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IV

LETTRES DE FÉNELON

Nous reproduisons in extenso, d'après sa Correspondance, publiée à Paris, 1827, en onze volumes in-8°, les lettres écrites par Fénelon pendant sa mission en Saintonge, et nous imprimons en caractère italique tous les passages supprimés par le cardinal de Bausset.

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« Je crois devoir me hâter de vous rendre compte de la mauvaise disposition où j'ai trouvé les peuples de ce lieu. Les lettres qu'on leur écrit de Hollande leur assurent qu'on les y attend pour leur donner des établissements avantageux, et qu'ils seront au moins sept ans en ce pays-là sans payer aucun impôt. En même temps, quelques petits droits nouveaux qu'on a établis sur cette côte, coup sur coup, les ont fort aigris. La plupart disent assez hautement qu'ils s'en iront dès que le temps sera plus assuré pour la navigation. Je prends la liberté, Monsieur, de vous représenter qu'il me semble que la garde des lieux ou ils peuvent passer, a besoin d'être augmentée. On assure que la rivière de Bourdeaux fait encore plus de mal que les passages

de cette côte, puisque tous ceux qui veulent s'enfuir vont passer par là, sous prétexte de quelque procès. Il me semble aussi que l'autorité du roi ne doit se relâcher en rien; car notre arrivée en ce pays, jointe aux bruits de guerre qui viennent sans cesse de Hollande, font croire à ces peuples qu'on les craint et qu'on les ménage. Ils se persuadent qu'on verra bientôt quelque grande révolution, et que le grand armement des Hollandais est destiné à venir les délivrer. Mais en même temps que l'autorité doit être inflexible pour contenir ces esprits, que la moindre mollesse rend insolens, je croirois, Monsieur, qu'il seroit important de leur faire trouver en France quelque douceur de vie, qui leur ôtât la fantaisie d'en sortir. Il est à craindre qu'il en partira un grand nombre dans les vaisseaux hollandois qui commencent à venir pour la foire de Mars à Bourdeaux. On assure que les officiers nouveaux convertis font ici mollement leur devoir. Pour M. de Blénac, il me paroît faire le sien fort exactement. Pendant que nous employons la charité et la douceur des instructions, il est important, si je ne me trompe, que les gens qui ont l'autorité la soutiennent, pour faire mieux sentir aux peuples le bonheur d'être instruits doucement. Je crois que M. l'intendant sera ici dans peu de jours; cela sera très-utile, car il se fait craindre et aimer tout ensemble. Une petite visite qu'il vint nous rendre à Marennes, fit des merveilles; il acheva d'entraîner les esprits les plus difficiles. Depuis ce temps-là, nous avons trouvé les gens plus assidus et plus dociles. Il leur reste encore des peines sur la religion; mais d'ailleurs ils avouent presque tous

que nous leur avons montré avec une pleine évidence qu'il faut, selon l'Ecriture, se soumettre à l'Eglise, et qu'ils n'ont aucune objection à faire contre la doctrine catholique, que nous n'ayons détruite très-clairement. Quand nous sommes partis de Marennes, nous avons reconnu de plus en plus qu'ils sont plus touchés qu'ils n'osent le témoigner; car alors ils n'ont pu s'empêcher de montrer beaucoup d'affliction. Cela a été si fort, que je n'ai pu leur refuser de leur laisser une partie de nos messieurs, et de leur promettre que nous retournerions. tous chez eux. Pourvu que ces bons commencemens soient soutenus par des prédicateurs doux, et qui joignent au talent d'instruire celui de s'attirer la confiance des peuples, ils seront bientôt véritablement catholiques. Je ne vois, Monsieur, que les Pères Jésuites qui puissent faire cet ouvrage; car ils sont respectés pour leur science et pour leur vertu. Il faudra seulement choisir parmi eux ceux qui sont les plus propres à se faire aimer. Nous en avons un ici, nommé le Père Aimar, qui travaille avec nous, et qui est un ouvrier admirable; je le dis sans exagération. Au reste, Monsieur, j'ai reçu une lettre du Père de la Chaise, qui me donne des avis fort honnêtes et fort obligeans sur ce qu'il faut, dès les premiers jours, accoutumer les nouveaux convertis aux pratiques de l'Eglise, pour l'invocation des saints et pour le culte des images. Je lui avois écrit, dès les commencemens, que nous avions cru devoir différer de quelques jours l'Ave Maria dans nos sermons, et les autres invocations des saints dans les prières publiques que nous faisions en chaire. Je lui avois rendu ce compte par

précaution, quoique nous ne fissions en cela que ce que font tous les jours les curés dans leurs prônes, et les missionnaires dans leurs instructions familières. Depuis ce temps-là je lui ai rendu le même compte de notre conduite, que j'ai déjà eu l'honneur de vous rendre. J'espère que cela, joint au témoignage de M. l'évêque et de M. l'intendant, et des Pères Jésuites, nous justifiera pleinement.

"

Je suis avec un respect et une reconnaissance parfaite, Monsieur,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

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« Nous avons laissé Marennes aux Jésuites, qui commencent à y grossir leur communauté, selon votre projet. Après plus de deux mois d'instruction sans relâche, nous avons cru devoir mettre en possession de ce lieu les ouvriers qui y seront fixés, et passer dans les autres de cette côte, dont les besoins ne sont pas moins pressans. Les trois Jésuites de Marennes n'y seront pas inutiles avec ceux qui y viennent. Les uns tempéreront les autres; il en faut même pour le temporel. Avant que de les quitter, j'ai tâché de faire deux choses l'une de faire espérer aux peuples beaucoup de douceur et de consolation de la part de ces bons

:

Pères, dont j'ai relevé fortement la bonne vie et le savoir; l'autre de persuader en même temps à ces Pères qu'ils doivent en toute occasion se rendre les intercesseurs et les conseils du peuple, dans toutes les affaires qu'ils ont auprès des gens revêtus de l'autorité du Roi. N'importe que les gens qui ont l'autorité leur refusent ce qu'il ne sera pas à propos de leur accorder; mais enfin ils doivent parler le plus souvent qu'ils pourront, sans être indiscrets, pour attirer des grâces, et pour adoucir les punitions: c'est le moyen de les faire aimer, et de leur faire gagner la confiance de tout le pays; c'est ce qui déracinera le plus l'hérésie car il s'agit bien moins du fond des controverses, que de l'habitude dans laquelle les peuples ont vieilli, de suivre extérieurement un certain culte, et de la confiance qu'ils avoient en leurs ministres. Il faut transplanter insensiblement cette habitude et cette confiance chez les pasteurs catholiques par là les esprits se changeront presque sans s'en apercevoir. Dans cette vue j'ai pris soin que plusieurs petites grâces, que nous obtenions pour les habitans de Marennes, passassent extérieurement par le canal des Jésuites, et j'ai fait valoir au peuple qu'il leur en avoit l'obligation. Si ces bons Pères cultivent cela, comme je l'espère, ils se rendront peu à peu maîtres des esprits. Ces peuples sont dans une violente agitation d'esprit; ils sentent une force dans notre religion, et une foiblesse dans la leur qui les consterne. Leur conscience est toute bouleversée, et les plus raisonnables voient bien où tout cela va naturellement; mais l'engagement du parti, la mauvaise honte, l'habitude et les lettres de Hollande qui

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