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DE LITTÉRATURE

ANCIENNE ET MODERNE.

TROISIÈME PARTIE.

DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

LIVRE PREMIER.

POÉSIE.

CHAPITRE PREMIER.

De l'Épopée et de la Henriade.

SECTION PREMIÈRE.

Commencemens de Voltaire. Idées générales de la Henriade.

LOUIS XIV n'était plus, et la plupart des hommes fameux qui semblaient

nés pour sa grandeur et pour son regne l'avaient précédé dans la tombe. Le commencement d'un nouveau siècle avait été une époque affligeante et instructive de revers, de calamités, d'humiliations, qui, en punissant les fautes du souverain, firent voir en même temps ce qu'il y avait d'élévation dans son âme, et montrèrent au moins supérieur à l'adversité celui qui n'avait pu l'être à la fortune. Mais les dernières années de sa vieillesse furent encore attristées et obscurcies par des discordes intérieures et des querelles scolastiques que les passions alimentaient; et ces memes passions qui s'agitaient autour de lui, égaránt encore ses intentions et son zėle, comme au temps de la révocation de l'édit de Nantes, il eut le malheur de nourrir, par des rigueurs indiscrètes, un feu qu'il ne tenait qu'à lui d'éteindre, s'il eût donné moins d'importance aux intérêts particuliers de ceux qui ne cherchaient que le leur propre, sous le prétexte de la cause de Dieu.

La régence ouvrit un nouveau spectacle, et entraîna les esprits dans un autres exces. Fatigués de controverses, les Français se précipitèrent dans la licence, dont une cour scandaleuse donnait le signal et l'exemple. Le Tome III.

jeu séduisant du système alluma une cupidité effrenée, et la mode et l'intérêt firent naitre autant de calculateurs avides qu'on avait vu de disputeurs opiniâtres. Paris, d'un séminaire de controversistes, devint une place d'agioteurs. Des fortunes rapides et monstrueuses se dissipèrent dans les fantaisies et les profusions d'un luxe nouveau; et la légèreté d'humeur et de caractère que montrait ce régent qui bouleversait gaîment le royaume, la dépravation audacieuse de son ministre et de tout ce qui l'approchait, accoutumèrent les esprits à une sorte d'indifférence immorale qui s'étendait sur tous les objets, en même temps que la soif de l'or altérait tous les principes.

Au milieu de cette espèce de vertige et d'ivresse, il restait peu de traces de cette ancienne dignité, de cet enthousiasme d'honneur qui avait exalté la nation dans les beaux jours du règne précédent. Le dernier de ses héros, Villars, en gardait seul le caractère. Sa vieillesse, sa renommée, le souvenir de Denain, où il avait vengé et sauvé la France; l'amour des peuples et de l'armée, et la jalousie des courtisans ; cette franchise militaire qu'il avait rapportée des camps jusqu'à la cour, le refus constant d'entrer dans les nouvelles spéculations de finances; les places éminentes qu'on venait d'accorder à son nom et à ses services, mais de manière à ne lui laisser que la considération sans le pouvoir; le crédit même qu'il n'avait pas, et qui ne sied point à un homme d'honneur sous un mauvais gouvernement; tout, jusqu'à l'habillement de ce vieux guerrier, où les modes nouvelles n'avaient rien changé, appelait sur lui les regards et lui attirait la vénération; et Villars semblait représenter à lui seul le siècle qu'on avait vu passer.

Dans les arts de l'esprit, quelques pertes nombreuses qu'on eût faites, l'âge présent avait hérité de quelques hommes que l'autre lui avait transmis, et que la mort avait épargnés. Massillon soutenait encore l'éloquence, et Rousseau la poésie; mais au théâtre, personne depuis longtemps ne parlait la langue de Racine. Crébillon avait ramené dans Atrée les déclamations de Sénèque, et défiguré dans Electre la belle simplicité de Sophocle, quoique en même temps il eût tenu d'une main ferme et vigoureuse le poignard de Melpomène dans son Rhadamiste, et ramené sur la scène la terreur tragique. Fontenelle, qui, par ses dangereux exemples, comme Lamotte, par ses paradoxes éblouissans, avait commencé à corrompre le bon goût, rachetait cependant cette faute, en répandant sur les sciences une lumière agréable et nouvelle. Chaulieu conservait au moins dans la négligence de ses poésies le naturel aimable et l'urbanité délicate qui régnaient dans le bon temps, et que les connaisseurs goûtent encore aujourd'hui. Les Sully, les La Feuillade, les Bouillon, le GrandPrieur de Vendôme, La Fare, l'abbé Courtin, tout ce qui composait la société du Temple maintenait, au milieu des plaisirs et de la gaité, les principes de la saine littérature, déjà menacés ailleurs par des succès contagieux.

