerie: amitiés dignes de l'âge des amants, qui n'ont encore aucune vertu qu'en bourre, ni nul jugement qu'en bouton; aussi telles amitiés ne sont que passagères, et fondent comme la neige au soleil.... Et, bien que ces sottes amours vont ordinairement fondre et s'abîmer en des sensualités fort vilaines, si est-ce que ce n'est pas le premier dessein de ceux qui les exercent, ceux-ci s'arrêtant seulement à détremper leurs cœurs en souhaits, désirs, soupirs, mugueteries, et autres telles niaiseries et vanités. » Nul n'excelle comme le sage directeur à pénétrer les frivoles prétentions et la vanité des motifs qui se cachent au fond de ce qu'il appelle dédaigneusement les

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