Oldalképek
PDF
ePub
[ocr errors]

Afin de le guérir, le sort officieux
Présentoit partout à ses yeux

Les conseillers muets dont se servent nos dames:
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
Miroirs aux poches des galants,

Miroirs aux ceintures des femmes.

Que fait notre Narcisse (1)? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure.
Mais uu canal, formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés:

Il s'y voit, il se fache; et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.
Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau:
Mais quoi! le canal est si beau,

Qu'il ne le quitte qu'avec peine.

On voit bien où je veux venir.

Je parle à tous; et cette erreur extrême Est un mal que chacun se plaît d'entretenir. Notre âme, c'est cet homme amoureux de lui-même ;; Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui, Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes: Et quand au canal, c'est celui

Que chacun sait, le livre des Maximes (2)

(1) On appelle Narcisse un homme amoureux de sa figure, par allusion à ce que la fable dit de Narcisse, qui, en se regardant dans l'eau, fut si épris

de lui-même qu'il en perdit la vie.

(2) Réflexions morales du duc de la Rochefoucauld.

XII. Le Dragon à plusieurs tétes, et le Dragon à plusieurs

queues.

UN envoyé du grand seigneur

Préféroit, dit l'histoire, un jour, chez l'empereur,
Les forces de son maître à celles de l'empire.
Un Allemand se mit à dire :

Notre prince a des dépendants.
Qui, de leur chef, sont si puissants,

Que chacun d'eux pourroit soudoyer une armée,,
Le chiaoux (1), homme de sens,

Lui dit; Je sais par renommée.

Ce que chaque électeur peut de monde fournir;
Et cela me fait souvenir

D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.

J'étois en un lieu sûr, lorsque je vis passer-
Les cents têtes d'une hydre (2) au travers d'une haie.
Mon sang commence à se glacer!

Et je crois qu'à moins on s'effraie.
Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal:
Jamais le corps de l'animal

Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture.
Je rêvois à cette aventure,

Quand un autre dragon, qui n'avoit qu'un seul chef,
Et bien plus d'une queue, à passer se présente.
Me voilà saisi derechef (3)
D'étonnement. et d'épouvante.

Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi :..
Rien ne les empêcha, l'un fit chemin à l'autre,

Je soutiens qu'il en est ainsi

De votre empereur et du nôtre..

[blocks in formation]

POUR un âne enlevé deux voleurs se battoient: .
L'un vouloit le garder, l'autre le vouloit vendre,
Tandis que coups de poings trottoient,
Et que nos champions songeoient à se défendre,
Arrive un troisième larron,

Qui saisit maître aliboron (1).

(1) Nom burlesque qu'on donne à un âne, et dont on se gert au figuré en parlant d'un

homme qui fait le connoisseur en tout et qui ne se connoît en rien.

L'âne, c'est quelquefois une pauvre province :-
Les voleurs sont tel et tel prince,

Comme le Trausilvain, le Turc et le Hongrois.
Au lieu de deux, j'en ai rencontré trois :
Il est assez de cette marchandise.

De nul d'eux n'est souvent la province conquise:
Un quart voleur survient, qui les accorde net
En se saisissant du baudet (2).

(2) De l'âne.

XIV. Simonide préservé par les dieux.

On ne peut trop louer trois sortes de personnes;
Les dieux, sa maîtresse et son roi.
Malherbe (1) le disoit : je souscris quant à moi:
Ce sont maximes toujours bonnes.
La louange chatouille et gagne les esprits:
Les faveurs d'une belle en sont souvent le prix..
Voyons comme les dieux l'ont quelquefois payée.

Simonide (2) avoit entrepris

L'éloge d'un athlète (3); et, la chose essayée,,
Il trouva son sujet plein de récits tout nus.
Les parents de l'athlète étoient gens inconnus;
Son père, un bon bourgeois; lui, sans autre mérite;
Matière infertile et petite..

Le poète d'abord parla de son héros.

