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si nécessaires à la plupart des hommes qui ont quelque chose à cacher, n'étoient guères faites pour cette ame toujours ouverte, dont tous les mouvemens étoient prompts, libres et honnêtes; pour cet homme qui seul pouvoit tout dire, parce qu'il n'avoit jamais intention d'offenser. Ce mot si connu, je prendrai le plus long, auroit été dans la bouche de tout autre une impolitesse choquante (1). Il fait rire dans La Fontaine, qui ne songeoit qu'à dire bonnement combien il avoit envie de s'en aller.

Il réclame quelque part contre l'axiome reçu que tout homme est menteur. S'il en est un qui n'ait jamais menti, on croira volontiers que c'est La Fontaine. Cette ingénuité de mœurs et de paroles alloit si loin, que ses amis l'appeloient quelquefois bêtise (2); mot qu'on ne

(1) Voici l'anecdote. Invité à dîner dans un de ces endroits où le maître de la maison présente un homme d'esprit aux convives, comme un des mets de sa table, il mangea beaucoup et ne dit mot. Comme il se retiroit de table de fort bonne heure, sous prétexte de se rendre à l'académie, on lui représenta qu'il avoit très-peu de chemin à faire je prendrai le plus long, répondit La Fontaine; et le voilà parti.

(2) Le mot est de Fontenelle. Le bon La Fontaine se plaçoit fort au-dessous de Phèdre. Cela ne tirera point à conséquence, disoit à cette occasion l'ingénieux académicien; La Fontaine ne le cède ainsi à Phèdre que par bétise. Le poète Dorat rappelle cette expression dans son Epitre à Champfort, à l'occasion de son Eloge de La Fontaine :

Tu nous peins sa philosophie'

Qui fut un instinct précieux;
Sa nonchalante bonhommie,

Un sens droit caché sous les jeux;

Une foule de mots heureux

pouvoit se permettre sans conséquence, que pour un homme de génie, mais qui prouve en même temps que les hommes ne jugent guères de l'esprit que sur les rapports qu'il a avec eux. L'esprit, sur chaque objet, dépend toujours du degré d'attention qu'on y apporte. Il n'en falloit pas beaucoup sans doute pour observer toutes les petites convenances de la société. La Fontaine accoutumé à la jouissance de ses idées, ou au plaisir de ne songer à rien, oublioit le plus souvent ces conve→ nances; et cet oubli, on l'appeloit bêtise. Remarquons pourtant que si cet oubli avoit paru tenir le moins du monde à un sentiment de supériorité ou de mépris, il auroit été sans excuse. Mais chez lui, c'étoit la préoccupation de son talent; et, grace à la douceur de son caractère, elle pouvoit amuser quelquefois, et ne pouvoit jamais blesser.

Il étoit naturellement distrait (1). Il n'est pas sans

Qui font rire jusqu'à l'envie ;

Sa piquante naïveté,

Et sa simplesse et sa gaîté,

Et la bêtise du génie.

(1) Les distractions de La Fontaine le rendirent un moment plus célèbre en France que ses chefs-d'œuvre. Rapportons ici quelques-unes de celles que Boileau, Louis Racine et d'Olivet n'ont pas fait difficulté de conserver à la mémoire des hommes.

Un jour qu'il s'étoit laissé conduire à Ténèbres par Racine, s'ennuyant de l'office, il se mit à lire un volume de la Bible, qui contenoit les petits Prophètes. Il étoit tombé par hasard sur la prière des Juifs dans Baruch, lorsque se retournant tout-à-coup vers Racine: Qui étoit ce Baruch? lui dit-il; savez-vous que c'étoit un beau génie? Pendant plusieurs jours, il fut continuellement occupé de Baruch, et ne se lassoit point de demander à tous ceux qu'il rencontroit: Avez-vous lu Baruch? c'étoit un beau génie.

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exemple qu'on ait cherché à le paroître. Il faut que l'on fasse grand cas de la singularité, puisqu'on affecte même celle qui est un défaut.

On lui a appliqué avec raison ce que Tacite a dit d'Agricola: En le voyant, en le contemplant, la multitude, qui ne juge du mérite que par des déhors imposans, cherchoit en lui l'homme célèbre; peu de gens le devinoient : il échappoit aux regards même les plus avides de le connoître. Son esprit une fois livré à ses méditations, les autres facultés de l'ame sembloient être arrêtées par un charme puissant qui le rendoit incapable de suivre les conversations les plus ordinaires.

Il étoit un jour chez M. Despréaux, avec plusieurs personnes d'un mérité distingué, Racine entr'autres, et Boileau le docteur. On y parloit depuis long-temps de S. Augustin et de ses ouvrages. Mais La Fontaine, tranquille et silencieux, n'avoit poinţ encore pris part à l'entretien, lorsque s'éveillant tout-à-coup au̟ nom de S. Augustin: Croyez-vous, s'écria-t-il en s'adressant à Rabelais? l'abbé Boileau, que S. Augustin eût plus d'esprit que Le docteur interdit de la question, et le parcourant des yeux avec surprise: Prenez garde, répondit-il, M. de La Fontaine, vous avez un de vos bas à l'envers; ce qui étoit vrai.

