Oldalképek
PDF
ePub

en parfaicte indifference, en telle sorte, que si la maladie et la santé estoient là devant nous, et que nostre Seigneur nous dist: Si tu choisis la santé, je ne t'en osteray pas un grain de ma grace; si tu choisis la maladie, je ne te l'augmenteray pas aussi de rien; mais au choix de la maladie il y a un peu plus de mon bon plaisir : alors l'ame qui s'est entierement delaissée et abandonnée entre les mains de nostre Seigneur, choisira sans doute la maladie, pour cela seulement qu'il y a un peu plus du bon plaisir de Dieu; ouy, mesme quand ce seroit pour demeurer toute sa vie dans un lict, sans faire autre chose que souffrir, elle ne voudroit pour rien du monde desirer un autre estat que celuy-là : ainsi les Saincts qui sont au ciel ont une telle union avec la volonté de Dieu, que s'il y avoit un peu plus de son bon plaisir en enfer, ils quitteroient le paradis pour y aller. Cét estat du delaissement de soy-mesme comprend aussi l'abandonnement au bon plaisir de Dieu, en toutes tentations, ariditez, seicheresses, aversions et repugnances qui arrivent en la vie spirituelle ; car en toutes ces choses, l'on y void le bon plaisir de Dieu, quand elles n'arrivent pas par nostre defaut, et qu'il n'y a pas du peché. Enfin l'abandonnement est la vertu des vertus; c'est la cresme de la charité, l'odeur de l'humilité, le merite, ce semble, de la patience, et le fruict de la perseverance: grande est ceste vertu, et seule digne d'estre pratiquée des plus chers enfans de Dieu. Mon Pere, dit nostre doux Sauveur sur la croix, je remets mon esprit entre vos mains il est vray, vouloit-il dire, que tout est consommé, et que j'ay tout accomply ce que vous m'avez commandé mais pourtant si telle est vostre volonté, que je demeure encore sur ceste croix pour souffrir davantage, j'en suis content, je remets mon esprit entre vos mains, vous en pouvez faire tout ainsi qu'il vous plaira. Nous en devons faire de mesme, mes tres-cheres filles, en toute occasion, soit que nous souffrions, ou que nous jouyssions de quelque

:

contentement, nous laissant ainsi conduire à la volonté divine, selon son bon plaisir, sans jamais nous laisser preoccuper de nostre volonté particuliere. Nostre Seigneur ayme d'un amour extremement tendre ceux qui sont si heureux que de s'abandonner ainsi totalement à son soing paternel, se laissant gouverner par sa divine providence, sans s'amuser à considerer si les effects de ceste providence leur seront utiles, profitables, ou dommageables; estans tout asseurez, que rien ne leur sçauroit estre envoyé de ce cœur paternel et tres-aymable, ny qu'il ne permettra que rien leur arrive, dequoy il ne leur fasse tirer du bien et de l'utilité, pourveu que nous ayons mis toute nostre confiance en luy, et que de bon cœur nous disions: Je remets mon esprit, mon ame, mon corps, et tout ce que j'ay entre vos benites mains, pour en faire selon qu'il vous plaira. Car jamais nous ne sommes reduits à telle extremité, que nous ne puissions tousjours respandre devant la divine Majesté des parfums d'une saincte soubmission à sa tres-saincte volonté, et d'une continuelle promesse de ne le vouloir point offenser. Quelquefois nostre Seigneur veut que les ames choisies pour le service de sa divine Majesté se nourrissent d'une resolution ferme et invariable de perseverer à le suivre parmi les degousts, seicheresses, repugnances et aspretez de la vie spirituelle, sans consolation, saveurs, tendretez, et sans goust, et qu'elles croyent de n'estre dignes d'autre chose, suivant ainsi le divin Sauveur avec la fine pointe de l'esprit, sans autre appuy que celuy de sa divine volonté, qui le veut ainsi. Et voila comme je desire que nous cheminions, mes cheres filles.

Or maintenant vous me demandez à quoy se doit occuper interieurement ceste ame, qui est toute abandonnée entre les mains de Dieu. Elle ne faict rien sinon demeurer aupres de nostre Seigneur, sans avoir soucy d'aucune chose, non pas mesme de son corps, ny de son ame; car puisqu'elle 19

III.

