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style a plus ou moins de force, d'élévation, de grâce, de variété, selon le caractère des auteurs et des sujets; mais la première condition, c'est l'élégance qui résulte de la propriété des mots et de l'harmonie des vers: sans elle, dans une langue formée, il n'y a point de style.

C'est sur ce principe que la saine critique a toujours jugé les poëtes, et il est si incontestable, qu'on n'a guère osé l'attaquer directement; mais il est si gênant pour la multitude des hommes médiocres, et si décisif pour le très-petit nombre des vrais talens, qu'il a bien fallu l'éluder pour y substituer une théorie nouvelle dont tout le monde pût s'accommoder; et c'est ce qui est arrivé de nos jours. En effet, d'après la doctrine du dernier siècle, pour juger d'abord si un homme sait écrire en vers, il n'y avait qu'une manière qui était bien simple. Qu'on en lise cent vers de suite, et l'on s'apercevra sur-le-champ si l'auteur a l'expression juste de son idée, s'il la renferme dans la phrase poétique de façon que la contrainte du vers ne lui ôte rien de nécessaire, n'y ajoute rien de superflu, et que l'oreille et l'esprit soient satisfaits. A-t-il rempli ces conditions, c'est à coup sûr un homme qui sait écrire; car ce qu'il a fait dans cent vers, il le fera dans mille. Si, au contraire, son expression est souvent impropre, ou vague, ou recherchée, ou fausse; s'il la prend à tout moment chez autrui pour la placer mal chez lui; si ses constructions blessent le bon sens et l'oreille; si les chevilles viennent remplir la mesure, c'en est assez: celui qui écrit ainsi cent vers ne sait pas écrire. Vous verrez, Messieurs, cette méthode constamment suivie dans l'examen que je ferai des poëtes de ce siècle, et vous verrez aussi qu'elle ne trompe jamais, et que le résultat sera d'accord avec la place qu'ils occupent. Mais quand on a voulu éviter ces résultats, quel parti ont pris les détracteurs et les panégyristes, dont la mauvaise foi était intéressée à établir l'erreur? S'il s'agissait d'un bon écrivain, l'on disait que c'étaient des vers bien faits, mais qu'ils étaient tous également bons, qu'il n'y avait rien de frappant, rien d'extraordinaire, rien de trouvé; et dans le fait, cela voulait dire qu'il n'y avait rien de bizarre ni de recherché. Etait-il question d'un mauvais poëte, on prenait çà et là quelques vers, les uns réellement beaux, les autres qui n'avaient qu'une ridicule prétention à l'être, et l'on prononçait que c'était-là ce qui séparait un écrivain de la foule des versificateurs ; qu'il suffisait de ces traits-là pour faire un poëte: on n'examinait pas s'il était possible de lire l'ouvrage. Qu'importe? deux ou trois métaphores heureuses sur cent plus ou moins extravagantes suffisaient pour caractériser le talent poétique : tout le reste n'était rien. Nous verrons dans la suite le mal réel qu'a produit cette doctrine absurde; combien elle a égaré de jeunes auteurs qui, pour être loués de cette manière, se sont efforcés d'être beaucoup plus mauvais qu'ils n'auraient été, et ont renoncé au bon sens dans leurs écrits pour avoir du génie dans les journaux. Je reviens maintenant à Voltaire, contre qui cette poétique, aussi neuve qu'étrange, a servi d'arme à ceux qu'importunait sa supériorité.

Ces dogmes insensés ont tellement prévalu dans bien des têtes, que j'ai vu des hommes de beaucoup d'esprit faire peu de cas de lui comme poëte, parce qu'ils ne trouvaient pas sa poésie assez hardiment figurée. Je leur répondrai d'abord qu'il a, comme tous les grands poëtes, un grand nom bre de figures très-heureuses; qu'ensuite, s'il est moins riche en cette partie que Racine, qui a en effet donné à notre langue la plus grande quantité de tournures neuves et d'expressions heureusement métaphoriques, il n'est pas juste de composer l'essence entière du talent poétique de ce qui n'en est qu'une qualité; que cette qualité, comme toutes les autres, est susceptible de balance et de compensation. Ce n'est donc pas une raison pour le déprécier, comme font aujourd'hui beaucoup de jeunes