Le bruit ni le discours ne pouvoient troubler la léthargie apparente de ses méditations; il étoit aussi difficile dé l'en tirer, que d'interrompre dans sa conversation le fil des idées dont il étoit une fois animé. Dans un repas qu'il fit avec Molière et Despréaux, où l'on disputoit sur le genre dramatique, il se mit à condamner les a parte. Rien, disoit-il, n'est plus contraire au bon sens. Quoi ! le parterre entendra ce qu'un acteur n'entendra pas, quoiqu'il soit à côté de celui qui parle ? Comme il s'échauffoit en soutenant son sentiment, de manière qu'il n'étoit pas possible de l'interrompre et de lui faire entendre un mot, il faut, disoit Despréaux à haute voix, tandis qu'il parloit; il faut que La Fontaine soit un grand coquin, un grand maraut, et répétoit continuellement les mêmes paroles, sans que La Fontaine cessât de disserter. Enfin l'on éclata de rire; sur quoi, revenant à lui-même comme d'un rêve interrompu: De quoi riez-vous donc, demanda-t-il? Comment, lui

il

S'il étoit si souvent seul au milieu de la société, devoit manquer absolument de cet esprit de conversa

répondit Despréaux, je m'épuise à vous injurier fort haut, et vous ne m'entendez point, quoique je sois si près de vous que je vous touche; et vous étes surpris qu'un acteur sur le théâtre n'entende point un a parte qu'un autre acteur dit à côté de lui?

Toujours étranger à la société, je parle de celle des hommes, il n'entendoit point ce que l'on y disoit, ni ce qu'il y disoit luimême. Vigneul Marville s'est plu à en raconter ce trait devenu célèbre.

« Trois de complot, dit-il, par le moyen d'un quatrième qui avoit quelque habitude auprès de cet homme rare, nous l'attirâmes dans un petit coin de la ville, 'à une maison consacrée aux Muses, où nous lui donnâmes un repas, pour avoir le plaisir de jouir de son agréable entretien. Il ne se fit point prier; il vint à point nommé sur le midi. La compagnie étoit bonne, la table propre et délicate, et le buffet bien garni. Point de compliments d'entrée, point de façons, nulle grimace, nulle contrainte. La Fontaine garda un profond silence on ne s'en étonna point, parce qu'il avoit autre chose à faire qu'à parler. Il mangea comme quatre, et but de même. Le repas fini, on commença à souhaiter qu'il parlât; mais il s'endormit. Après trois quarts-d'heure de sommeil, il revint à lui. Il vouloit s'excuser sur ce qu'il avoit fatigué. On lui dit que cela ne demandoit point d'excuse, que tout ce qu'il faisoit étoit bien fait. On s'approcha de lui, on voulut le mettre en humeur, et l'obliger à laisser voir son esprit ; mais son esprit ne parut point, il étoit allé je ne sais où: et peut-être alors animoit-il ou une Grenouille dans les marais, ou une Cigale dans les prés; ou un Renard dans sa tanière; car, durant tout le temps que La Fontaine fut avec nous, il ne nous sembla être qu'une machine sans ame. On le jeta dans un carrosse, où nous lui dîmes adieu pour toujours. Jamais gens ne furent plus surpris, et nous nous disions les uns aux autres: comment se peut-il faire qu'un homme qui a su rendre spirituelles les plus grossières hêtes du monde, et les faire parler le plus joli langage qu'on ait jamais ouï, ait une conversation si sèche, et ne puisse pas, pour un quart-d'heure, faire

tion, l'un des grands moyens de plaire, qui, s'il ne con

venir son esprit sur ses lèvres, et nous avertir qu'il est là ». (Nouv, collect, des Ana. imprimée en l'an VI, pag. 135.)

Nul pour tout ce qui étoit bienséances sociales, il l'étoit éga lement pour les devoirs domestiques. Lorsque Madame de La Fontaine se fut retirée à Château-Thierry, Racine et Despréaux repré→ sentèrent à notre poète que cette séparation n'étoit pas décente, et ne lui faisoit point honneur : ils lui conseillèrent un raccomodement. La Fontaine, sans délibérer, se met en campagne; le voilà chez sa femme: le domestique de la maison, qui ne le connoissoit pas, lui dit que Madame étoit au Salut. Ennuyé d'attendre, il va chez un de ses amis qui le retient à souper. La Fontaine bien régalé, oublie l'objet de son voyage, et dès le lendemain se remet dans la voiture publique qui le ramène à Paris. A son retour on l'interroge sur le succès. Il répond : J'ai été pour voir ma femme; mais je ne l'ai point trouvée : elle étoit au Salut. Une semblable réponse n'étonne point de la part de l'homme qui, après avoir assisté à l'enterrement d'un de ses amis, alloit se présenter chez lui comme s'il eût été encore vivant. ( Furetiana, page 90.)

Il avoit un fils qu'il avoit gardé peu de temps auprès de lui. M. de Harlay, depuis premier président, avoit en quelque sorte adopté ce jeune homme, par honneur pour son père, et s'étoit chargé de son éducation et de sa fortune. Il y avoit déjà plusieurs années que La Fontaine l'avoit perdu de vue, lorsqu'on les fit rencontrer dans une maison où l'on vouloit jouir du plaisir de la surprise du père. La Fontaine en effet ne se douta point que ce fût son fils. II l'entendit parler, et témoigna à la compagnie qu'il lui trouvoit de l'esprit et de très-bonnes dispositions. L'on saisit ce moment pour lui dire que c'étoit son fils; mais sans en être plus ému: Ah ! répondit-il, j'en suis bien aise.

Cette indifférence alloit en lui jusqu'à l'insensibilité. Un jour Madame de Bouillon allant à Versailles, le rencontra le matin, qui rêvoit seul sous un arbie du Cours. Le soir, en revenant, elle le trouva dans le même endroit et dans la même attitude, quoiqu'il fit très-froid, et qu'il n'eût cessé de pleuvoir toute la journée.

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