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VI. Le Loup et le Renard.

MAIS d'où vient qu'au renard Esope accorde un point,
C'est d'exceller en tours plein de matoiserie (1) ?
J'en cherche la raison, et ne la trouve point.
Quaud le loup a besoin de défendre sa vie,
Ou d'attaquer celle d'autrui,

N'en sait-il pas autant que lui?

Je crois qu'il en sait plus; et j'oserois peut-être
Avec quelque raison contredire mon maître.
Voici pourtant un cas où tout l'honneur échut
A l'hôte des terriers (2). Un soir il aperçut
La lune au fond d'un puits: l'orbiculaire image (3)
Lui parut un ample fromage.

Deux seaux (4) alternativement
Puisoient le liquide élément :

Notre renard, poussé par une faim canine (5),
S'accommode en celui qu'au haut de la machine
L'autre seau tenoit suspendu.

Voilà l'animal descendú,

Tiré d'erreur, mais fort en peine,
Et voyant sa perte prochaine :

Car comment remonter, si quelque autre affamé,
De la même image charmé,

Et succédant à sa misère,

Par le même chemin ne le tiroit d'affaire?

Deux jours s'étoient passés sans qu'aucun vint au puits, Le temps, qui toujours marche, avoit pendant deux nuits Echancré (6), selon l'ordinaire,

De l'astre au front d'argent la face circulaire.

(1) De ruse, de fourberie. Il

est familier.

(2) Au renard.

(3) L'image ronde.

(4) Vaisseau propre à puiser,

à porter de l'eau.

(5) Faim dévorante qu'on a peine à rassasier.

(6) La lune étant dans son décours, sa surface étoit diminuée d'un côté..

Sire renard étoit désespéré, Compère loup, le gosier altéré (7), Passe par là: l'autre dit: Camarade, Je vous veux régaler; voyez-vous cet objet? C'est un fromage exquis. Le dieu Faune (8) l'a fait : La vache Io (9) donna le lait. Jupiter, s'il étoit malade, Reprendroit l'appétit en tâtant d'un tel mets..

J'en ai mangé cette échancrure;

Le reste vous sera suffisante pâture.

Descendez daus un sceau que j'ai là mis exprès.
Bien qu'au moins mal qu'il put il ajustat l'histoire,
Le loup fut un sot de le croire:

Il descend; et son poids, emportant l'autre part,.
Reguinde (10) en haut maître renard.

Ne nous en moquons point: nous nous laissons séduire
Sur aussi peu de fondement;

Et chacun croit fort aisément
Ce qu'il craint et ce qu'il désire.

Ayant grand faim..

(8) Dieu des troupeaux.

(9) Fille du fleuve Inachus, dont Jupiter fut amoureux, et

qu'il métamorphosa en vache pour cacher ses amours à Ju

non.

(10) Fait remonter.

VII. Le Paysan du Danube..

Il ne faut point juger des gens sur l'apparence.
Le conseil en est bon; mais il n'est pas nouveau.
Jadis l'erreur du souriceau (1)

Me servit à prouver le discours que j'avance:
J'ai, pour le fonder à présent,

Le bon Socrate (2), Esope (3), et certain paysan

(1) Livre 6, fable 5.

(2) Le plus sage des philo sophes Grecs; il est le premier qui ait traité de la morale,

Son extérieur n'étoit pas pré-. venant.

(3) Il étoit très-contrefait.

Des rives du Danube (4), homme dont Marc-Aurèle (5)
Nous fait un portrait fort fidèle.

On connoît les premiers: quant à l'autre, voici
Le personnage en raccourci.

Sou menton nourrissoit une barbe touffue;
Toute sa personnc velue

Représentoit un ours, mais un ours mal léché (6):
Sous un sourcil épais il avoit l'œil caché,
Le regard de travers, nez tortu, grosse lèvre,
Portoit sayon (7) de poil de chèvre,
Et ceinture de jones marins.