rimeurs, ni de le traiter de poëte médiocre, comme a fait l'auteur des Lettres sur la Henriade. Je m'en tiens à présent à ce seul ouvrage : les avantages de Voltaire dans le style dramatique viendront ailleurs; mais pour ce qui regarde l'épopée, il est de l'exacte équité d'examiner si ce qui lui manque dans cette partie de l'art, qui consiste à figurer la diction, n'est pas compensé par d'autres qualités qu'il possède éminemment. Ainsi l'on doit d'abord reconnaître en lui ce qui constitue avant tout, comme cela est convenu, le bon versificateur, la clarté, l'élégance et le nombre : ce' mérite existe quand les fautes sont rares et les imperfections légères. Ensuite, si le tissu de son style est moins plein, moins savant, moins fini que celui de Racine, il faut avouer en revanche qu'aucun poëte peut-être n'a un aussi grand nombre de vers détachés d'une beauté remarquable; de ces vers où une belle idée est rendue avec une précision élégante et noble; de ces vers qui frappent, ou par une simplicité énergique, ou par des contrastes aussi justes que brillans, ou par une facilité gracieuse. Son style a tour à tour de la rapidité ou de la mollesse, de la force ou de la douceur, souvent de l'éclat, toujours de la facilité et de l'intérêt. On peut comparer ces qualités à d'autres, se décider suivant son goût, et motiver plus ou moins sa préférence; mais celui qui les a doit sans contredit être compté parmi les grands poëtes, et Voltaire serait du nombre, au moins par le style, n'eût-il fait que la Henriade.

J'ose demander à tous les bons esprits s'ils ne lui savent pas gré d'avoir tracé ce tableau de l'Angleterre.

De leurs troupeaux féconds leurs plaines sont couvertes,
Les guérets de leurs blés, les mers de leurs vaisseau.;
Ils sont craints sur la terre, ils sont rois sur les eaux.
Leur flotte impérieuse, asservissant Neptune,
Des bouts de l'univers appe'le la fortune.
Londres, jadis barbare, est le centre des arts,
Le magasin du monde, et le temple de Mars.

Aux murs de Westminster on voit paraître ensemble
Trois pouvoirs étonnés du nœud qui les rassemble,
Les députés du peuple, et les grands, et le roi,
Divisés d'intérêts, réunis par la loi,

Tous trois membres sacrés de ce corps invincible,
Dangereux à lui-même, à ses voisins terrible.

Heureux lorsque le peuple, instruit dans son devoir,
Respecte autant qu'il doit le souverain pouvoir !

Plus heureux lorsqu'un roi, doux, juste et politique,

Respecte autant qu'il doit la liberté publique.

Peut-on réunir dans des vers très-bien faits un plus grand nombre de choses très-bien pensées? Voltaire fait dire à Lamotte, dans le Temple du Goût :

Mes vers sont durs : d'accord; mais forts de chose.

Mais quand la plénitude des idées ne produit pas la sécheresse, n'estelle pas dans les vers un mérite de plus? Permis sans doute à qui voudra de préférer des pensées communes relevées par l'invention des figures: ce mérite est aussi d'un poëte; mais des morceaux tels que celui que je viens de citer sont d'un homme qui sait aussi bien penser que bien écrire, et il serait plaisant que ce fût en poésie un titre de réprobation : c'en était un de gloire, et même bien brillant, dans un jeune poëte qui montrait un esprit de cette trempe lorsqu'il n'avait pas encore trente ans.

On le retrouve dans ces vers qui peignent à grands traits le caractère de Médicis, à qui l'on porte la tête de Coligny :

Médicis la reçut avec indifférence,

Sans paraitre jouir du fruit de sa vengeance,

Sans remords, sans plaisir, maîtresse de ses sens,

Et comme accoutumée à de pareils présens.

Depuis Corneille et depuis l'auteur de Britannicus, quel poëte avait su s'approprier ainsi les crayons de Tacite? Ce grand Corneille, penseur aussi profond que versificateur vigoureux, aurait-il désavoué ces vers sur les barricades et sur la mort de Guise?

Guise, tranquille et fier au milieu de l'orage,
Précipitait du peuple ou retenait la rage,
De la sédition gouvernait les ressorts,
Et faisait à son gré mouvoir ce vaste corps.
Tout le peuple au palais courait avec furie ;
Si Guise eût dit un mot, Valois était sans vie.
Mais, lorsque d'un coup d'oeil il pouvait l'accabler,
Il parut satisfait de l'avoir fait trembler,
Et des mutins lui-même arrêtant la poursuite,
Lui laissa par pitié le pouvoir de la fuite.
Enfin Guise attenta, quel que fut son projet,
Trop peu pour un tyran, mais trop pour un sujet.
Quiconque a pu forcer son monarque à le craindre,
A tout à redouter, s'il ne veut tout enfreindre.
Guise, en ses grands desseins dès ce jour affermi,
Vit qu'il n'était plus temps d'offenser à demi,
Et qu'élevé si haut, mais sur un précipice,
S'il ne montait au trône, il marchait au supplice.