Après en avoir dit ce qu'il en pouvoit dire,
Il se jette à côté, se met sur le

propos

De Castor et Pollux (4u; ne manque pas d'écrire
Que leur exemple étoit aux lutteurs glorieux;
Elève leurs combats, spécifiant les lieux

(1) Poète françois. (2) Fameux philosophe et poète grec.

(3) Celui qui combattoit dans les jeux solennels de la Grèce. (4) Fils de Jupiter et de Léda,

qui s'étant rendus fameux par leur adresse dans les exercices du corps et par leur valeur, furent placés parmi les constellations après leur mort.

Où ces frères s'étoient signalés davantage::
Enfin, l'éloge de ces dieux

Faisoit les deux tiers de l'ouvrage.

L'athlète avoit promis d'en payer un talent:
Mais quand il le vit, le galant

N'en donna que le tiers; et dit, fort franchement,
Que Castor et Pollux acquittassent le reste:
Faites-vous contenter par ce couple céleste.
Je veux vous traiter cependant;

Venez souper chez moi: nous ferons boune vie ;:
Les conviés sont gens choisis,

Mes parents, mes meilleurs amis.
Soyez donc de la compagnie..

Simonide promit. Peut-être qu'il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange (5)..
Il vient: l'on festine (6), l'on mauge.
Chacun étant en belle humeur,

[ocr errors]

Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte
Deux hommes demandoient à le voir promptement..
Il sort de table; et la cohorte
N'en perd pas un seul coup de dent.

Ces deux hommes étoient les gémeaux de l'éloge.
Tous deux lui rendent grâce; et pour prix de ses vers,,
Ils l'avertissent qu'il déloge,.
Et que cette maison va tomber à l'envers..
La prédiction en fut vraie.

Un pilier manque; et le plafond,
Ne trouvant plus rien qui l'étaie,

Tombe sur le festin, brise plats et flacons,
N'en fait pas moins aux échansons (7)..

Ce ne fut pas le pis: car, pour rendre complète
La vengeance due au poète,

Une poutre cassa les jambes à l'athlète
Et renvoya les conviés

Pour la plupart estropiés.

(5) Outre l'argent qui lui étoit dû, la reconnoissance qu'on lui devoit encore pour sa louange,

(6) Faire festin. Il est familier.

(7) Mot qui au propre signifie l'officier qui sert à boire à un roi, ou à un prince..

La renommée eut soin de publier l'affaire :"
Chacun cria, Miracle! On doubla le salaire

Que méritoient les vers d'un homme aimé des dieux.
Il n'étoit fils de bonne mère

Qui, les payaut à qui mieux mieux,

Pour ses ancêtres n'en fit faire.

Je reviens à mon texte: et dis premièrement
Qu'on ne sauroit manquer de louer largement
Les dieux et leurs pareils; de plus, que Melpomène (8)
Souvent, sans déroger, trafique de sa peine;
Enfin qu'on doit tenir notre art en quelque prix.
Les grands se font honneur, dès-lors qu'ils nous font
grâce:

Jadis l'Olympe (9) et le Parnasse (10)

Etoient frères et bons amis.

(8) Une des neuf muses. Ce mot est mis ici pour les poètes qu'elle inspire.

(9) Séjour des dieux.

(10) Montagne habitée par les muses.

XV. La Mort et le Malheureux.

UN malheureux appeloit tous les jours
La mort à son secours.

O Mort! lui disoit-il, que tu me sembles belle !
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle !
La mort crut, en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
Que vois-je! cria-t-il: ôtez-moi cet objet!
Qu'il est bideux ! que sa rencontre
Me cause d'horreur et d'effroi !
N'approche pas, ô Mort! ô Mort, retire-toi!

Mécénas (1) fut un galant homme:
Il a dit quelque part: qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
Je vive, c'est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, ô Mort, on t'en dit tout autant.

(1) Favori de l'empereur Auguste.

Ce sujet a été traité d'une autre façon par Esope, comme la

« ElőzőTovább »