Cet homme ainsi bâti fut député des villes
Que lave le Danube. Il n'étoit point d'asiles
Où l'avarice des Romains

Ne pénétrât alors et ne portât les mains.
Le député vint donc et fit cette harangue :
Romains, et vous, Sénat assis pour m'écouter.
Je supplie avant tout les dieux de m'assister:
Veuillent les immortels, conducteurs de ma langue,
Que je ne dise rien qui doive être repris !
Sans leur aide il ne peut entrer dans les esprits
Que tout mal et toute injustice:

Faute d'y recourir on viole leurs lois.
Témoin nous que punit la romaine avarice:
Rome est, par nos forfaits, plus que par ses exploits,
L'instrument de notre supplice.

Craignez, Romains, craignez que le ciel quelque jour
Ne transporte chez vous les pleurs et la misère;
Et mettant en vos mains, par un juste retour,
Les armes dont se sert sa vengeance sévère,
Il ne vous fasse, en sa colère,

Nos esclaves à votre tour.

Et pourquoi sommes-nous les vôtres ? Qu'on me die

(4) Grand fleuve d'Allemagne. (5) Empereur Romain du second siècle.

(6) On applique cette ex

pression à un homme brutal, rustre et mal élevé.

(7) Plus communément saic, Sorte d'habit grossier.

Eu quoi vous valez mieux que cent peuples divers.
Quel droit vous a rendus maîtres de l'univers ?
Pourquoi venir troubler une innocente vie?

Nous cultivions en paix d'heureux champs; et nos mains
Etoient propres aux arts ainsi qu'au labourage.
Qu'avez-vous appris aux Germains (8) ?
Ils ont l'adresse et le courage:

S'ils avoient eu l'avidité,

Comme vous, et la violence,

Peut-être en votre place ils auroient la puissance,
Et sauroient en user sans inhumanité.
Celle que vos préteurs (9) ont sur nous exercée
N'entre qu'à peine en la pensée.

La majesté de vos autels
Elle-même en est offensée;

Car sachez que les immortels

Ont les regards sur nous. Grâces à vos exemples,
Ils n'ont devant les yeux que des objets d'horreur,
De mépris d'eux et de leurs temples,
D'avarice qui va jusques à la fureur.

Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome:
La terre et le travail de l'homme

Font pour les assouvir des efforts superflus.
Retirez-les on ne veut plus

Cultiver pour eux les campagnes.

Nous quittons les cités, nous fuyons aux montagnes;
Nous laissons nos chères compagnes,
Nous ne conversons plus qu'avec des ours affreux,
Découragés de mettre au jour des malheureux,
Et de peupler pour Rome un pays qu'elle opprime.
Quant à nos enfants déjà nés,

Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés :
Vos préteurs au malheur nous font joindre le crime.
Retirez-les ils ne nous apprendront
Que la mollesse et que le vice :

(8) Actuellement Allemands. à Rome, ou qui alloient gou(9) Magistrats chez les Ro

mains qui rendoient la justice

verner les provinces.

Les Germains comme eux deviendront
Gens de rapine et d'avarice.

C'est tout ce que j'ai vu dans Rome à mon abord.
N'a-t-on point de présent à faire,

Point de pourpre à donner; c'est en vain qu'on espère
Quelque refuge aux lois: encor leur ministère
A-t-il mille longueurs. Ce discours un peu fort
Doit commencer à vous déplaire.

Je finis. Punissez de mort.

Une plainte un peu trop sincère.
A ces mots, il se couche: et chacun étonné
Admire le grand cœur, de bon sens, l'éloquence
Du sauvage ainsi prosterné.

On le créa patrice (10); et ce fut la vengeance
Qu'on crut qu'un tel discours méritoit. On choisit
D'autres préteurs ! et par écrit
Le sénat demanda ce qu'avoit dit cet homme,
Pour servir de modèle aux parleurs à venir.
On ne sut pas long-temps à Rome
Cette éloquence entretenir.

(10) Sénateur.

VIII. Le Vieillard et les trois jeunes Hommes.

UN octogénaire (1) plantoit. Passe encor de bâtir; mais planter à cet âge! Disoient trois jouvenceaux (2), enfants du voisinage : Assurément il radotoit.

Car, au nom des dieux, je vous prie, Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ?

(1) Un homme de 80 ans.
(2) Jeune homme qui est en-

core dans l'adolescence. Terme de plaisanterie.

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