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sont plus celles d'Esope, de. Phedre, de Pilpay; ce sont celles de La Fontaine. On nous crie : il n'a presque rien inventé. Il a inventé sa manière d'écrire, et cette invention n'est pas devenue commune (1). Elle lui est

(1) Il est bien démontré aujourd'hui que La Fontaine n'a rien inventé, c'est-à-dire, qu'aucun des sujets de ses fables ne lui appartient. Nous en offrons la preuve à chaque page de ce recueil. Mais, sans prétendre diminuer en rien le mérite des premiers inventeurs, dont la gloire est assurée par l'admiration constante de tant de siècles, j'ose dire qu'il faut peut-être autant d'imagination, et même de génie, pour imiter comme La Fontaine, que pour inventer comme les anciens fabulistes. Il a inventé sa manière d'écrire, et cette invention n'est pas devenue commune. Ceux qui méprisent la grace du style ne connoissent pas assez les hommes, et ne sont pas assez jaloux de lenr être utiles; ils entendent aussi mal l'intérêt de leur réputation que celui de la vérité : ils pensent; mais n'ayant pas le talent, peut-être plus rare encore, d'écrire avec cette élégance toujours soutenue, ce nombre et cette harmonic dont le charme est irrésistible, ils rendent mal leurs pensées, et sont bientôt oubliés. Fontenelle, en s'emparant du travail de VanDale, lui en a ravi pour jamais la gloire : un jour viendra que le nom de ce savant médecin, déjà presque ignoré parmi nous, sera aussi inconnu que ses ouvrages, tandis que la voix de l'écrivain enchanteur qui a fait naître des fleurs dans un terrain riche, à la vérité, mais hérissé de ronces et d'épines qu'il a arrachées, sera entendue dans l'avenir.

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Mais ce n'est pas le seul avantage qu'il ait sur ses modèles; il les surpasse encore dans l'art de pallier l'invraisemblance de ses contes, et de donner à ses mensonges ingénieux tout l'intérêt dont la vérité est susceptible. J'ajoute que sous un titre frivole, et sans négliger aucune des grâces et des beautés de détail que ce genre exige, et qui lui sont propres, cet ouvrage est peut-être un de ceux où l'intervalle immense qui sépare l'homme d'esprit de l'homme de génie est le plus souvent et le plus fortement marqué. Il y a peu de

restée toute entière. Il en a trouvé le secret, et l'a gardé. Il n'a jamais été ni imitateur, ni imité. A ce double titre, quel homme peut se vanter d'être plus original?

Cette qualité, quand elle se rencontre dans les ouvrages, tient nécessairement au caractère de l'auteur. Un homme très-recueilli en lui-même, se répandant peu au dehors, rempli et préoccupé de ses idées, presque toujours étranger à celles qui circulent autour de lui, doit demeurer tel que la nature l'a fait. S'il en a reçu un goût dominant, ce goût ne sera jamais ni affoibli, ni partagé. Tout ce qui sortira de ses mains aura un trait particulier et ineffaçable. Ceux qui le chercheront hors de son talent ne le retrouveront plus. Molière si gai, si plaisant dans ses écrits, étoit triste dans la société. La Fontaine, ce conteur si aimable la plume à la main, n'étoit plus rien dans la conversation. Ainsi tout est compensé en tout genre, et toute perfection tient à des sacrifices. Pour être un peintre si vrai, il falloit que Molière fût porté à observer, et l'observation rend triste. Pour s'intéresser si bonnement à Jeannot Lapin et à Robin Mouton, il falloit avoir le caractère d'un enfant, qui, préoccupé de ses jeux, ne regarde

ses bonnes fables, et elles sont en grand nombre, où l'on ne trouve quelques-uns de ces mots de sentiment, quelques-unes de ces idées générales qui semblent jetées au hasard, et dont la délicatesse ou la profondeur porte l'esprit à la méditation, ou dispose l'ame à une mélancolie qui n'est pas sans un grand plaisir. Ce sont toutes ces qualités réunies qui rendent La Fontaine inimitable; c'est par elles qu'il captive, qu'il entraîne ses lecteurs; et l'on n'est jamais tenté de demander s'il a puisé dans son propre fonds ou dans une autre source les sujets qu'il a traités,

pas autour de lui, et La Fontamme étoit distrait (1). C'est en s'amusant de son talent, en conversant avec ses bons amis les animaux, qu'il parvenoit à charmer ses lecteurs auxquels peut-être il ne songeoit guères. C'est par cette disposition qu'il devint un conteur si parfait. Il prétend quelque part que Dieu mit au monde Adam le

(1) Champfort a aussi analisé, mais avec plus de développement, les rapports qui existent entre Molière et La Fontaine.

