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CHAPITRE VI.

Dispositions de la cour envers Fénelon.- La publication de Télé – maque ajoute au mécontentement du roi. — Interprétation maligne donnée à ce livre. Lettre de M. le duc de Bourgogne à Fénelon.- Réfutation des imputations calomnieuses dont Fenelon a été l'objet à l'occasion du Télémaque. Jugements littéraires portés sur cet ouvrage.

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Fénelon avait été condamné; Fénelon s'était soumis; l'Église avait applaudi; l'Europe avait admiré; la vérité avait triomphé dans le jugement du pape, et la vertu dans l'obéissance de Fénelon.

Beaucoup de personnes se livraient à l'espoir que cet heureux dénouement d'une controverse si longue et si animée, allait rendre Fénelon à la cour, à ses fonctions, à son ancienne faveur. Mais cet espoir n'était point partagé par ceux qui avaient une connaissance plus approfondie de la cour, passions et des intérêts qui y dominaient.

des

Louis XIV, comme nous l'avons déjà dit, avait plutôt de l'éloignement que du goût pour Fénelon; il était satisfait de sa soumission, mais il ne la regardait que comme un simple devoir et un acte de justice.

Mme de Maintenon était plus capable d'apprécier le mérite de la modestie et des sacrifices de Fénelon; mais elle lui avait fait trop de mal, elle avait trop offensé l'amitié, pour se pardonner à elle-même les torts où sa faiblesse l'avait entraînée.

Bossuet ne pouvait se dissimuler ses torts dans la Relation sur le quietisme; la religion et le temps pouvaient seuls guérir les plaies d'un cœur si profondément ulcéré.

Le cardinal de Noailles savait que Fénelon était en droit de lui reprocher ses variations, et il lui était moins facile de les expliquer que d'éviter une explication, si l'archevêque de Cambrai reparaissait à Versailles. D'ailleurs sa famille redoutait pour lui, auprès de Mme de Maintenon, un homme tel que Fénelon. Ainsi tous les Noailles avaient intérêt à le tenir éloigné de la cour.

De tous les adversaires de Fénelon, l'évêque de Chartres était celui qui aurait vu avec le moins de peine son retour à la cour; il n'avait ni l'ambition de la gloire, ni celle des honneurs et des places, et nous avons vu qu'il avait été le premier à faire des démarches pour se rapprocher de Fénelon.

Tous les ministres, à l'exception de M. de Beauvilliers, s'étaient déclarés contre l'archevêque de Cambrai, depuis qu'il était éloigné de la cour; et ils avaient un grand intérêt à ne point laisser rap

procher de M. le duc de Bourgogne un homme qui pouvait se ressouvenir de leurs procédés.

Telles étaient les dispositions de la cour envers Fénelon, lorsqu'un événement imprévu vint au secours de tant de passions et d'intérêts divers, et dispensa pour toujours les ennemis et les rivaux de Fénelon du soin pénible de veiller à sa perte: elle fut irrévocablement prononcée dans le cœur et l'esprit de Louis XIV par la publication du Télémaque.

Tout le monde sait que l'infidélité d'un domestique, que l'archevêque de Cambrai avait chargé de tirer une copie de son manuscrit, fit connaître au public un ouvrage qui a valu à son auteur une gloire qu'il n'avait pas ambitionnée, et des malheurs qu'il ne méritait pas. Le copiste infidèle eut assez de goût pour apprécier les beautés de l'ouvrage et trop peu de délicatesse pour résister au désir d'en tirer avantage. Dès le mois d'octobre 1698, il fit circuler, avec beaucoup de mystère, dans quelques sociétés, une copie du manuscrit de Fénelon, sans en faire connaître l'auteur. Encouragé par le succès remarquable qu'obtint cette lecture, cet homme vendit son manuscrit à la veuve de Claude Barbin, imprimeur au Palais. L'imprimeur, persuadé que l'auteur, quel qu'il fût, n'avait ni l'intention ni l'ambition de se faire connaître, demanda et obtint facilement sous son propre nom un privilége comme on était dans l'usage d'en ac

corder, sans beaucoup d'examen, à des imprimeurs connus, pour des ouvrages de littérature qui n'offraient rien de contraire à la religion et aux mœurs. On commença donc à imprimer le Télémaque sous le titre de Suite du quatrième livre de l'Odyssée, ou les Aventures de Télémaque, fils d'Ulysse; à Paris, chez la veuve de Claude Barbin, au Palais, 1699, avec privilége du roi, du 6 avril 1699.

Pendant l'impression de l'ouvrage, et avant la fin du premier volume, la cour fut instruite que le Télémaque était de l'archevêque de Cambrai. Les exemplaires des feuilles déjà imprimées furent saisis, les imprimeurs maltraités, et on usa, au nom de Louis XIV, des mesures les plus sévères pour anéantir un ouvrage qui devait ajouter tant de gloire au siècle de Louis XIV. Mais quelques exemplaires qui avaient échappé à la police, tout imparfaits qu'ils étaient, se répandirent avec rapidité. Bientôt les presses de Hollande s'en emparèrent, et à peine pouvaient-elles suffire à l'avidité du public.

Le succès prodigieux du Telémaque, en France et en Europe, fut ce qui contribua le plus à aigrir Louis XIV contre son auteur: on s'était empressé de lui dénoncer cet ouvrage comme la satire la plus éclatante de ses principes de gouvernement et des événements de son règne. On s'était étudié à chercher dans la conduite et le caractère des per

sonnages de ce poëme, des allusions piquantes à la cour et aux ministres de Louis XIV; et, si l'on en croit M. de Saint-Simon, « le maréchal de <«< Noailles, qui ne voulait rien moins que toutes << les places de M. de Beauvilliers, disait au roi « et à qui voulait l'entendre, qu'il fallait être << ennemi de sa personne pour avoir composé le « Télémaque. »

Fénelon, rassuré par le témoignage de sa conscience, avait dédaigné de se justifier contre des imputations auxquelles il se croyait supérieur. Ce silence si noble n'étonnait pas ses amis; mais des courtisans ne pouvaient pas le comprendre, et le public n'était pas obligé de l'expliquer.

Il n'est pas surprenant que ceux même qui n'avaient aucun intérêt personnel à nuire à Fénelon, parussent persuadés que sa plume n'avait fait que retracer avec fidélité les modèles qu'il avait eus sous les yeux pendant son séjour à Versailles.

Il est difficile de savoir jusqu'à quel point Louis XIV ajouta foi aux intentions que la calomnie prêtait à Fénelon dans la composition de ces portraits. Mais on ne peut douter qu'il n'ait été profondément irrité contre l'auteur d'un ouvrage dont les maximes étaient en opposition avec les principes de son gouvernement, avec les qualités dominantes de son caractère, et avec toutes les brillantes illusions qui l'avaient si longtemps séduit. Il dut reconnaître, dans l'auteur du Télé

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