Dans cette société d'élite se trouve porté, presque au sortir de l'enfance, un jeune élève de Porée, qu'une réputation aussi prématurée que son esprit était précoce, faisait déjà rechercher de la bonne compagnie. Déjà le jeune Arouet, si fameux depuis sous le nom de Voltaire, annonçait à la France cet homme plus extraordinaire peut-être par la réunion d'une foule de talens, qu'aucun de nos plus grands écrivains par la perfection d'un seul. Tout le monde était frappé de la vivacité d'esprit qui brillait dans ses premiers essais; mais on n'était pas moins alarmé de la hardiesse satirique et irréligieuse qui marquait toutes ses productions, et qui fut le premier présage d'une destinée qu'il a malheureusement trop bien remplie. La société où il vivait, imbue de l'esprit de la régence, excusait dans

l'auteur la légèreté de la jeunesse, et les gens sages trouvaient cette témérité d'un dangereux exemple. C'est ce qui lui attira des disgrâces qui devancèrent ses succès, et il n'était connu que par des vers de société, quand il fut emprisonné, à dix-neuf ans, pour des vers qu'il n'avait pas faits (1). Treize mois d'une détention qui fut ensuite reconnue injuste par le ministère lui-même, et dont une gratification de cent louis était un faible dédommagement, devaient être une leçon pour le gouvernement et pour l'auteur pour l'un, de l'abus de ces ordres arbitraires qui enlèvent à l'innocence ses moyens de justification; pour l'autre, du danger de l'imprudence d'affecter pour ce qui mérite le respect un mépris qui peut vous faire croire capable même de ce que vous n'aurez pas fait. Ni l'un ni l'autre n'en profita. Voltaire, quelques années après, fut enfermé de nouveau à la Bastille pour la faute d'autrui, mais d'une autre espèce (2); et pendant sa première captivité, il avait fait sur cette captivité même une pièce intitulée la Bastille, où il y avait autant de gaité que d'impiété; ce qui fait voir assez que ces deux caractères de son esprit ne pouvaient le quitter nulle part. C'est aussi sous les verroux de la Bastille qu'il fit dans le même temps le second chant de sa Henriade, dont il avait déjà le plan dans sa tête, et le seul chant où il n'ait jamais rien changé ; ce qui prouve la facilité du jet qu'on aperçoit en effet dans ce morceau, mais ce qui explique aussi pourquoi, malgré l'effet sensible du tableau, les connaisseurs y désireraient un peu plus de force.

Ce fut en 1718 que parut son coup d'essai dramatique, OEdipe; et à cette même époque il récitait partout son poëme de la Ligue (3), déjà fort avancé, et dès lors fort supérieur à tout ce que l'on connaissait dans ce genre; en sorte qu'à l'âge de vingt-quatre ans il se trouva, suivant l'expression judicieuse des Mémoires de Villars, le premier des poëtes de son temps, car alors qui que ce soit n'était capable d'écrire de même ou la tragédie ou l'épopée.

L'enthousiasme est naturellement exclusif, et celui que Louis XIV

(1) C'étaient les J'ai vu, très-mauvaise pièce d'un nommé Lebrun: on les crut de Voltaire parce qu'ils étaient satiriques, et finissaient par ce vers.

J'ai vu ces maux, et je n'ai pas vingt ans.

La platitude du style aurait dû suffire pour prévenir la méprise; mais comme toute satire contre l'autorité paraît assez bonne à la malignité, l'autorité elle-même ne s'y rend pas d'ordinaire plus difficile. L'auteur de ce Cours fut accusé, il y a vingtcinq ans, d'une très-misérable pièce contre un édit de finances qu'il n'avait pas même vu, non plus que la pièce. Il remontrait au ministre qui lui en parlait, qu'un homme de lettres qui ne passait pas pour un mauvais écrivain, ne pouvait rien faire de si plat. Oh! l'on déguise son style, dit le ministre. En effet, répondit l'homme de lettres, il y a tant à gagner à écrire comme un sot, pour avoir le plaisir de se faire enfermer!

