Foi de lion, très-bien écrite : Bon passeport contre la dent, Contre la griffe tout autant. L'édit du prince s'exécute: De chaque espèce on lui députe. Les renards gardant la maison, Un d'eux en dit cette raison:
Les pas empreints sur la poussière
Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour Tous, sans exception, regardent sa tannière; Pas un ne marque de retour. Cela nous met en méfiance. Que sa majesté nous dispense: Grand merci de son passeport. Je le crois bon: mais dans cet antre Je vois fort bien-c omme l'on entre. Et ne vois pas comme on en sort.
XV. L'Oiseleur, l'Autour, et l'Alouette.
LES injustices des pervers
Servent souvent d'excuse aux nôtres, Telle est la loi de l'univers :
Si tu veux qu'on t'épargne, épargne aussi les autres.
Un manant au miroir (1) prenoit des oisillons. Le fantôme brillant attire une alouette: Aussitôt un autour (2) planant sur les sillons, Descend des airs, fond et se jette
Sur celle qui chantoit, quoique près du tombeau. Elle avoit évité la perfide machine,
Lorsque, se rencontrant sous la main de l'oiseau, Elle sent son ongle maligne (3).
Pendant qu'à la plumer l'autour est occupé,
(1) Chassoit aux petits oiseaux, avec un miroir placé près d'un filet.
(2) Oiseau de proie. (3) Selon l'usage actuel, angle est toujours masculin.
Lui-même sous les rets demeure enveloppé : Oiseleur, laisse-moi, dit-il en son langage, Je ne t'ai jamais fait de mal.
L'oiseleur repartit: Ce petit animal T'en avoit-il fait davantage?
EN ce monde il se faut l'un l'autre secourir ; Si ton voisin vient à mourir,
C'est sur toi que le fardeau tombe.
Un ane accompagnoit un cheval peu courtois, Celui-ci ne portant que son simple harnois, Et le pauvre baudet si chargé qu'il succombe. Il pria le cheval de l'aider quelque peu ; Autrement il mourroit devant qu'être à la ville. La prière, dit-il n'en est pas incivile : Moitié de ce fardeau ne vous sera que jeu. Le cheval refusa, fit une pétarade;
Tant qu'il vit sous le faix mourir son camarade,, Et reconnut qu'il avoit tort..
Du baudet en cette aventure On lui fit porter la voiture. Et la peau par-dessus encor.
XVII. Le Chien qui lâche sa proie pour l'ombre..
CHACUN se trompe ici-bas: On voit courir après l'ombre Tant de fous, qu'on n'en sait pas,
La plupart du temps, le nombre.
Au chien dont parle Esope il faut les renvoyer.
Ce chien voyant sa proie en l'eau représentée
La quitta pour l'image, et pensa se noyer: La rivière devint tout d'un coup agitée; A toute peine il regagna les bords, Et n'eut ni l'ombre ni le corps.
XVIII. Le Chartier embourbé.
LE Phaéton (1) d'une voiture à foin Vit son char embourbé. Le pauvre homme étoit loin De tout humain secours : c'étoit à la campague, Près d'un certain canton de la Basse-Bretagne Appelé Quimper-Corentin. On sait assez que le Destin
Adresse là les gens quand il veut qu'on enrage.. Dieu nous préserve du voyage!
Pour venir au chartier embourbé dans ces lieux, Le voilà qui déteste et jure de son mieux, Pestant en sa fureur extrême,
Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux, Contre son char, contre lui-même.. Il invoque à la fin le dieu dont les travaux Sont si célèbres dans le monde : Hercule, lui dit-il, aide-moi; si ton dos A porté la machine ronde, Ton bras peut me tirer d'ici.
Sa prière étant faite, il entend dans la nue Une voix qui lui parle ainsi: Hercule veut qu'on se remue;
Puis il aide les gens. Regarde d'où provient L'achoppement (2) qui te retient; Ote d'autour de chaque roue
Ce malheureux mortier, cette maudite boue Qui jusqu'à l'essieu les enduit ;
(1) Le conducteur. Phaeton,
Als du Soleil, voulut conduire le char de son père,
(2) L'obstacle. Il est vieux.
Prends ton pic, et me romps ce caillou qui te nuit; Comble-moi cette ornière. As-tu fait ? Oui, dit l'homme. Or bien je vais t'aider, dit la voix: prends ton fouet. Je l'ai pris...Qu'est-ce ci! mon char marche à souhait ! Hercule en soit loué! Lors la voix: Tu vois comme Tes chevaux aisément se sont tirés de là.
Aide-toi, le ciel t'aidera.
LE monde n'a jamais manqué de charlatans: Cette science, de tout temps.
Fut en professeurs très-fertile. Tantôt l'un en théâtre affronte l'Achéron (1); Et l'autre affiche par la ville Qu'il est un passe-Cicéron (2).
Un des derniers se vantoit d'être En éloquence si grand maître, Qu'il rendroit disert un badaud,
Un manant, un rustre, un lourdaud ;
Oui, messieurs, un lourdaud, un animal, un âne: Que l'on m'amène un âne, un âne renforcé, Je le rendrai maître passé,
Et veux qu'il porte la scutane (3).
Le prince sut la chose: il manda le rhéteur. J'ai, dit-il, en mon écurie
Un fort beau roussin d'Arcadie (4); J'en voudrois faire un orateur.
Sire, vous pouvez tout, reprit d'abord notre homme. Ôn lui donna certaine somme.
(1) Prétend défier, braver la mort avec l'antidote qu'il vend. (2) Plus éloquent que Cicé
étroites, à l'usage des ecclesiastiques.
(4) Expression familière pour dire un ane.
Il devoit au bout de dix ans
Mettre son âne sur les bancs (5):
Sinon il consentoit d'être en place publique Guindé la hart (6) au col, étranglé, court et net, Ayant au dos sa rhétorique,
Et les oreilles d'un baudet.
Quelqu'un des courtisans lui dit qu'à la poce Il vouloit l'aller voir; et que, pour un pendu, Il auroit bonne grâce et beaucoup de prestance; Surtout qu'il se souvint de faire à l'assistance Un discours où son art fut au long étendu ; Un discours pathétique, et dont le formulaire Servit à certains Cicérons
Vulgairement nommés larrons. L'autre reprit Avant l'affaire, Le roi, l'âne, ou moi, nous mourrons.
Il avoit raison. C'est folie
De compter sur dix ans de vie.
Soyons bien buvants, bien mangeants: Nous devons à la mort de trois l'un en dix ans.
(5) Dans les écoles publi- (6) La corde.
LA déesse Discorde ayant brouillé les dieux, Et fait un grand procès là-haut pour une pomme (1),. On la fit déloger des cieux.
Chez l'animal qu'on appelle homme On la reçut à bras ouverts, Elle et Que-si-que-non (2), son frère,.
(1) La pomme d'or que se disputèrent Junon, Pallas et Vénus, et que Paris adjugea à cette dernière..
(2) Mut composé de que-si pour affirmer, et de que-non pour nier.
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