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TROISIÈME ÉTUDE.

LA DIRECTION DES AMES

AU DIX-SEPTIÈME SIÈCLEe.

Je viens de faire une lecture qui m'a jeté tout d'un coup dans un autre siècle et dans un autre monde que celui où nous vivons, dans une sphère d'idées et de sentiments si différente que le récit de cette excursion morale pourra n'être pas sans intérêt, au moins par contraste avec notre existence moderne si affairée, si répandue en surface, toute en dehors.

Cette littérature de Lettres spirituelles1 demande pour être goûtée des saisons et des jours propices. Elle ne supporte guère la vie de Paris. Elle veut des conditions toutes particulières de solitude et de silence, une sorte de climat moral qui porte au

1. A propos de la Bibliothèque spirituelle, publiée par M. de Sacy, de l'Académie française.

recueillement. Si vous mêlez cette lecture au tumulte de la vie extérieure, il y a bien des chances pour que vous en gâtiez l'impression et que vous en dissipiez le parfum. Mais supposons que vous ayez emporté avec vous quelques-uns de ces petits livres, d'un style exquis et rare, au fond d'une campagne, et que vous en lisiez chaque jour quelques pages sous les ombrages jaunissants d'automne, dans une paix profonde autour de vous et en vous, il semble que vous devrez mieux goûter ce qu'il y a de noble dans ce commerce affectueux entre quelques âmes d'élite. Vous y recueillerez je ne sais quelle saveur de divin qui pénétrera le fond de votre être. Vous vous croirez un instant meilleur, et qui sait? vous le deviendrez peut-être en mettant votre âme en contact avec ces âmes qui sont la bonté, la pureté même, et dont il émane. comme une fortifiante vertu.

Tel est, à un certain degré, l'effet que vient de produire sur nous la lecture attentive et continue de quelques-uns de ces petits livres, dans lesquels l'éditeur, amoureux de son œuvre, a recueilli les plus précieux restes de la littérature de piété au dix-septième siècle. Et qu'on ne se méprenne pas au sens de ce mot. De nos jours, la littérature de piété s'est montrée singulièrement stérile. Je ne comprends pas sous ce nom, bien entendu, les œuvres de haute philosophie ou de polémique

religieuse. Je veux parler de tous ces petits traités de dévotion, écrits avec fadeur ou vulgarité, et qui sentent la pacotille. - Au dix-septième siècle les plus grands évêques, les plus grands écrivains ne dédaignaient pas de travailler à enrichir le trésor de cette littérature édifiante. Rien de moins mesquin d'ailleurs que cette vraie piété dont Nicole ou Bossuet, saint François de Sales et Fénelon nous ont retracé les conditions et les règles. Ces maîtres de la vie intérieure ont horreur de tout ce qui rapetisse l'âme, de tout ce qui la tient captive dans la formule et dans la routine. Ils croient la rendre plus digne de Dieu en la faisant plus libre; ils affranchissent son élan pour qu'elle se porte plus droit et plus haut. En même temps qu'elles sont un modèle de piété, leurs œuvres sont un modèle de sagesse, de rectitude, de bon sens élevé et en un sens libéral; car toute chose est libérale qui élève l'esprit ou qui élargit le cœur.

Avouons pourtant, pour être tout à fait sincère, que ce qui nous a invité et retenu à cette lecture c'est l'attrait littéraire autant et plus peut-être que l'attrait religieux. Les habitudes profanes de la vie du siècle, pour parler le langage de notre sujet, nous permettent difficilement de ne rechercher dans ces pieux volumes qu'un fruit d'édification et de foi. Cet idéal de pureté morale

et de désintéressement absolu étonne et confond notre faiblesse. Il nous semble toujours que Fénelon et Bossuet écrivent et parlent pour d'autres âmes que les nôtres, pour une autre humanité. Leurs conseils et leurs avis spirituels portent plus haut que nous. Cette recherche curieuse de la perfection, en bonne conscience, nous ne pouvons l'appliquer à nous-mêmes, tant que s'agitent en nous les plus humaines passions: ne faut-il pas songer à être vertueux, avant de songer à être saint? Le juste sentiment de nos imperfections nous suit dans la lecture de ces œuvres, toutes pénétrées d'une sorte d'héroïsme mystique, et en diminue à nos yeux l'utilité. Il y aurait donc à craindre que cette littérature de la sainteté ne trouvât de nos jours de trop rares lecteurs, si elle n'en devait rencontrer que dans les âmes d'élite qui sont de niveau avec elle. Mais à l'intérêt de la science mystique s'est trouvée jointe la séduction d'un art consommé. Ces œuvres dévotes sont tout simplement des trésors de psychologie délicate et de belle littérature, des trésors presque inconnus, ce qui en double le prix. Que le rationaliste le plus exclusif ouvre un de ces volumes, où il voudra; s'il a du goût, invinciblement il subira le charme. Il admirera en artiste cette belle langue subtile et souple, déliée et forte, cette pénétrante énergie du style, cette douceur souveraine, cette

puissante onction. Les pages classiques de Bossuet n'offrent rien de plus beau que telle lettre écrite à une sœur obscure du couvent de Jouarre, et où son génie s'exprime sur les objets les plus relevés de la foi avec une familiarité pleine de grandeur. Nulle part plus que dans les Lettres spirituelles de Fénelon, on ne trouve cette agilité lumineuse d'une parole qui parcourt tout en fécondant et en éclairant tout. La sobriété de Nicole rencontre souvent un trait vif et profond, une image hardie et juste; dans son petit traité De la faiblesse de l'homme, sa logique s'anime jusqu'à l'éloquence. Saint François de Sales répand à pleines mains, sur chaque page de son livre, le charme de la plus riche imagination et de la plus spirituelle naïveté.

Ne craignons pas d'aborder de près, et texte en main, une question d'histoire morale, importante et mal connue, la question de la direction des âmes et de la vie intérieure au dix-septième siècle. Tout éloignée qu'elle est de nos mœurs et de nos habitudes littéraires, cette question nous a offert un vif intérêt. Nous serions heureux de communiquer à nos lecteurs quelque chose de notre curiosité pour ce sujet qui touche au fond le plus intime et aux plus délicates parties de la conscience humaine. Notre plan ne sera pas trèsrigoureux après avoir défini ce qu'il faut entendre par la direction, nous suivrons, à la trace

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