Et plus bas, en parlant de Valois :

Son rival, chaque jour, soigneux de lui déplaire,
Dédaigneux ennemi, méprisait sa colère,
Ne soupçonnant pas même en ce prince irrité
Pour un assassinat assez de fermeté.

Son destin l'aveuglait; son heure était venue:
Le roi le fit lui-même immoler à sa vue.
De cent coups de poignards indignement percé,
Son orgueil en mourant ne fut point abaissé,

Et ce front que Valois craignait encor peut-être,
Tout pâle et tout sanglant, semblait braver son maître.
C'est ainsi que mourut ce sujet tout-puissant;

De vices, de vertus assemblage éclatant.

Le roi, dont il ravit l'autorité suprême,

Le souffrit lâchement, et s'en vengea de même.

Il y a peu de figures dans ces vers; mais j'ose dire que cette tournure simple et måle est souvent la manière des grands maîtres, celle des morceaux les plus forts de Corneille et de Racine, qui ne croyaient pas, comme nos petits docteurs d'aujourd'hui, que rien n'était bon sans les figures, et qui se gardaient bien d'y avoir recours quand la pensée toute nue avait plus de force que toutes les figures n'en pouvaient avoir.

Il ne reste rien à ajouter pour l'éloge de ces deux morceaux, si ce n'est que M. Clément ne voit dans le premier qu'une déclamation, et dans les quatre derniers vers du second, une queue sentencieuse et froide.

A l'égard des figures, l'auteur de la Henriade sait d'ailleurs, dans l'occasion, en trouver de très-belles. La puissance de Rome a-t-elle été exprimée par une métaphore plus énergique que celle-ci?

L'univers fléchissait sous son aigle terrible.

Je ne veux pas revenir sur tous les exemples que j'ai déjà mis sous vos

yeux quand j'ai parlé du sublime des images. Je m'arrête à un seul morceau, l'un des plus parfaits dans le style descriptif : c'est celui de la famine.

Les mutins qu'épargnait cette main vengeresse
Prenaient d'un roi clément la vertu pour faiblesse,
Et, fiers de ses bontés, oubliant sa valeur,
Ils défiaient leur maitre, ils bravaient leur vainqueur,
Ils osaient insulter à sa vengeance oisive.
Mais lorsqu'enfin les eaux de la Seine captive
Cessèrent d'apporter dans ce vaste séjour
L'ordinaire tribut des moissons d'alentour;
Quand on vit dans Paris la faim pâle et cruelle
Montrant déjà la mort qui marchait après elle,
Alors on entendit des hurlemens affreux;
Ce superbe Paris fut plein de malheureux,
De qui la main tremblante et la voix affaiblie
Demandaient vainement le soutien de leur vie.
Bientôt le riche même, après de vains efforts,
Eprouva la famine au milieu des trésors.

Ce n'était plus ces jeux, ces festins et ces fêtes,
Où de myrte et de rose ils couronnaient leurs têtes
Où, parmi des plaisirs toujours trop peu goûtés,
Les vins les plus parfaits, les mets les plus vantés,
Sous des lambris dorés qu'habite la mollesse,
De leur goût dédaigneux irritaient la paresse.
On vit avec effroi tous ces voluptueux,
Pales, défigurés, et la mort dans les yeux,
Perissant de misère au sein de l'opulence
Détester de leurs biens l'inutile abondance.
Le vieillard, dont la faim va terminer les jours
Voit son fils au berceau qui périt sans secours.
Ici meurt dans la rage une famille entière,
Plus loin des malheureux couchés sur la poussière
Se disputaient encore, à leurs derniers momens,
Les restes odieux des plus vils alimens.
Ces spectres affamés, outrageant la nature,

Vont au sein des tombeaux chercher leur nourriture.
Des morts épouvantés les ossemens poudreux
Ainsi qu'un pur froment sont préparés par eux.
Que n'osent point tenter les extrêmes misères !
On les vit se nourrir des cendres de leurs pères.
Ce détestable mets avança leur trépas,

Et ee repas pour eux fut le dernier repas.