Quand Voltaire, sorti de la Bastille, fut présenté au régent, ce prince l'assura de sa protection. Voltaire, en le remerciant de ses bontés, lui dit : Je supplie au moins votre altesse de ne plus se charger de mon logement ni de ma nourrilure.

(2) Il menaçait tout haut de son ressentiment un grand seigneur, qui, se croyant insulté parce que Voltaire ne s'était pas laissé insulter, lui avait fait donner des coups de baguette par quatre soldats, dans la cour de l'hôtel de Sully. Le grand seigneur et les soldats auraient dû être juridiquement punis. Toute vengeance particulière est une usurpation du pouvoir légal, et ne doit être permise à qui que ce soit, dans quelque gouvernement que ce soit.

(3) C'est sous ce premier litre que parut la Henriade.

inspira aux Français pendant quarante années les avait tellement accoutumés à n'admirer que lui, qu'ils avaient presque oublié Henri IV. Ils s'en souvinrent quand ils furent malheureux : c'est le moment où l'on se souvient des bons princes. Un respectable vieillard, M. de Caumartin, qui, dans sa jeunesse, sur la fin du règne de Louis XIII, avait entendu les vieillards d'alors célébrer la mémoire du bon roi, conservait le souvenir d'une foule d'anecdotes intéressantes, dont le récit l'avait frappé autrefois, et qu'il aimait à raconter. Voltaire, qui se trouvait chez lui au château Saint-Ange, peu de temps avant la mort de Louis-le-Grand, l'écoutait avec cette curiosité avide qui cherche à s'instruire, et cette sensibilité vive qui ne demande qu'à se passionner. Ces entretiens firent sur lui la plus forte impression, et lui suggérerent la première idée de son poëme. Ainsi le château Saint-Ange fut le berceau de la Henriade.

La poésie s'était emparée de Voltaire au sortir de l'enfance; déja même un seul genre ne suffisait pas pour l'occuper, et il travaillait à son Edipe lorsqu'il s'enflamma pour Henri IV, et voulut en faire le héros d'un poëme épique avant de savoir ce que c'était qu'un poëme épique : c'est luimême qui nous l'a dit en propres termes. C'en est assez pour nous faire comprendre pourquoi le sien est si faible de plan et de conception; il l'a remanié depuis, assez pour y ajouter beaucoup d'embellissemens; mais il n'était guère possible de revenir sur l'invention de la fable, ni de réparer la première faute qu'il avait faite en commençant par les vers ce qu'il faut toujours commencer par la méditation. Les vers sont le premier besoin et le premier écueil d'un jeune poëte, toujours trop pressé de produire pour sentir la nécessité de réfléchir. De là ces premières ébauches des maîtres, qui sont proprement des études de peintre, comme la Médée de Corneille, la Thébaïde et l'Alexandre de Racine. Voltaire fut plus heureux dans OEdipe, parce qu'il fut soutenu par le grand Sophocle; aussi paya-t-il ensuite son tribut à l'inexpérience dans Artémire, dans Mariamne, dans Eriphyle. Ainsi, loin de lui reprocher si durement, comme ont fait tant de censeurs, l'imperfection avouée du plan de sa Henriade, il serait plus juste de lui savoir gré d'y avoir répandu assez de beautés de style et de détail pour faire de ce qui n'est au fond qu'une esquisse, par la médiocre conception du sujet, un ouvrage à peu près classique par l'élégance de la versification, et jusqu'ici le seul titre de l'épopée française.

C'est, de tout ce qu'a fait l'auteur, ce qui a été le plus critiqué, et ce qui pouvait l'être plus aisément : les défauts réels en sont très-sensibles. H ne faut donc pas s'étonner que la malveillance ait été cette fois assez clairvoyante; mais il ne faut pas croire non plus qu'en apercevant les défauts, elle ne les ait pas exagérés, qu'elle n'en ait pas supposé même, et beaucoup plus qu'il n'y en avait, et qu'elle n'ait pas souvent fermé les yeux sur les beautés. L'animosité des ennemis de l'auteur a toujours été trop violente, trop personnelle, pour n'être pas aveugle; elle a nié follement le mérite qui a fait et fera vivre ce poëme malgré tout ce qui lui manque; et c'est ce que nous avons à prouver dans l'examen de la Henriade et des critiques qu'on en a faites.

