VI. Le Loup et le Renard. MAIS d'où vient qu'au renard Esope accorde un point, N'en sait-il pas autant que lui? Je crois qu'il en sait plus; et j'oserois peut-être Deux seaux (4) alternativement Notre renard, poussé par une faim canine (5), Voilà l'animal descendú, Tiré d'erreur, mais fort en peine, Car comment remonter, si quelque autre affamé, Et succédant à sa misère, Par le même chemin ne le tiroit d'affaire? Deux jours s'étoient passés sans qu'aucun vint au puits, Le temps, qui toujours marche, avoit pendant deux nuits Echancré (6), selon l'ordinaire, De l'astre au front d'argent la face circulaire. (1) De ruse, de fourberie. Il est familier. (2) Au renard. (3) L'image ronde. (4) Vaisseau propre à puiser, à porter de l'eau. (5) Faim dévorante qu'on a peine à rassasier. (6) La lune étant dans son décours, sa surface étoit diminuée d'un côté.. Sire renard étoit désespéré, Compère loup, le gosier altéré (7), Passe par là: l'autre dit: Camarade, Je vous veux régaler; voyez-vous cet objet? C'est un fromage exquis. Le dieu Faune (8) l'a fait : La vache Io (9) donna le lait. Jupiter, s'il étoit malade, Reprendroit l'appétit en tâtant d'un tel mets.. J'en ai mangé cette échancrure; Le reste vous sera suffisante pâture. Descendez daus un sceau que j'ai là mis exprès. Il descend; et son poids, emportant l'autre part,. Ne nous en moquons point: nous nous laissons séduire Et chacun croit fort aisément Ayant grand faim.. (8) Dieu des troupeaux. (9) Fille du fleuve Inachus, dont Jupiter fut amoureux, et qu'il métamorphosa en vache pour cacher ses amours à Ju non. (10) Fait remonter. VII. Le Paysan du Danube.. Il ne faut point juger des gens sur l'apparence. Me servit à prouver le discours que j'avance: Le bon Socrate (2), Esope (3), et certain paysan (1) Livre 6, fable 5. (2) Le plus sage des philo sophes Grecs; il est le premier qui ait traité de la morale, Son extérieur n'étoit pas pré-. venant. (3) Il étoit très-contrefait. Des rives du Danube (4), homme dont Marc-Aurèle (5) On connoît les premiers: quant à l'autre, voici Sou menton nourrissoit une barbe touffue; Représentoit un ours, mais un ours mal léché (6): Cet homme ainsi bâti fut député des villes Ne pénétrât alors et ne portât les mains. Faute d'y recourir on viole leurs lois. Craignez, Romains, craignez que le ciel quelque jour Nos esclaves à votre tour. Et pourquoi sommes-nous les vôtres ? Qu'on me die (4) Grand fleuve d'Allemagne. (5) Empereur Romain du second siècle. (6) On applique cette ex pression à un homme brutal, rustre et mal élevé. (7) Plus communément saic, Sorte d'habit grossier. Eu quoi vous valez mieux que cent peuples divers. Nous cultivions en paix d'heureux champs; et nos mains S'ils avoient eu l'avidité, Comme vous, et la violence, Peut-être en votre place ils auroient la puissance, La majesté de vos autels Car sachez que les immortels Ont les regards sur nous. Grâces à vos exemples, Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome: Font pour les assouvir des efforts superflus. Cultiver pour eux les campagnes. Nous quittons les cités, nous fuyons aux montagnes; Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés : (8) Actuellement Allemands. à Rome, ou qui alloient gou(9) Magistrats chez les Ro mains qui rendoient la justice verner les provinces. Les Germains comme eux deviendront C'est tout ce que j'ai vu dans Rome à mon abord. Point de pourpre à donner; c'est en vain qu'on espère Je finis. Punissez de mort. Une plainte un peu trop sincère. On le créa patrice (10); et ce fut la vengeance (10) Sénateur. VIII. Le Vieillard et les trois jeunes Hommes. UN octogénaire (1) plantoit. Passe encor de bâtir; mais planter à cet âge! Disoient trois jouvenceaux (2), enfants du voisinage : Assurément il radotoit. Car, au nom des dieux, je vous prie, Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ? (1) Un homme de 80 ans. core dans l'adolescence. Terme de plaisanterie. |