Autant que je puis m'y connaître. Voltaire me paraît ici comparable à Racine lui-même pour le choix des expressions et les figures du style. J'admire ce contraste de la satiété qui nait de l'extrême abondance, ayec les horreurs de l'extrême besoin; contraste qui, pour M. Clément, égaie trop ce tableau, mais qui, pour tout lecteur sensé, produit la variété des couleurs, et en augmente l'effet. J'admire l'art qui règne dans la coupe des phrases et dans les constructions, tantôt périodiquement prolongées, tantôt séparées d'une rime à l'autre; ces tournures métonymiques, consacrées à la poésie seule, et que la prose n'oserait hasarder : insulter à sa vengeance oisive, irritaient la paresse de leur gout; ces images si vives, La faim pâle et cruelle

Montrant déjà la mort qui marchait après elle;

ces épithètes si bien placées, ce superbe Paris qui est plein de malheureux,

vers qui n'en est pas moins beau dans sa simplicité, pour avoir paru froid et sec à M. Clément; ces morts épouvantés, ces spectres affamés, ces ossémens poudreux préparés comme un pur froment; jusqu'aux phrases incidentes qui sont travaillées avec soin, ces plaisirs toujours trop peu goûtés; réflexion jetée en passant comme une lueur sombre sur le sort de l'humanité, qui joint le dégoût des biens à l'imprévoyance des maux..... Je n'irai pas plus loin. Qu'on relise encore ce morceau, et l'on verra qu'il s'en faut bien que j'aie tout dit. M. Clément ne s'est occupé qu'à le refaire à sa manière. mais comme il n'est pas nécessaire, pour prouver que les vers de Voltaire sont bons, de faire voir que ceux de M. Clément ne le sont pas; comme bien loin de vouloir abuser des avantages qu'il me donne, je voudrais même n'avoir pas à en user, vous me permettrez de ne rien dire des vers qu'il substitue à ceux de la Henriade.

On nous a dit que Voltaire n'a point d'épithète neuve, point d'épithète qui lui appartienne. Si l'on entend par épithète neuve celle qui n'a jamais été employée, cette assertion n'a aucun sens; car il faudrait pour la prouver, savoir par cœur tous les poëtes français depuis Villon, et je ne crois pas que M. Clément puisse se vanter de cet effort de mémoire. Mais je crois qu'on peut appeler épithète neuve celle dont aucun auteur connu n'a fait auparavant le même usage. Il y en a beaucoup de cette espèce dans la Henriade, comme dans tous les bans ouvrages en vers; et j'ajouterai que ce qui fait principalement le mérite et la nouveauté de l'épithète, ce n'est pas qu'on ne l'ait jamais vue ailleurs, c'est qu'elle n'ait point été ailleurs si bien placée, et qu'elle le soit de manière qu'elle paraisse appartenir particulièrement à l'objet, et qu'aucune autre ne puisse le caractériser aussi bien. Sous ce point de vue, qui est le seul raisonnable, je demande ce qu'il faut penser de ces deux vers, qui font partie de la description du palais du Destin :

Sur un autel de fer, un livre inexplicable
Contient de l'avenir l'histoire irrévocable.

Je demande si ces deux épithètes ne sont pas du plus grand sens. La seconde appartient tellement à la place où elle est, que partout ailleurs elle serait ridicule. Pourquoi fait-elle ici un si bel effet? Il faut l'apprendre aux critiques. Dire que le passé est irrévocable, rien n'est si commun; mais on ne dirait d'aucune histoire quelcon que qu'elle est irrevocable, parce que l'idée serait niaise, et que l'expression ne serait nullement exacte; car une histoire n'est ni révocable, ni irrévocable. Il faut donc, pour que la phrase ait un sens, que cette histoire soit celle de l'avenir, dictée par celui de qui seul l'avenir dépend. Alors voilà déjà une figure, une métaphore par laquelle on applique à l'avenir ce qui naturellement ne peut convenir qu'au passé, puisqu'on ne peut faire l'histoire que du passé. La beauté de cette figure consiste à représenter l'avenir tracé dans le livre du Destin, comme aussi sûr que s'il eût déjà été réalisé; et l'épithète d'irrévocable, jointe à l'expression métaphorique d'histoire, contient une autre figure, la métonymie, puisque cette histoire n'est irrévocable qu'autant qu'elle est l'irrévocable volonté du Très-Haut; en sorte que si l'on voulait traduire cette poésie en prose simple, il faudrait dire que ce livre contient la prévision de l'avenir, aussi sûre que le serait l'histoire du passé, et aussi irrévocable que la volonté divine. Voilà ce qu'exprime en deux mots, par une double figure, et pourtant avec la plus grande clarté, cet homme à qui l'on refuse l'art de figurer sa diction. Maintenant, qu'on nous dise si cette histoire irrévocable de l'avenir n'offre pas une épithète neuve, et s'il serait même possible de la trouver autre part.

On me dispensera de m'étendre davantage sur les citations, du même

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