On a dit que l'ordonnance en était défectueuse, et il est vrai qu'elle pèche d'abord contre l'unité d'objet, recommandée dans l'épopée, et qu'elle ne remplit pas, dans le premier chant, la proposition établie par Je poëte:

Je chante ce héros qui régna sur la France,

Et par droit de conquête et par droit de naissance.

Le sujet est donc Henri IV qui va conquérir le royaume qui lui appartient, et que lui disputent ses sujets révoltés, Cependant il n'en est pas

question dans les quatre premiers chants: c'est Henri de Valois qui règne, et Bourbon ne combat que pour le faire rentrer dans sa capitale. II ne joue qu'un rôle secondaire dans un poëme dont il est le héros; il est aux ordres d'un maitre, et d'un maître bien peu digne de son rang. C'est une faute grave; c'est traiter l'épopée en historien. L'action devait commencer après la mort de Valois : tout ce qui la précède et cette mort même ne devaient être qu'en récit, et faire partie de celui que fait Henri IV à Elisabeth. Valois est de plus un personnage trop avili pour paraître ailleurs que dans une avant-scène, et pour occuper la première place dans l'action et dans l'intérêt pendant une moitié du poëme.

L'auteur a cependant pallié ce défaut jusqu'à un certain point, et les critiques à cet égard lui ont reproché ce qu'ils auraient dû louer. Tous se sont élevés contre ce voyage de Henri IV à Londres, contre son ambassade auprès d'Elisabeth; ils ont dit que tout autre pouvait en être chargé de même que lui; que c'était lui faire jouer le rôle d'un agent secret; qu'il ne devait point exposer l'armée et Valois en les quittant, etc. Toutes ces remarques portent à faux. Les assiégés peuvent ignorer ce voyage de peu de jours, et Henri peut aller à Londres, comme Enée va chez Evandre. Cette négociation est trop importante pour le compromettre, et l'entrevue de deux personnages tels que Henri IV et Elisabeth conviendrait à la dignité de l'épopée, même quand Bourbon serait déjà roi. La négociation a un grand objet; et nul n'y peut réussir mieux que lui. Enfin c'est à lui qu'il appartenait de raconter les malheurs de la France, comme Enée raconte ceux de Troye, et de dire comme lui: Et quorum pars magna fui; et il ne peut les raconter à personne plus dignement qu'à la reine d'Angleterre. Mais ce qu'il y a de plus décisif en faveur du poëte, c'est qu'il rend, autant qu'il est possible, ce qu'il avait ôté à son héros, la première place dans notre attention et dans l'ouvrage, en fixant nos yeux sur les événemens que raconte Henri, et qui ne sont autre chose que ses dangers et ses victoires.

On a dit que le dénoûment n'était pas bien ménagé; que Saint Louis qui se présente au Très-Haut pour lui demander que la grâce éclaire Bourbon, pourrait aussi bien faire cette prière dans tout autre moment. Cette critique n'est nullement fondée. C'est quand le roi vient de nourrir lui-même ses sujets qu'il combat, et sa capitale qu'il assiége; c'est alors que saint Louis supplie l'Eternel de lever le seul obstacle qui éloigne du trône un prince fait pour en être l'honneur: et il est très-juste que le héros reçoive la récompense de ses vertus dans l'instant où il vient de les signaler par un trait si touchant, et qui doit lui gagner tous les cœurs. Mais on a eu raison d'avancer que la révolution qui s'opère dans Paris après l'abjuration du roi, n'est pas assez expliquée, et qu'il ne suffisait pas de dire d'un des principaux personnages du poëme, du chef de la Ligue :

A reconnaître un roi Mayenne fut réduit.

En général, il est vrai que les faits importans ne sont pas assez développés: que souvent ils ne sont qu'indiqués avec une précision qui vise à la rapidité, et qui n'est que de la sécheresse. Tout doit courir à l'événement dans l'épopée mais tout doit y tenir assez de place pour attacher l'imagination. Ce genre de poésie vit de détails : le poëte y doit toujours être peintre, et non pas seulement narrateur; nous ne devons pas seulement y apprendre les faits, nous devons les voir; il faut de plus qu'ils soient liés les uns aux autres par une dépendance sensible, et comme par une chaine qui embrasse tout l'ouvrage. Cet enchainement n'est pas observé dans la Henriade; l'amour du héros pour Gabrielle, par exemple, commence et finit dans le neuvième chant; c'est une violation de prin

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