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ment à la matière et de sentir et de penser; mais, en nous modifiant intérieurement, en nous faisant éprouver les affections de plaisir ou de peine, les sensations ne peuvent éclairer immédiatement la raison. Pour que la lumière se montre, il faut que l'âme agisse au-dedans d'elle, et qu'elle agisse au-dehors. Il faut qu'elle se rende maîtresse des impressions qu'elle a reçues passivement, qu'elle les démêle, qu'elle les compare, qu'elle les juge, afin de se connaître elle-même par l'exercice de ses facultés actives. Il faut que, par ces mêmes facultés, elle se porte jusqu'aux objets extérieurs, afin de connaître les phénomènes du monde sensible : or, l'expérience atteste en elle un tel pouvoir. Ce que l'expérience atteste encore, et et que raison sera par conséquent forcée d'admettre, c'est que l'âme, pour passer ainsi des sensations aux idées, a besoin de chercher des secours hors d'elle, et dans des auxiliaires qui', par leur nature, sont tout-à-fait étrangers à l'àme, aux idées, et aux sensations.

la

Ces auxiliaires, qui le dirait! ce sont des mouvemens, des gestes, des sons, des figures.

La direction de nos organes sollicitée d'abord par l'impulsion de la seule nature, mais bientôt devenue volontaire et libre, commence à dé

composer les objets, et donne naissance à nos premières idées.

A cette analyse encore grossière et qui laisse à peine entrevoir quelques rayons de l'intelligence, succède le langage d'action; ici commencent les analogies, et avec elles se manifeste un nouvel ordre d'idées; l'âme, qui n'avait encore qu'un sentiment confus des rapports, en acquiert la perception distincte.

Enfin naît et se développe l'infinie variété des langues parlées et figurées, qui nous créent, en quelque sorte, un nouvel esprit en nous créant de nouveaux moyens d'augmenter ses forces.

Ainsi commence, s'accroît et se perfectionne l'intelligence.

Ainsi l'homme, qui ne peut rien ou presque rien sur ses sensations, peut tout sur ses idées, puisque c'est par son activité propre et par des méthodes qui sont l'ouvrage de son esprit qu'il s'en rend le maître. Une idée était cachée dans une sensation, il la trouve; elle était enveloppée dans une autre idée, il la dé

couvre.

Cette méthode, qui en nous conduisant ainsi des sensations aux idées, et de ces idées à de nouvelles idées, nous montre ce que nous igno

rons dans ce que nous savons ou dans ce que nous sentons; cet artifice qui fait sortir l'inconnu du connu et le connu du senti; cette langue, sans laquelle, réduits à la simple instruction des sens, nous n'aurions jamais pu nous élever au-dessus de l'expérience; tels sont les objets, ou plutôt tel est l'objet dont je me propose de vous entretenir.

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Parce que la raison se présente d'abord sous des formes moins riantes que l'imagination, il ne faut pas croire qu'elle n'ait aussi quelque attrait peut-être que Locke et Bonnet, en écrivant sur l'origine des connaissances humaines, n'éprouvaient pas de moindres jouissances que Racine lorsqu'il composait ses admirables tragédies; peut-être aussi que plus d'un lecteur, en passant de Corneille à Bacon, a senti que le langage de la raison n'avait pas moins de richesse et moins de puissance que les accens des passions; et celui qui, tout à coup, fut saisi d'un transport inconnu et d'une violente palpitation à l'ouverture d'un livre, était-il en présence d'un poëte ou d'un philosophe?

Mille expériences l'attestent; la faculté de raisonner peut être une source de plaisirs aussi vifs que celle de sentir, et la réflexion n'est pas plus avare de récompenses que l'imagination.

Une philosophie inattentive, d'accord avec le préjugé, regarda long-temps la raison comme une acquisition tardive de l'expérience et des progrès de l'âge. Elle n'avait pas vu que le germe de la faculté de raisonner peut se laisser deviner dès les premiers momens de notre existence. A peine l'enfant a respiré, qu'il sent des besoins et qu'il désire: or le désir, tel que nous l'éprouvons aujourd'hui dans le plein développement de la vie, suppose l'action de toutes les facultés de l'esprit. Nos premiers désirs furent donc un faible commencement de l'action de nos facultés naissantes. Car, de même que les facultés du corps, auxquelles nous devons l'exécution de toutes les merveilles des arts, datent du moment de notre organisation, toutes les facultés de l'esprit, toutes les puissances de l'âme sont dans nos premières impressions et se trouvent dans nos premiers sentimens.

Ce n'est encore, il est vrai, qu'une ébauche tout-à-fait informe: rien n'est démêlé, rien n'est prononcé, rien n'est distinctement perçu ; sensations, idées, jugemens, raisonnemens, tout est confondu, tout échappe, mais tout existe et lorsque ces facultés, fortifiées par l'exercice, enrichies par de nombreuses découvertes, se montreront dans toute leur puis

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sance, elles pourront bien nous déguiser leur origine, elles ne changeront pas leur nature. Pascal, proposant l'expérience du Puy-de-Dôme, d'après la pesanteur connue de l'air, ne raisonnera pas autrement que Pascal au berceau, lorsqu'il tendait les bras à sa nourrice, par le souvenir des soins qu'il en avait reçus.

Mais si l'enfant pense, s'il juge, s'il raisonne, il ne sait pas qu'il pense, qu'il juge et qu'il raisonne. Il ignorera ce qui se passe au-dedans de lui, tout le temps qu'entraîné au-dehors par la vivacité de ses besoins, sa pensée ne se sera pas repliée sur elle-même.

Si, , par une fiction, que des philosophes ont confondue avec la réalité, on le réduisait à un état purement sensitif; si on le supposait privé de toute activité, et de celle qu'il exerce hors de lui, et de celle qu'il exerce sur lui-même, il continuerait sans doute à voir, à entendre, il sentirait par tous ses organes et par toutes les parties de son corps; mais, dans l'impuissance absolue de diriger ses sens, de donner son attention et de réagir sur lui-même, il n'acquerrait aucune connaissance; son âme, réduite à de pures sensations qu'elle ne pourrait ni comparer, ni réunir, ni diviser, serait privée de

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