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fables (1). Il ne croyoit pas que l'on pût égaler dans notre langue l'élégante briéveté de Phédre. Je conviendrai que notre langue est essentiellement plus lente dans sa marche que celle des Romains. Aussi La Fontaine ne se propose-t-il pas d'être aussi court dans ses récits que le fabuliste Latin. Mais sans parler de tant d'avantages qu'il a sur lui (2), il me semble que si La Fontaine

(1) C'est La Fontaine qui nous apprend cette particularité au commencement de la Préface de ses Fables. On pent voir à-propos de ce conseil de Patru, les sages réflexions de l'abbé d'Olivet. (Dans son Hist. de l'Acad. franç. p. 188, éd. de Paris, 1730.)

(2) Un écrivain moderne a rendu ainsi la différence entre le génie de Phèdre et celui de La Fontaine. Accoutumé dès l'enfance à regarder les Anciens comme ses maîtres, à croire que le terme où ils s'étoient arrêtés dans tous les genres étoit le dernier, et qu'il n'y avoit rien au-delà, il a pu, par une suite de cette prévention habituelle, mal juger de la distance à laquelle il voyoit ces objets si imposans; et c'est ce qui a fait dire à Fontenelle ce mot plai-. sant, et qui exprime si finement l'extrême simplicité de La Fon taine, que cet auteur ne le cédoit ainsi à Phèdre que par bétise. En effet, il suffit pour s'en convaincre, de comparer un moment entre eux ces deux poètes. — Phèdre n'a ni la vérité, ni l'enjouement, ni la naïveté de La Fontaine: trois qualités essentielles, dont la dernière sur-tout convient particulièrement à la fable. Il est moins rapide et moins vif que lui dans ses récits. Son style pur et concis, mais uniforme, froid et sans couleur, a je ne sais quoi de grave et de sévère qui convient mieux au genre didactique qu'à l'apologue, où il faut de la facilité, et même une sorte de négli] gence et de familiarité qui a sa limite invariable, comme tout ce qui est bien dans quelque genre que ce soit. Il ne connoît ni l'art, d'intéresser ses lecteurs par des images qui leur rappellent des sensations douces, ou par la peinture des phénomènes de la nature, aussi difficiles à observer qu'à décrire, ni celui d'indiquer d'un mot des rapports secrets entre les objets les plus éloignés, et de faire sortir de ces rapprochemens ingénieux une moralité

dans ses fables n'est pas remarquable par la briévete, il l'est par la précision. J'appelle un style précis, celui dont on ne peut rien ôter sans que l'ouvrage perde une. grace ou un ornement, et sans que le lecteur perde un plaisir. Tel est le style de La Fontaine dans l'apologue. On n'y sent jamais ce qu'on appelle langueur. On n'y trouve jamais de vuide. Ce qu'il dit ne peut pas être dit en moins de mots, ou vous ne le diriez pas si bien. Il faut qu'on me pardonne de citer.

fine et d'autant plus piquante, qu'elle est plus détournée et plus imprévue. Ses fables sont l'ouvrage d'un écrivain correct et châtié, dont l'ame honnête et droite, mais toujours égale et tranquille, ne se passionne ni contre le vice ni pour la vertu. On les lit avec plaisir la première fois; mais on ne se sent pas tourmenté du desir de les relire une seconde, une troisième, une centième, comme celles de La Fontaine. Celui-ci a plus d'imagination, plus de verve et plus de connoissances que Phèdre; il a vu et comparé plus d'objets, rassemblé plus de faits. Observateur scrupuleux de ces convenances dont la réunion forme ce qu'on appelle la vérité en poésie comme en peinture, ses personnages, quels qu'ils soient, disent presque toujours ce qu'ils doivent dire dans leur position. Il a su donner à son dialogue cette précision, ce naturel, une des plus rares qualités du style, même dans les meilleurs écrivains, et peut-être la seule qu'on n'acquiert point par l'étude. Il faut lire ses vers pour connoître toutes les ressources de notre langue et la variété des formes dont elle est susceptible, lorsqu'elle est maniée par un homme de génie. On trouve dans plusieurs de ses fables l'élégance et la sensibilité de Tibulle; dans d'autres, le nombre et l'harmonie de Virgile: ici la délicatesse d'Horace, son esprit, son goût; là cette finesse de réflexion qui rend les ouvrages de cet ancien poète si utiles, si agréables: en un mot, La Fontaine a toutes les sortes de style, et dans chacun, les beautés qui lui sont propres, sans excepter même les mouvemens les plus pathétiques et les plas impétueux de l'éloquence.

Un Octogénaire plantoit.

Passe encore de bâtir; mais planter à cet âge !

Deux Coqs vivoient en paix; une Poule survient :

Et voilà la guerre allumée.

Amour! tu perdis Troye.

Un Lièvre en son gîte songeoit ;

Car que faire en un gîte à moins que l'on ne songe ?
Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeoit.

Cet animal est triste, et la crainte le ronge.

