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Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose

Il voudrait qu'au lieu de l'Art poétique, Boileau eût composé l'Art des rois...; qu'il eût tant soit peu sevré Racine de l'encens qu'il lui prodigue, pour l'offrir aux Antonins, aux Titus, aux Henri IV.

On reconnaît bien ici le caractère des esprits faux, qui gâtent tout ce qu'on leur apprend, et abusent de tout ce qu'ils entendent. Depuis que l'art d'écrire est formé, des sages ont exhorté les poëtes à mettre en vers une morale utile aux hommes on en conclut ici qu'il n'y a jamais eu rien de bon, rien d'estimable, que la morale en vers; tout le reste n'est que billevesées. Si l'on eût conseillé à Boileau de faire l'Art des rois; sans doute cette entreprise lui aurait paru fort grande; mais peut-être eût-il trouvé ce titre un peu fastueux. Peut-être eût-il observé que l'Art des rois se trouve dans l'histoire bien étudiée, plus que dans un poëme didactique, quel qu'il soit; que si les rois peuvent s'instruire dans les bons ouvrages d'économie politique ou dans une tragédie telle que Britannicus, ils pourraient bien trouver un peu d'orgueil dans le poëte qui composerait l'Art des rois. Enfin Boileau aurait pu dire à l'anonyme : « Je me borne à faire l'Art des «poëtes, parce que je l'ai étudié toute ma vie. « Vous, monsieur, qui savez sans doute comment <«< il faut régner, faites l'Art des rois. » Et il aurait

bien

pu ajouter : « Il faut que vous ne m'ayez pas « lu, puisque vous réclamez mon encens en fa«< veur des bons princes. Voici comme je parle de <«<ce Titus que vous citez, et dans une épître à << Louis XIV:

Tel fut cet empereur, sous qui Rome adorée
Vit renaître les jours de Saturne et de Rhée;
Qui rendit de son joug l'univers amoureux,
Qu'on n'alla jamais voir sans revenir heureux;
Qui soupirait le soir, si sa main fortunée
N'avait par ses bienfaits signalé la journée.

« Vous voyez, monsieur, que, si je ne me pique pas de savoir l'Art des rois, je sais leur «proposer d'assez bons modèles. >>

On a toujours mis au nombre des meilleurs morceaux du Lutrin le combat des chantres et des chanoines avec les livres de Barbin. On a cru voir beaucoup de gaieté et de finesse dans les allusions satiriques aux différents livres qui servent d'armes aux combattants. Le panégyriste de Dulot vaincu n'est pas à beaucoup près aussi content de cette plaisanterie du Lutrin. J'avoue que la critique qu'il en fait est peut-être beaucoup plus plaisante, mais c'est d'une autre manière. Il prouve très-sérieusement et en rigueur que le caractère moral des ouvrages ne fait rien à leur volume physique, et que par conséquent la plaisanterie du Lutrin est forcée et hors de nature. « Je suppose qu'on reliât pesamment les

opéra de Quinault, qu'on mît sur la couver<«<ture un large fermoir où de gros clous seraient <<< attachés, Boileau les prendrait-il pour des pom« mes cuites, si par hasard on les lui jetait à la « tête? » Voilà de la fine plaisanterie. Eh bien! si ces pommes cuites ne font pas la même fortune que l'Infortiat de Boileau, ce sera encore ce malheureux Art poétique qui en sera cause.

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« Quel rapport peut avoir une chose purement spirituelle avec ce qui n'est que matériel? » Il conclut, et veut que l'on convienne avec tous les bons esprits que ces vers ne sauraient jamais trouver grace aux yeux de la raison.

Il faut pourtant que la raison de l'anonyme souffre que notre raison fasse grace à ces vers et même les trouve très-gais et très-agréables. Il faut qu'il apprenne que ces vers, quoi qu'il en dise, ne sont pas une pointe; que le procédé de l'allégorie consiste à passer du physique au moral, et qu'il est reçu chez tous les bons écrivains, quand le sens en est clair et frappant. Veut-il des exemples, qu'il se rappelle l'épigramme de Rousseau contre Bellegarde :

Sous ce tombeau gît un pauvre écuyer,

Qui tout en eau sortant d'un jeu de paume,
En attendant qu'on le vînt essuyer,

De Bellegarde ouvrit un premier tome.
Là dans un rien tout son sang fut glacé.
Dieu fasse paix au pauvre trépassé!

Assurément il n'y a rien de commun entre un

livre ennuyeux et une fluxion de poitrine. Cependant l'épigramme est bonne, parce que tout le monde entend la plaisanterie et s'y prète volontiers. Voltaire s'est servi de la même figure, et s'en est servi dans la prose, qui est moins hardie que la poésie. Je pourrais y joindre vingt autres exemples; mais ceux-là suffisent. C'est cependant de cette prétendue faute que l'auteur prend droit de faire cette exclamation : « Boi<< leau, qui s'est tant moqué de Ronsard, devait« il l'imiter même une seule fois? » Qu'on imagine, si l'on peut, quel rapport il y a entre ce passage, fût-il défectueux, et Ronsard. C'est peutêtre la première fois qu'on a mis ces deux noms ensemble. Je crois que l'auteur s'est bien félicité d'avoir amené ce rapprochement étrange: il devrait pourtant savoir que rien n'est si aisé que d'amener des injures par de faux raisonnements.

Le Lutrin essuie un reproche bien plus grave: c'est ce poëme qui est cause que nous n'avons pas de poëmes épiques, et voilà l'influence des mauvais exemples de Boileau, qui n'a fait que du mal. Un long paragraphe est employé à nous prouver que l'auteur du Lutrin n'a eu d'autre art que de tourner les belles choses en ridicule, de parodier l'Iliade et l'Enéide, et de les présenter sous un jour qui fasse rejaillir sur elles une sorte de mépris; que cet art devait plaire sur-tout à Boileau; que ce timide et froid écrivain a rabaissé Homère et Virgile jusqu'à lui;

que son succès l'a justifié; que ce succès a été si grand, qu'il a fondé une école, etc. Une école d'où sortiraient des ouvrages dans le goût du Lutrin pourrait être assez bonne. Malheureusement je n'en connais pas de cette espèce, et le maître est resté tout seul avec son chef-d'oeuvre. Je conçois qu'il sera toujours très-difficile d'imiter cet ouvrage vraiment original, et marqué au coin de ce talent particulier que Boileau possédait éminemment, celui de faire de beaux vers sur de petits objets. Mais qu'il s'y soit attaché pour rabaisser les grandes choses, je le croirai quand l'anonyme m'aura convaincu qu'Homère, qui, dans le Combat des rats et des grenouilles, a parodié son Iliade, a voulu rabaisser l'épopée. Qu'il en ait rejailli du mépris pour l'héroïque, je le croirai quand on m'aura fait voir que cette parodie faite par Homère a empêché Virgile de faire l'Énéide, et que le Lutrin a empêché Voltaire de faire la Henriade.

Si Boileau pouvait lire cette Lettre, ce passage n'est pas celui qui l'étonnerait le moins. Cet admirateur passionné d'Homère et de Virgile ne se serait pas attendu qu'on l'accusât d'avoir fait rejaillir le mépris sur l'Iliade et l'Énéide; et qu'on parlât de cet art de rabaisser les grandes choses comme d'un art qui devait sur-tout lui plaire. Mais combien sa surprise serait plus grande encore quand il verrait que l'auteur de cette terrible Lettre a dévoilé enfin un secret dont qui

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