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son doit se taire, comme il le dit en termes formels : « Quand tous les philosophes prouveroient que j'ai » tort, si vous sentez que j'ai raison, je n'en veux >> pas davantage (1). » Et que voudroit-il de plus, en effet, puisque le sentiment ou la conscience, juge infaillible du bien et du mal, rend l'homme semblable à Dieu, et fait l'excellence de sa nature et la moralité de ses actions?« Sans toi, dit-il, je ne sens >> rien en moi qui m'élève au-dessus des bêtes, que >> le triste privilége de m'égarer d'erreur en erreur, >> à l'aide d'un entendement sans règle et d'une rai>> son sans principe (2). »

Le sentiment est donc l'unique voie par où l'homme puisse parvenir à la connoissance de la vérité, selon Rousseau. Cela ne l'empêche pas de recourir ailleurs à cette raison sans principe et à cet entendement sans règle, pour découvrir à leur aide la vraie religion. <<< Cherchons-nous sincèrement la vérité, ne donnons >> rien au droit de la naissance, et à l'autorité des >> Pères et des pasteurs; mais rappelons à l'examen de >> la conscience et de la raison tout ce qu'ils nous » ont appris dès notre enfance. Ils ont beau me crier : >> Soumets ta raison; autant m'en peut dire celui qui >> me trompe. Il me faut des raisons pour sou>> mettre ma raison (3). » Et encore <<< La foi s'as» sure et s'affermit par l'entendement : la meilleure » de toutes les religions est infailliblement la plus

(1) Émile, pag. 253.

(2) Ibid., pag. 356.

(3) Ibid., tom. III, pag. 9.

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>> claire... Le Dieu que j'adore n'est point un Dieu » de ténèbres; il ne m'a point doué d'un entende>>ment pour m'en interdire l'usage. Me dire de sou>> mettre ma raison, c'est outrager son auteur. Le >> ministre de la vérité ne tyrannise point ma raison; » il l'éclaire (1). »

D'après Rousseau, l'on peut donc choisir entre deux méthodes, pour discerner la vraie religion; l'une fondée sur le raisonnement, et l'autre qui l'exclut. « C'est, dit-il, le sentiment intérieur qui doit >> me conduire (2)... Ce que Dieu veut qu'un >> homme fasse, il ne le lui fait pas dire par un autre >> homme, il le lui dit lui-même, il l'écrit au fond de

» son cœur. »

S'il en est ainsi, tous les hommes doivent trouver la vraie religion écrite au fond de leur cœur, puisque sans doute elle renferme ce que Dieu veut que les hommes fassent; et de plus, ce qu'il est nécessaire qu'ils croient: car encore faut-il croire en Dieu pour

(1) Emile, tom. III, pag. 18.

(2) Ibid., tom. III, pag. 2. Madame de Staël adopte cette doctrine, et l'applique à la politique même; en sorte que chacun doit chercher en soi-même ou dans ses sentimens intimes quelle est la meilleure religion, la meilleure morale, la meilleure législation et la meilleure forme de gouvernement; car tout cela nous est connu par une révélation perpétuelle. Les expressions de cette femme philosophe sont trop curieuses pour ne pas les citer ici : « Il n'est aucune » question, ni de morale, ni de politique, dans laquelle il faille ad>> mettre ce qu'on appelle autorité. La conscience des hommes est » en eux une révélation perpétuelle, et leur raison un fait inaltéra»ble. Ce qui fait l'essence de la religion chrétienne, c'est l'accord » de nos sentimens intimes avec les paroles de Jésus-Christ. » Considérations sur les principaux événemens de la révolution française, par madame la baronne de Staël, tom. III, pag. 15.

lui rendre un culte, et à une loi morale pour y obéir volontairement. Mais alors qu'on m'explique la diversité des religions. « Si, dit Rousseau, l'on n'eût écouté » que ce que Dieu dit au cœur de l'homme, il n'y >>> auroit jamais eu qu'une religion sur la terre (1); » c'est-à-dire que tous les hommes, dans tous les temps, auroient cru les mêmes dogmes et obéi aux mêmes préceptes.