s'est embarquée sous la providence de Dieu, qu'a-t'elle affaire de penser ce qu'elle deviendra? Nostre Seigneur, auquel elle s'est toute delaissée, y pensera assez pour elle. Je n'entends pas pourtant de dire qu'il ne faille pas penser és choses esquelles nous sommes obligez chacun selon sa charge; car il ne faut pas qu'un Superieur, sous ombre de s'estre abandonné à Dieu, et se reposer en son soing, neglige de lire et d'apprendre les enseignemens qui sont propres pour l'exercice de sa charge : il est bien vray qu'il faut avoir une grande confiance pour s'abandonner ainsi, sans aucune reserve, à la providence divine; mais aussi quand nous abandonnons tout, nostre Seigneur prend soing de tout et conduit tout: que si nous reservons quelque chose, de laquelle nous ne nous confions pas en lui, il nous la laisse; comme s'il disoit: Vous pensez estre assez sages pour faire ceste chose-là sans moy, je vous laisse gouverner, vous verrez comme vous vous en trouverez. Celles qui sont dediées à Dieu en la religion, doivent tout abandonner sans aucune reserve. Sainte Magdelaine, qui s'estoit toute abandonnée à la volonté de nostre Seigneur, demeuroit à ses pieds, et l'escoutoit tandis qu'il parloit; et lors qu'il cessoit de parler, elle cessoit aussi d'escouter, mais elle ne bougeoit pourtant d'aupres de luy : ainsi ceste ame qui s'est delaissée, n'a autre chose à faire qu'à demeurer entre les bras de nostre Seigneur comme un enfant dans le sein de sa mere, lequel, quand elle le met en bas pour cheminer, il chemine jusques à tant que sa mere le reprenne; et quand elle veut le porter, il luy laisse faire : il ne sçait point et ne pense point où il va, mais il se laisse porter ou mener où il plaist à sa mere : tout de mesme ceste ame, aymant la volonté du bon plaisir de Dieu en tout ce qui luy arrive, se laisse porter, et chemine neantmoins, faisant avec grand soing tout ce qui est de la volonté de Dieu signifiée. Vous dites maintenant, s'il est bien possible que nostre volonté soit tellement morte en nostre Seigneur, que

nous ne sçachions plus ce que nous voulons ou ce que nous ne voulons pas. Or je dis en premier lieu, qu'il n'arrive jamais, pour abandonnez que nous soyons, que nostre franchise, et la liberté de nostre arbitre ne nous demeurent; de sorte qu'il nous vient tousjours quelque desir et quelque volonté : mais ce ne sont pas des volontés absoluës et des desirs formez car si tost qu'une ame, qui s'est delaissée au bon plaisir de Dieu, aperçoit en soy quelque volonté, elle la faict incontinent mourir en la volonté de Dieu.

Vous voudriez aussi sçavoir, si une ame encore bien imparfaicte pourroit demeurer utilement devant Dieu avec ceste simple attention à sa saincte presence en l'oraison; et je vous dis, que si Dieu vous y met, vous y pouvez bien demeurer, car il arrive assez souvent que nostre Seigneur donne ces quietudes et tranquillitez à des ames qui ne sont pas bien purgées; mais tandis qu'elles ont encore besoing de se purger, elles doivent, hors l'oraison, faire des remarques et des considerations necessaires à leur amendement; car, quand bien Dieu les tiendroit tousjours fort recueillies, il leur reste encore assez de liberté pour discourir avec l'entendement sur plusieurs choses indifferentes: pourquoy donc ne pourrontelles pas considerer et faire des resolutions pour leur amendement et pour la pratique des vertus? Il y a des personnes fort parfaictes, ausquelles nostre Seigneur ne donna jamais de telles douceurs, ny de ces quietudes; qui font tout avec la partie superieure de leur ame, et font mourir leur volonté dans la volonté de Dieu à vive force et avec la pointe de la raison; et ceste mort icy est la mort de la Croix, laquelle est beaucoup plus excellente et plus genereuse que l'autre, que l'on doit plustost appeler un endormissement qu'une mort; car ceste ame, qui s'est embarquée dans la nef de la providence de Dieu, se laisse aller et vogue doucement comme une personne qui, dormant dans un vaisseau sur une mer tranquille, ne laisse pas d'avancer. Ceste maniere de mort

*

ainsi douce se donne par maniere de grace, et l'autre se donne par maniere de merite.

Vous voulez encore sçavoir quel fondement doit avoir nostre confiance. Il faut qu'elle soit fondée sur l'infinie bonté de Dieu, et sur les merites de la Mort et Passion de nostre Seigneur Jesus-Christ, avec ceste condition de nostre part, que nous ayons et cognoissions en nous une entiere et ferme resolution d'estre tout à Dieu, et de nous abandonner du tout, et sans aucune reserve, à sa providence. Je desire toutesfois que vous remarquiez, que je ne dis pas qu'il faille sentir ceste resolution, d'estre ainsi tout à Dieu, mais seulement, qu'il la faut avoir et cognoistre en nous; parce qu'il ne faut pas s'amuser à ce que nous sentons ou que nous ne sentons pas; d'autant que la plupart de nos sentimens et satisfactions ne sont que des amusemens de nostre amourpropre. Il ne faut pas aussi entendre, qu'en toutes ces choses icy de l'abandonnement et de l'indifference nous n'ayons jama's de desirs contraires à la volonté de Dieu; et que nostre nature ne repugne aux evenemens de son bon plaisir; car cela peut souvent arriver. Ce sont des vertus qui font leur residence en la partie superieure de l'ame; l'inferieure pour l'ordinaire n'y entend rien, il n'en faut faire aucun estat; mais sans regarder ce qu'elle veut, il faut embrasser ceste volonté divine, et nous y unir malgré qu'elle en ayt. Il y a peu de personnes qui arrivent à ce degré du parfaict delaissement d'elles-mesmes: mais nous y devons neantmoins tous pretendre, chacun selon sa portée et petite capacité.

ENTRETIEN III.

Sur la faite de nostre Seigneur en Egypte, où il est traité de la fermeté que nous devons avoir parmi les accidens du monde.

Nous celebrons l'octave de la feste des saincts Innocens, auquel jour la saincte Eglise nous fait lire l'Evangile qui

« ElőzőTovább »