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le prince y assiste assidûment pour en soutenir le pouvoir ou pour en autoriser les résolutions. Il y aura moins de vexations et d'injustices de la part des plus forts; car un conseil sera plus accessible que le trône aux opprimés; ils courront moins de risque à y porter leurs plaintes, et ils y trouveront toujours dans quelques membres plus de protecteurs contre les violences des autres, que sous le visirat contre un seul homme qui peut tout, ou contre un demi-visir d'accord avec ses collègues pour faire renvoyer à chacun d'eux le jugement des plaintes qu'on fait contre lui. L'état souffrira moins de la minorité, de la foiblesse ou de la caducité du prince. Il n'y aura jamais de ministre assez puissant pour se rendre, s'il est de grande naissance, redoutable à son maître même, ou pour écarter et mécontenter les grands, s'il est né de bas lieu; par conséquent, il y aura d'un côté moins de levains de guerres civiles, et de l'autre plus de sûreté pour la conservation des droits de la maison royale. Il y aura moins aussi de guerres étrangères, parce qu'il y aura moins de gens intéressés à les susciter, et qu'ils auront moins de pouvoir pour en venir à bout. Enfin le trône en sera mieux affermi de toutes manières; la volonté du prince, qui n'est ou ne doit être que la volonté publique, mieux exécutée, et par conséquent la nation plus heureuse.

Au reste, mon auteur convient lui-même que l'exécution de son plan ne seroit pas également avantageuse en tous temps, et qu'il y a des momens de

crise et de trouble où il faut substituer aux conseils permanens des commissions extraordinaires, et que quand les finances, par exemple, sont dans un certain désordre, il faut nécessairement les donner à débrouiller à un seul homme, comme Henri IV fit à Rosny, et Louis XIV à Colbert. Ce qui signifieroit que les conseils ne sont bons pour faire aller les affaires que quand elles vont toutes seules. En effet, pour ne rien dire de la polysynodie même du régent, l'on sait les risées qu'excita, dans des circonstances épineuses, ce ridicule conseil de raison étourdiment demandé par les notables de l'assemblée de Rouen, et adroitement accordé par Henri IV. Mais, comme les finances des républiques sont en général mieux administrées que celles des monarchies, il est à croire qu'elles le seront mieux, ou du moins plus fidèlement, par un conseil que par un ministre; et que si, peut-être, un conseil est d'abord moins capable de l'activité nécessaire pour les tirer d'un état de désordre, il est aussi moins sujet à la négligence ou à l'infidélité qui les y font tomber : ce qui ne doit pas s'entendre d'une assemblée passagère et subordonnée, mais d'une véritable polysynodie, où les conseils aient réellement le pouvoir qu'ils paroissent avoir, où l'administration des affaires ne leur soit pas enlevée par des demi-visirs, et où, sous les noms spécieux de conseil d'état ou de conseil des finances, ces corps ne soient pas seulement des tribunaux de justice ou des chambres des comptes.

CHAPITRE XI.

Conclusion.

QUOIQUE UOIQUE les avantages de la polysynodie ne soient pas sans inconvéniens, et que les inconvéniens des autres formes d'administration ne soient pas sans avantages, du moins apparens, quiconque fera sans partialité le parallèle des uns et des autres trouvera que la polysynodie n'a point d'inconvéniens essentiels qu'un bon gouvernement ne puisse aisément supporter; au lieu que tous ceux du visirat et du demi-visirat attaquent les fondemens mêmes de la constitution; qu'une administration non interrompue peut se perfectionner sans cesse, progrès impossibles dans les intervalles et révolutions du visirat; que la marche égale et unie d'une polysynodie, comparée avec quelques momens brillans du visirat, est un sophisme grossier qui n'en sauroit imposer au vrai politique, parce que ce sont deux choses fort différentes que l'administration rare et passagère d'un bon visir, et la forme générale du visirat, où l'on a toujours des siècles de désordre sur quelques années de bonne conduite; que la diligence et le secret, les seuls vrais avantages du visirat, beaucoup plus nécessaires dans les mauvais gouvernemens que dans les bons, sont de foibles supplémens au bon ordre, à la justice et à la prévoyance, qui préviennent les

maux au lieu de les réparer; qu'on peut encore se procurer ces supplémens au besoin dans la polysynodie par des commissions extraordinaires, sans que le visirat ait jamais pareille ressource pour les avantages dont il est privé; que même l'exemple de l'ancien sénat de Rome et de celui de Venise prouve que des commissions ne sont pas toujours nécessaires dans un conseil pour expédier les plus importantes affaires promptement et secrètement; que le visirat et le demi-visirat avilissant, corrompant, dégradant les ordres inferieurs, exigeroient pourtant des hommes parfaits dans ce premier rang; qu'on n'y peut guère monter ou s'y maintenir qu'à force de crimes, ni s'y bien comporter qu'à force de vertus; qu'ainsi toujours en obstacle à lui-même, le gouvernement engendre continuellement les vices qui le dépravent, et, consumant l'état pour se renforcer, périt enfin comme un édifice qu'on voudroit élever sans cesse avec des matériaux tirés de ses fondemens. C'est ici la consideration la plus importante aux yeux-de l'homme d'etat, et celle à laquelle je vais m'arrêter. La meilleure forme de gouvernement, ou du moins la plus durable, est celle qui fait les hommes tels qu'elle a besoin qu'ils soient. Laissons les lecteurs réfléchir sur cet axiome; ils en feront aisément l'application.

JUGEMENT

SUR

LA POLYSYNODIE.

De tous les ouvrages de l'abbé de Saint-Pierre, le discours sur la polysynodie est, à mon avis, le plus approfondi, le mieux raisonné, celui où l'on trouve le moins de répétitions, et même le mieux écrit ; éloge dont le sage auteur se seroit fort peu soucié, mais qui n'est pas indifférent aux lecteurs superficiels. Aussi cet écrit n'étoit-il qu'une ébauche qu'il prétendoit n'avoir pas eu le temps d'abréger, mais qu'en effet il n'avoit pas eu le temps de gâter pour vouloir tout dire; et Dieu garde un lecteur impatient des abrégés de sa façon!

Il a su même éviter dans ce discours le reproche si commode aux ignorans qui ne savent mesurer le possible que sur l'existant, ou aux méchans qui ne trouvent bon que ce qui sert à leur méchanceté, lorsqu'on montre aux uns et aux autres que ce qui est pourroit être mieux. Il a, dis-je, évité cette grande prise que la sottise routinée a presque toujours sur les nouvelles vues de la raison, avec ces mots tranchans de projets en l'air et de réveries; car, quand il écrivoit en faveur de la polysynodie,

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