Sophistes, répondez maintenant : N'y a-t-il qu'une religion sur la terre? Est-ce là ce que nous voyons? et que devient votre règle démentie par les faits? En vain prétendrez-vous que les hommes n'ont pas écouté. Ce n'est pas d'écouter qu'il s'agit, mais de sentir Or les hommes ne sont pas maîtres de ne point sentir ce qu'ils sentent. Ils ne pourroient pas plus, dans votre hypothèse, confondre la vérité et l'erreur, que la souffrance et le plaisir. Ils ne pourroient ni se méprendre sur leurs devoirs, ni ne les pas remplir, puisque naturellement ils aimeroient le bien et haïroient le mal. La vraie religion seroit un sentiment invincible, et le même dans tous. Elle seroit leur être même; car, en admettant la supposition des sentimens innés, on se représenteroit aisément l'homme dénué de toute idée acquise; mais il seroit impossible de le concevoir privé de ce qui constitueroit le fonds de sa nature morale et intelligente.

La diversité des religions prouve donc que le sentiment n'est pas le moyen général établi de Dieu pour nous faire discerner la véritable. Voyez combien de (1) Émile, tom. III, pag. 5.

croyances opposées les hommes adoptent d'une conviction également ferme. Le sentiment du vrai et du faux, du bien et du mal, aussi variable que leurs idées, dépend de l'éducation, des préjugés, et de mille causes extérieures qui le modifient selon les lieux, les temps, les opinions reçues, les institutions. Loin d'être quelque chose de primitif et d'antérieur à la foi, c'est la foi qui le détermine, comme l'enseignement détermine la foi. Est-ce par sentiment que le chrétien croit à la Trinité, le musulman à Mahomet, et l'Indien à Buddah? Est-ce par sentiment que certains peuples offroient à d'horribles divinités le sang de leurs enfans, ou leur sacrifioient la pudeur de leurs filles? Ils obéissoient à une loi fausse que Dieu certes n'avoit pas écrite dans leur conscience, et ils y obéissoient sans remords, parce que l'erreur de l'esprit enfantoit une erreur analogue de sentiment.

On a peine à concevoir la folie des déistes, qui cherchent dans le cœur sa propre loi, et la loi même de la raison; qui demandent aux passions ce qu'il faut croire, aux désirs ce qu'il faut aimer; qui veulent faire sortir la perfection de l'homme de la source même de sa corruption. Et que recommandent les moralistes, dans tous les pays et dans tous les temps, sinon de résister aux penchans de notre cœur, de nous défier de ses conseils, si souvent funestes? Mais, dira-t-on, s'il nous porte au mal, il nous attire aussi vers le bien, et l'attrait du plaisir a son contre-poids dans la crainte du remords. Quand il seroit toujours vrai, qu'en résulteroit-il? et quelle lumière tirer de

là sur nos devoirs réels? Vous me montrez un être soumis à l'action de deux forces contraires, mais vous ne m'apprenez pas comment, entre ces deux forces, il reconnoîtra celle qui est la loi de sa nature morale, la loi obligatoire à laquelle sa volonté doit obéir. Trouvez dans ce qu'il sent, dans ses affections considérées seules, un motif de céder plutôt à la crainte qu'au désir; un motif de juger que le devoir, toujours indiqué, selon vous, par le sentiment, puisse, en aucun cas, être opposé au sentiment le plus impérieux. N'arrive-t-il jamais que l'on commette le mal avec complaisance? Le bien ne coûte-t-il jamais d'efforts? Dites-nous donc par où l'on distingue l'un de l'autre dans votre système; dites-nous ce que c'est que la vertu, ce que c'est que le crime, ce que c'est que la vérité et que l'erreur.

Le sentiment doit-il être notre guide, la règle de nos actions, il n'y a point de désordre qui ne soit justifié, puisqu'il n'y en a point qui n'ait sa cause dans une violente passion, dans un sentiment qui domine l'âme. Apparemment on ne se résout pas à égorger son semblable pour se combattre soi-même, pour vaincre l'horreur naturelle du meurtre: on obéit à un désir puissant qui subjugue la volonté; on use avec une exactitude rigoureuse du moyen que vous prétendez infaillible pour discerner le bien du mal.

Ce n'est pas tout, et ce moyen, ou nous laissera dans l'incertitude sur les devoirs de l'intelligence, sur ce que nous sommes obligés de croire, ou il devra nous servir encore à distinguer le vrai du faux en des

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