Sans méconnoître l'intervalle immense qui sépare l'art si simple de l'Apologue et l'art si compliqué de la Comédie, j'observerai, pour être juste envers La Fontaine, que la gloire d'avoir été avec Molière le peintre le plus fidèle de la nature et de la société, doit rapprocher ici ces deux grands hommes. Molière, dans chacune de ses pièces, ramenant la peinture des mœurs à un objet philosophique, donne à la comédie la moralité de l'apologue. La Fontaine, transportant dans ses fables la peinture des mœurs, donne à l'apologue une des grandes beautés de la comédie, les caractères. Doués tous les deux au plus haut degré du génie d'observation, génie dirigé dans l'un par une raison supéricure, guidé dans l'autre par un instinct non moins précieux, ils descendent dans le plus profond secret de nos travers et de nos foiblesses; mais chacun, selon la double différence de son genre et de son caractère, les exprime différemment. Le pinceau de Molière doit être plus énergique et plus ferme ; celui de La Fontaine plus délicat et plus fin. L'un rend les grands traits avec une force qui le montre comme supérieur aux nuances; l'autre saisit les nuances avec une sagacité qui suppose la science des grands traits. Le poète comique semble s'être plus attaché aux ridicules, et a peint quelquefois les formes passagères de la société; le fabuliste semble s'adresser davantage aux vices, et à peint une nature encore plus générale. Le premier me fait plus rire de mon voisin; le second me ramène plus à moimême. Celui-ci me venge davantage des sottises d'autrui; celui-là me fait mieux songer aux miennes. L'un semble avoir vu les ridicules comme un défaut de bienséance choquant pour la société ; l'autre avoir vu les vices comme un défaut de raison choquant pour nousmêmes. Après la lecture du premier, je crains l'opinion publique;

nomenclateur, lui disant : te voilà; nomme. On pour roit dire que Dieu mit au monde La Fontaine le conteur, lui disant : te voilà ; conte.

Ce don de narrer, il l'appliqua tour-à-tour à deux genres différens, à l'apologue moral, qui a l'instruction pour but, et au conte plaisant, qui n'a pour objet que d'amuser. Il réussit au plus haut dégré dans tous les deux. Parlons d'abord du premier. C'est celui sur lequel il convient de s'étendre davantage; c'est le plus important, le plus parfait; c'est la principale gloire de La Fontaine, et cette gloire n'est mêlée d'aucun reproche.

L'homme a un penchant naturel a entendre raconter. La Fable pique sa curiosité et amuse son imagination. Elle est de la plus haute antiquité. On trouve des paraboles dans les plus anciens monumens de tous les peuples. Il semble que de tous temps la vérité ait eu peur des hommes, et que les hommes aient eu peur de la vérité. Quel que soit l'inventeur de l'apologue, soit

après la lecture du second, je crains ma conscience. Enfin, l'homme corrigé par Molière, cessant d'être ridicule, pourroit demeurer vicieux; corrigé par La Fontaine, il ne seroit plus vicieux ni ridicule il seroit raisonnable et bon; et nous nous trouverions vertueux, comme La Fontaine étoit philosophe, sans nous en douter. Tels sont les principaux traits qui caractérisent chacun de ces grands hommes; et si l'intérêt qu'inspirent de tels noms me permet de joindre à ce parallèle quelques circonstances étrangères à leur mérite, j'observerai que nés l'un et l'autre précisément à la même époque, tous deux sans modèles parmi nous, sans rivaux, sans successeurs liés pendant leur vie d'une amitié constante la même tombe les réunit après leur mort, et que la même poussière ensevelit les deux écrivains les plus originaux que la France ait jamais produits.

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que la raison, timide dans la bouche d'un esclave, ait emprunté ce langage détourné pour se faire entendre. d'un maître, soit qu'un Sage, voulant la réconcilier avec l'amour-propre, le plus superbe de tous les maîtres, ait imaginé de lui prêter cette forme agréable et riante; quoi qu'il en soit, cette invention est du nombre de celles qui font le plus d'honneur à l'esprit humain (1). Par cet heureux artifice, la vérité, avant de se présenter aux hommes, compose avec leur orgueil, et s'empare de leur imagination. Elle leur offre le plaisir d'une découverte, leur sauve l'affront d'un reproche et l'ennui d'une leçon. Occupé à démêler le sens de la fable, l'esprit n'a pas le temps de se révolter contre le précepte. Quand la raison se montre à la fin, elle nous trouve désarmés. Nous avons en secret prononcé contre nousmêmes l'arrêt que nous ne voudrions pas entendre d'un autre : car nous voulons bien quelquefois nous corriger; mais nous ne voulons jamais qu'on nous condamne.

A la moralité simple et nue des récits d'Esope, Phèdre joignit l'agrément de la poésie. On connoît la pureté de son style, sa précision, son élégance. Le livre de l'Indien Pilpay n'est qu'un tissu fort embrouillé de paraboles mêlées les unes dans les autres, et surchargées d'une morale prolixe, qui manque souvent de justesse et de clarté. Les peuples qui ont une littérature perfectionnée, sont les seuls chez qui l'on sache faire un livre. Si jamais on est obligé d'avoir rigoureusement

(1) Ce point de critique, qui n'a point encore été éclairci, est discuté dans notre Histoire universelle de l'Apologue, et dans nos Lettres sur la Fable, adressées à M. le chevalier de Florian, qui n'ont pas encore été publiés.

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