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le faible obstacle qui le séparait du trône. Mais s'il fut injustement accusé, il ne dut s'en prendre qu'à lui seul. Les princes ne sauraient attacher trop de prix à une bonne réputation; car l'opinion publique se venge cruellement de ceux qui la méprisent ou qui affectent de la braver. On jugea le duc d'Orléans tel qu'il affectait de se montrer; en refusant de croire à la vertu et à la probité, il mérita qu'on doutât de sa vertu et de sa probité, et, comme le dit Fénelon, il rendit croyable tout ce qu'on a le plus de peine à croire.

Fénelon n'avait aucune prévention contre le duc d'Orléans, qui avait même entretenu une correspondance avec lui sur les questions les plus élevées de la religion et de la philosophie. Il fallait donc qu'il fût, pour ainsi dire, entraîné par la clameur universelle, pour le présumer coupable. Le Mémoire de Fénelon peint la pénible anxiété d'un esprit qui n'ose croire ni à l'innocence, ni au crime, et qui s'épouvante lui-même de la nécessité de sonder ces affreux mystères.

Il montre le danger qu'aurait une instruction judiciaire faite avec éclat ; il pense que le meilleur serait de faire des recherches dans le plus grand secret, si l'on trouvait des indices qui méritassent cet approfondissement. Mais le secret est également difficile et absolument nécessaire.

Quelle devait être la douloureuse perplexité de Louis XIV au récit de tant d'horreurs! Les cris de

l'indignation populaire avaient retenti jusqu'à son trône; toutes les accusations étaient sous ses yeux ; les rapports des médecins auxquels il se confiait le plus attestaient le crime, et toutes les bouches nommaient le coupable. Quelle situation pour un roi si longtemps heureux! Il se voyait seul dans son palais désert et abandonné; la nombreuse postérité dont il s'était vu environné avait disparu, et la solitude de ses vastes appartements n'était plus animée que par la présence d'un faible enfant luttant contre la mort. A peine arrêtait-il sa pensée sur le duc de Berry, dont l'existence insignifiante et les moyens bornés, pour ne pas dire nuls, n'offraient aucun appui à sa couronne, ni aucune consolation à son cœur.

Jamais peut-être Louis XIV n'a mieux montré la grandeur de son caractère que dans cet affreux moment: seul il opposa la conviction de son âme vertueuse aux clameurs de la calomnie; il ne put croire son sang souillé de tant de crimes. Il jugea mieux son neveu que ne l'avaient jugé la cour, Paris et la France entière; il l'appelait un fanfaron de vices, le croyant plus capable de les imaginer que de les commettre. En se refusant à le croire coupable, il ne voulut pas même le soupçonner; il ne changea rien à son accueil et à ses bontés pour lui en présence de sa cour, ni dans l'intérieur de sa société. Son exemple avertit la cour de se taire, et détrompa la prévention populaire.

CHAPITRE V.

Lettre de Fénelon à l'Académie française.

Son opinion sur un dictionnaire. Plan de Fénelon sur les travaux auxquels devrait se livrer l'Académie. — Correspondance de Fénelon avec le duc d'Orléans. - Du culte religieux. Il considère le culte religieux sous le rapport de Dieu et de l'homme. - Du culte intérieur et du culte extérieur. Ces deux cultes sont inséparables.

De l'immortalité de l'àme. Du libre arbitre. - Réflexions sur la correspondance de Fénelon avec le duc d'Orléans.

Au milieu d'occupations si sérieuses, de devoirs si importants, Fénelon eut encore à se livrer à une occupation et à remplir un devoir d'un genre bien différent. L'Académie française travaillait à donner une nouvelle édition de son dictionnaire, et elle chargea M. Dacier, son secrétaire perpétuel, de demander à Fénelon ses vues et ses pensées sur le plan qu'elle devait suivre. Il ne crut pas pouvoir se dispenser de déférer au vou d'une compagnie célèbre dont il était membre; il imagina même de profiter de cette occasion pour donner plus d'étendue aux vues de l'Académie, et pour lui proposer un plan utile au progrès des bonnes études, et digne de la gloire littéraire de la nation.

Ce fut sans doute pour soutenir le courage de ses collègues dans un travail aussi aride et aussi pénible que celui d'un dictionnaire, et pour ouvrir à leur zèle une carrière plus vaste et plus utile, que Fénelon proposa à l'Académie ce plan dont l'exécution aurait rempli le véritable objet de son institution, et aurait servi peut-être à prévenir les abus et la corruption que l'on a reprochés à la littérature du XVIIe siècle, et plus encore à celle du xixe.

Tel est l'objet de la réponse qu'il adressa à M. Dacier, et qui a été imprimée depuis sa mort, sous le titre de Lettre à l'Académie Française.

Cette lettre est restée comme un de nos meilleurs ouvrages classiques, et comme un des plus propres à former le goût, par la sagesse des principes, le choix des exemples et l'application heureuse de toutes les règles qui y sont rappelées ou indiquées.

Fénelon sentait toute l'insuffisance et même l'impossibilité d'un dictionnaire permanent, car l'usage, qui est la seule loi des langues vivantes, change à chaque instant ces langues, et par conséquent leurs dictionnaires. Aussi l'Académie estelle encore occupée aujourd'hui de ce même travail, qui durera sans doute autant qu'elle; chaque édition qu'elle publie diffère plus ou moins de celle qui l'a précédée, au point que la dernière ne

ressemble guère au dictionnaire qui occupait les collègues de Fénelon (1).

Il désirait donc que l'Académie ne se renfermåt point dans un cercle aussi circonscrit et aussi variable qu'un dictionnaire, et l'invite à y joindre une grammaire française, pour faire remarquer les règles, les exceptions, les étymologies, les sens figurés, l'artifice de toute la langue, et ses variations; une rhétorique, mais débarrassée d'un système de règles et de préceptes arbitraires et arides; une poétique, et enfin un traité sur l'histoire, projet seul qui aurait pu occuper une compagnie composée d'hommes aussi distingués.

Il est sans doute à regretter que l'Académie française n'ait pas suivi le plan si sage et si utile que Fénelon ne lui proposait qu'en obéissant à son invitation. Toutes les parties de ce plan se renfermaient dans le cercle naturel des occupations et des connaissances d'une compagnie littéraire, telle que l'Académie française, et s'accordaient avec l'objet de son institution

Mais le moment n'était pas favorable, l'Acadé

(1) Elle ne ressemble pas même au dictionnaire du temps de M. de Bausset, historien de Fénelon et académicien lui-même. Ainsi M. de Bausset écrit partout les imparfaits des verbes en oit, et les pluriels des noms terminés au singulier en ent ou ant, en ens ou ans, tandis que la dernière édition de l'Académie a adopté les terminaisons en ait pour les imparfaits et conserve le t au pluriel des noms en ent et ant: comme le parent, les parents, l'enfant, les enfants, au lieu de les parens, les enfans.

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