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que ce soit ne s'était douté, ni du vivant de Boileau, ni depuis plus de quatre-vingts ans qu'il est mort! Oui, messieurs, il est temps de vous communiquer enfin cette grande et mémorable découverte qui couronne toutes les merveilles dont nous sommes stupéfaits. Nous croyons bonnement que Boileau a fait ses ouvrages. Pauvres gens que nous sommes! « Racine a fait en se « jouant, ou du moins a extrêmement perfectionné << les écrits de Boileau. L'épisode de la Mollesse « et l'Épître sur le passage du Rhin sont absolu<< ment dans la manière racinienne.... Racine, Mo«< lière, La Fontaine, Chapelle, Furetière, ont « mis les ouvrages de Boileau, sans qu'il s'en « aperçut lui-même, dans l'état où on les a tant << admirés. »

Ceci n'est point simplement une conjecture; c'est une conviction: et l'anonyme, pour nous convaincre que Boileau faisait ses vers en compagnie, et qu'il ne peut avoir à lui en propre que la moitié de ses beautés, nous assure qu'il n'y a qu'à lire sa prose, qui est plus que médiocre. Il avoue pourtant que cette idée peut paraître bizarre. C'est à vous, messieurs, de juger quelle qualification elle peut mériter.

Je pense qu'à présent vous ne pouvez plus être étonnés de rien, et vous trouverez tout simple que l'auteur, après ce qu'il vient de nous découvrir, ait tenté de prouver que Boileau était moins poëte que Chapelain. Pour cette fois ce

pendant, il ne veut pas prendre absolument cette tâche sur lui; il met en scène un raisonneur de même force, qui argumente ainsi :

« L'ode est, de tous les genres de poésie, celui qui demande le plus de talent dans un poëte, «< celui qui suppose le plus d'inspiration, et par <«< conséquent de génie. Boileau n'a jamais fait << que de mauvaises odes; et celle que Chapelain «a adressée au cardinal de Richelieu est très« belle. Donc Chapelain était plus poëte que

<< Boileau. >>

On dira que cet argument est si ridicule, qu'il ne mérite pas de réponse. J'en conviens: mais il est appuyé sur une proposition qui a été fort souvent répétée pendant un certain temps, et que la littérature subalterne fait encore sonner assez haut pour en imposer aux esprits vulgaires. Je m'y arrête pour faire voir que, même en réfutant ce qui paraît n'en pas valoir la peine, on peut détruire des préjugés qui ne laissent pas d'avoir quelque crédit, et fournissent quelquefois des armes à l'envie. C'est elle, messieurs, qui, dans le temps des démêlés de Rousseau le lyrique avec Voltaire, dicta dans vingt brochures, dans des feuilles aujourd'hui oubliées, ce principe si faux, que l'ode est le genre de poésie qui demande le plus de talent; et depuis on a répété cette sottise dans des dictionnaires et des poétiques. Il fallait qu'on fût bien pressé de mettre les Psaumes et l'Ode à la Fortune au-des

sus de Zaïre et de la Henriade, pour oublier qu'un bon poëme épique, une belle tragédie, exigent un talent infiniment plus varié, plus étendu, plus fécond, une verve bien plus soutenue, une imagination bien plus inventive, une ame bien plus sensible, une tête bien plus forte que toutes les odes anciennes et modernes. Aussi jamais les Grecs ni les Romains n'ont-ils balancé sur la préférence; et Horace lui-même, l'imitateur de Pindare, reconnaît si bien la supériorité d'Homère, qu'il recommande seulement de ne pas compter pour rien les autres poëtes. « Si <<< Homère a le premier rang, dit-il, la muse de « Pindare et d'Alcée n'est pas dans l'oubli. » S'il veut parler des beaux jours de la Grèce, il les appelle le siècle du grand Sophocle (1). Il élève Pindare au-dessus de tous les poëtes lyriques, mais il ne le compare jamais au père de l'épopée, ni aux fameux tragiques grecs. Parmi nous, personne, dans le dernier siècle, ne s'était avisé de placer Malherbe au-dessus du grand Corneille. C'est de nos jours que la malignité plus raffinée a créé de nouvelles doctrines pour confondre tous les rangs.

Mais que dites-vous, messieurs, de cette phrase? Boileau n'a fait que de mauvaises odes. Ne dirait-on pas qu'il pas qu'il en a fait un bien grand nombre? le langage de la haine a toujours quelque chose

(1) Quales temporibus magni viguére Sophoclis.

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qui ressemble au mensonge. Boileau n'a jamais fait qu'une ode, à moins qu'on ne donne le nom d'ode à trois stances contre les Anglais, qu'il fit en sortant du collége. Mais personne n'ignore que des stances ne sont pas une ode, et ces vers contre les Anglais sont intitulés Stances. Enfin, cette ode de Chapelain est-elle en effet trèsbelle, comme on nous le dit? Boileau, plus réservé, dit seulement qu'elle est assez belle; et bien loin qu'on puisse lui imputer de n'en pas dire assez, il suffit de la lire pour se convaincre que la disproportion entre le style de cette ode qui, en général, est assez pur et assez nombreux, et l'horrible barbarie des vers de la Pucelle, a rendu Boileau beaucoup trop indulgent. Cette ode a quelques belles strophes ; mais le plus grand nombre pèche encore par le prosaïsme, par les chevilles, par une langueur monotone. La marche en est exacte, mais froide; les idées se suivent, mais ne procèdent point par des mouvements lyriques. En un mot, c'est, à peu de chose près, une pièce fort médiocre, que cette ode dont on veut se faire un titre pour guinder Chapelain au-dessus de Despréaux.

Au reste, l'anonyme, qui nous avait annoncé une démonstration, n'ajoute rien à ce bel argument, qu'il abandonne tout de suite en avouant que c'est un sophisme. Comme il nous a accoutumés à ses contradictions, il n'y a rien à dire. Nous sommes encore trop heureux qu'il veuille

bien ne pas nous prouver que Chapelain est plus poëte que Boileau.

En revanche, il nous démontre, et toujours par l'organe du même interlocuteur, que c'est à Chapelain que nous devons Racine, parce que Chapelain, qui disposait des graces, lui procura une pension de six cents livres pour son Ode sur le mariage du roi, et engagea le jeune poëte à corriger une strophe où il avait mis des Tritons dans la Seine. Il faut louer Chapelain d'avoir fait une très-bonne action, d'avoir encouragé un talent naissant, et d'avoir ôté de la Seine les Tritons qui s'y trouvaient par une inadvertance que l'anonyme appellé une incroyable bévue. Mais Molière encouragea aussi la jeunesse de Racine, lui donna cent louis de sa première tragédie, et lui fournit même le plan d'une autre; et personne n'a jamais prétendu que l'on dút Racine à Molière. On ne doit un homme tel que Racine qu'à la nature, à qui l'on n'a pas souvent de pareilles obligations; et si l'auteur de la Lettre perd beaucoup de paroles et de papier à nous convaincre que Boileau n'a point appris à Racine à faire Iphigénie et Phèdre, c'est qu'apparemment il aime à prendre une peine inutile et à répondre à ce qu'on n'a pas dit. On a dit, et avec raison, qu'un critique et un ami tel que Boileau avait contribué à former le goût et le style de Racine, et il serait également superflu de le prouver ou de

le nier.

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