Je crois qu'il est impossible de mêler plus rapidement le récit et la réflexion; et c'est ainsi qu'écrit toujours La Fontaine. Je remarque son excellent esprit dans la différence de style qui se trouve entre ses fables et ses contes. Il a senti que dans le conte, qui n'a d'autre objet que d'amuser, tout est bon pourvu qu'on amuse. Aussi hasarde-t-il toute sorte d'écarts. Il se détourne vingt fois de sa route, et l'on ne s'en plaint pas; on fait volontiers le chemin avec lui. Mais dans la fable, qui tend à un but que l'esprit cherche toujours, il faut aller plus vite, et ne s'arrêter sur les objets que pour les rendre plus frappans. Dans cette partie, comme dans tout le reste, les fables de La Fontaine, à un trèspetit nombre près, me paroissent des chefs-d'œuvre irréprochables.

Ce qui prouve encore, qu'éclairé par un goût naturel, il régloit sa manière d'écrire sur la sévérité du genre, c'est que, négligé dans ses contes, il est beaucoup plus correct dans ses fables (1). Il y respecte la

(1) Aussi étoit-ce là son ouvrage de prédilection : il disoit bien qu'il y avoit plus d'esprit dans ses contes; mais ses fables lui

langue, que Molière ne respectoit pas assez. Non content d'y prodiguer les beautés, il s'y défend les fautes. Il savoit que si le conte familier les fait pardonner, la fable, plus sérieuse, ne les admet pas et qui croira pouvoir s'en permettre, quand La Fontaine s'en permet si peu?

Cette correction, qui suppose une composition soignée, est d'autant plus admirable, qu'elle est accompagnée de ce naturel si rare et si enchanteur qui semble exclure toute idée de travail. Le plus original de nos écrivains en est aussi le plus naturel. Je ne crois pas qu'en parcourant les ouvrages de La Fontaine, on y trouvât une ligne qui sentît la recherche ou l'affectation. Il ne compose point, il converse; s'il raconte, il est persuadé; s'il peint, il a vu; c'est toujours son ame qui vous parle, qui s'épanche, qui se trahit; il a toujours l'air de vous dire son secret, et d'avoir besoin de le dire; ses idées, ses réflexions, ses sentimens, tout lui échappe, tout naît du moment, rien n'est cherché, rien n'est préparé; il se plie à tous les tons; et il n'en est aucun qui ne semble être particulièrement le sien; tout, jusqu'au sublime, paroît lui être facile et familier. Il charme toujours et n'étonne jamais.

Ce naturel domine tellement chez lui, qu'il dérobe au commun des lecteurs les autres beautés de son style; il n'y a que les connoisseurs qui sachent à quel point La Fontaine est poète, ce qu'il a vu de ressources dans la poésie, ce qu'il en a tiré de richesses. On ne

plaisoient davantage. Ses contemporains étoient plus embarrassés que lui sur la préférence. Perrault trouvoit la même force dans les deux ouvrages. (Voyez son éloge de La Fontaine, dans les Hommes illustres.)

fait pas assez d'attention à cette foule d'expressions créées, de métaphores hardies toujours si naturellement placées, que rien ne paroît plus simple. Aucun de nos poètes n'a manié plus impérieusement la langue; aucun sur-tout n'a plié avec tant de facilité le vers françois à toutes les formes imaginables. Cette monotonie qu'on reproche à notre versification, chez lui disparoît abso→ lument. Ce n'est qu'au plaisir de l'oreille, au charme d'une harmonie toujours d'accord avec le sentiment et la pensée, qu'on s'apperçoit qu'il écrit en vers. Il dis→ pose si heureusement ses rimes, que le retour des sons semble toujours une grace, et jamais une nécessité. Nul n'a mis dans le rythme une variété si prodigieuse et si pittoresque; nul n'a tiré autant d'effets de la mesuré et du mouvement. Il coupe, brise ou suspend son vers comme il lui plaît. L'enjambement qui sembloit réservé aux vers grecs et latins, est un mérite si commun dans les siens, qu'il est à peine remarqué. Il est vrai que tant d'avantages qui dépendent en partie de la liberté d'écrire en vers d'inégale mesure, et des priviléges d'un genre qui admet toute sorte de tons, ne pourroient plus se retrouver au même degré dans le style noble et dans le vers héroïque. Mais tant d'autres ont écrit dans le même genre! Pourquoi ont-ils si rarement approché de cette perfection? L'harmonie imitative des anciens, difficile à égaler dans notre poésie, La Fontaine la possède dans le plus haut degré, et l'on ne peut s'empêcher de croire en le lisant que toute sa science en ce genre est plus d'instinct que de réflexion. Chez cet homme si ami du vrai et si ennemi du faux, tous les sentimens, toutes les idées, tous les caractères ont l'accent qui leur convient, et l'on sent qu'il n'étoit pas en lui de pouvoir s'y tromper. Je sais bien que de lourds.

si

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