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pour le détourner de son entréprise; quand il pénètre des sa première démarche jusques dans le cœur d'une Province (la Hollande), où l'on trouve à chaque pas des barrières insurmontables, et qu'il en subjugue une autre en huit jours, pendant la saison la plus ennemie de la guerre; lorsque le repos et les plaisirs règnent dans les cours des autres Princes; quand non content de dompter les hommes, il veut triompher aussi des Elémens; et quand, au retour de cette expédition, où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses Peuples comme un Auguste; avouez le vrai, Monseigneur, vous soupirez pour la gloire aussi bien que lui, malgré l'impuissance de vos années: vous attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous declarer son rival dans l'amour de cette divine Maitresse. Vous ne l'attendez pas, MONSEIGNEeur, vous le prévenez. Je n'en veux pour témoignage que ces nobles inquiétudes, cette vivacité, cette ardeur, ces marques d'esprit, de courage et de grandeur d'ame, que vous faites paroître à tous les momens. Certainement c'est une joie bien sensible à notre Monarqne, mais c'est un spectacle bien agréable pour l'Univers, que de voir ainsi croítre une jeune plante, qui couvrira un jour de son ombre tant de Peuples et de Nations. Je devrois m'étendre sur ce sujet; mais comme le dessein que

j'ai de vous divertir, est plus proportionné à mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux Fables, et n'ajouterai aux vérités que je vous ai dites, que celle-ci : c'est, MONSEIGNeur, que je suis avec un zèle respectueux,

Votre très-humble et très-obéissant,

et très-fidèle serviteur,

DE LA FONTAINE.

DE LA FONTA IN E.

L'INDULGENCE que l'on a eue pour quelques-unes de mes Fables, me donne lieu d'espérer la même grace pour ce Recueil. Ce n'est pas qu'un des Maîtres de notre Eloquence n'ait désapprouvé le dessein de les mettre en vers (1). Il a cru que leur principal ornement est de n'en avoir aucun que d'ailleurs la contrainte de la poésie, jointe à la sévérité de notre langue, m'embarrasseroient en beaucoup d'endroits, et banniroient de la plupart de ces récits la briéveté qu'on peut fort bien appeler l'ame du Conte, puisque sans elle il faut nécessairement qu'il languisse. Cette opinion ne sauroit partir que d'un homme d'excellent goût: je demanderois seulement qu'il en relâchât quelque peu, et qu'il crût que les Grâces Lacédémoniennes ne sont pas tellement ennemies des Muses Françaises, que l'on ne puisse souvent les faire marcher de compagnie.

Après tout, je n'ai entrepris la chose que sur

(1) Patru avoit aussi condamné le projet de l'Art Poétique de Boileau. Que de pertes pour notre langue et pour l'honneur du nom français, si le génie de La Fontaine et de Boileau eût été aussi timide que la raison de l'Avocat. C'étoit lui pourtant que ses contemporains appeloient le Quintilien Français, et le eélèbre père Bouhours le vantoit comme l'homme qui sût le mieux la langue. (Voyez D'Olivet, Hist. de l'Acad. Franç. pag. 181 et suiv. Paris, 1730.)

nasse

l'exemple, je ne veux pas dire des Anciens, qui ne tire point à conséquence pour moi, mais sur celui des Modernes. C'est de tout temps, et chez tous les peuples qui font profession de poésie, que le Para jugé ceci de son apanage. A peine les Fables qu'on attribue à Esope, virent le jour, que Socrate trouva à propos de les habiller des livrées des Muses. Ce que Platon en rapporte est si agréable, que je ne puis m'empêcher d'en faire un des ornemens de cette Préface. Il dit que Socrate étant condamné au dernier supplice, l'on remit l'exécution de l'arrêt à cause de certaines fêtes. Cébès l'alla voir le jour de sa mort. Socrate lui dit, que les Dieux l'avoient averti plusieurs fois pendant son sommeil, qu'il devoit s'appliquer à la musique avant qu'il mourût. Il n'avoit pas entendu d'abord ce que ce songe signifioit: car comme la musique ne rend pas l'homme meilleur, à quoi bon s'y attacher? Il falloit qu'il y eût du mystère là-dessous ; d'autant plus que les Dieux ne se lassoient point de lui envoyer la même inspiration. Elle lui étoit encore venue une de ces fêtes. Si bien qu'en songeant aux choses que le ciel pouvoit exiger de lui, il s'étoit avisé que la musique et la poésie ont tant de rapport, que possible étoit-ce de la dernière qu'il s'agissoit. Il n'y a point de bonne poésie sans harmonie; mais il n'y en a point non plus sans fictions; et Socrate ne savoit que dire la vérité. Enfin, il avoit trouvé un tempérament. C'étoit de choisir des Fables qui continssent quelque chose de

véritable, telles que sont celles d'Esope. Il employa donc à les mettre en vers les derniers moments de sa vie (1).

Socrate n'est pas le seul qui ait considéré comme sœurs, la Poésie et nos Fables. Phèdre a témoigné qu'il étoit de ce sentiment; et par l'excellence de son ouvrage, nous pouvons juger de celui du Prince des Philosophes. Après Phèdre, Aviénus a traité le même sujet. Enfin les Modernes les ont suivis. Nous en avons des exemples non seulement chez les étrangers, mais chez nous (2). Il est vrai que lorsque nos gens y ont travaillé, la langue étoit si différente de ce qu'elle est, qu'on ne les doit considérer que comme étrangers. Cela ne m'a point détourné de mon entreprise : au contraire, je me suis flatté de l'espérance, que, si je ne courois dans cette

(1) Platon, dans le Phédon ou Traité de l'Immortalité de l'Ame. Plutarque et Suidas rapportent la même anecdote.

(2) Chez les étrangers, avant La Fontaine, les ALLEMANDS avoient eu, dès le treizième siècle, les Fables de Riedembourg, au nombre de 51; au seizième siècle, celles de Hugues de Trymberg. Burcard Waldis avoit donné son roman du Renard, transporté dans toutes les langues; quelques écrivains font remonter jusqu'au neuvième siècle l'original de ce poëme, qui est un long Apologue. Les ANGLOIS Comptoient aussi quelques Fables, celles d'Ogilby, qui sont une traduction d'Esope. Dryden avoit mis en beaux vers la fable du Pogge, le Renard et le Coq. Ce sont-là les plus célèbres. Notre Apologue FRANÇAIS avoit été bien plus fécond. Le recueil des Fabulistes qui ont précédé La Fontaine, pourroit être l'objet d'un Mémoire aussi neuf qu'intéressant; ce seroit un nouvel âge rendu à l'histoire de ce bel Art, comme parle notre excellent Fabuliste.

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