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Aux soupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne

C'est toujours même note, et pareil entretien (2).
On dit qu'on est inconsolable:

On le dit (3), mais il n'en est rien,
Comme on verra par cette fable,
Ou plutôt par la vérité.

L'époux d'une jeune beauté

Partoit pour l'autre monde. A ses côtés sa femme
Lui crioit: Attends-moi, je te suis (4): et mon ame
Aussi bien
que la tienne, est prête à s'envoler (5).

Le mari fait seul le voyage (6).

La belle avoit un père, homme prudent et sage : Il laissa le torrent couler (7).

A la fin, pour la consoler,

Ma fille, lui dit-il, c'est trop verser de larmes (8) : Qu'a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes? Puisqu'il est des vivans, ne songez plus aux morts (9). Je ne dis pas que tout-à-l'heure

Une condition meilleure,

Change en des noces ces transports;

Mais après certain temps, souffrez qu'on vous propose Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose Que le défunt (10). Ah! dit-elle aussitôt,

Un cloître est l'époux qu'il me faut (11).

Le père lui laissa digérer sa disgrace.

Un mois de la sorte se passe.

L'autre mois, ou l'emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l'habit, au linge, à la coëffure :
Le deuil enfin sert de parure,

En attendant d'autres atours.

Toute la bande des Amours

Revient au colombier (12); les jeux, les ris, la danse,

Ont aussi leur tour à la fin.

On se plonge soir et matin

Dans la fontaine de Jouvence (13).

Le père ne craint plus ce défunt tant chéri.
Mais comme il ne parloit de rien à notre belle:
Où donc est le jeune mari

Que vous m'avez promis? dit-elle.

(Depuis La Fontaine). ITAL. Luig. Grillo, fav. 42.

OBSERVATIONS DIVERSES.

Quelle différence de cette fable à la précédente! Il est vrai encore que celle-ci n'est point un apologue; ce n'est aussi qu'une épigramme que J. B. Rousseau eût réduite à sept ou huit vers; mais quel qu'en soit le genre, apologue ou non, c'est un petit chefd'oeuvre de narration, où la grace se mêle à l'enjouement, l'esprit à la naïveté. La versification en est pure, l'élocution juste, animée, pleine dẹ goût; les détails riches, variés, charmans; la plaisanterié fine, exquise. Non, encore une fois, ce ne sera pas une fable; mais c'est, comme l'a dit La Fontaine, la vérité, et la vérité parée de la ceinture de Vénus.

(1) Sur les ailes du Temps la tristesse s'envole, etc. Idée noble, revêtue d'une expression riante. S. Evremond nous apprend que la fameuse duchesse de Mazarin, la belle Hortense, citoit souvent ce vers. ( Euv. div. T. V. p. 343.).

(2) Pareil entretien. Semblable seroit aujourd'hui plus exact; mais ces deux mots étoient synonymes du temps de Malherbe, de Corneille et de La Fontaine.

(3) On dit qu'on est inconsolable :

On le dit, etc. Cette répétition est pleine de finesse et de naturel.

(4) Attends-moi, je te suis, etc. Ces vers respirent cette molle

langueur qui caractérise une affliction récente: on ne les lit point sans en être pénétré soi-même.

(5) Est prête à s'envoler. Les anciens représentoient l'ame sous la forme d'un papillon, dont les ailes déployées la lancent dans les airs. Ainsi l'allégorie est juste; l'application en est heureuse. Le mot envoler marquant la rapidité avec laquelle l'épouse desire rejoindre son époux.

(6) Le mari fait seul le voyage, İmage familière, parce qu'un conte n'exige pas la gravité d'une oraison funèbre.

(7) Le torrent cauler. Ces grandes douleurs qui ont l'impétuosité bruyante d'un torrent, passent aussi bien vîte comme lui, La comparaison des pleurs coulant en abondance et par torrent, est antique on la rencontre dans les saintes écritures, ce trésor inépuisable de toutes sortes de richesses, où l'on trouve à-la-fois, dit un écrivain éloquent, tous les Grecs et tous les Romains: David Simonides noster, Pindarus, Alcæus, Flaccus quoque. (8) Ma fille, lui dit-il, c'est trop verser de larmes, etc. Ces vers semblent plutôt nés qu'ils ne sont faits. Qu'a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes? Qu'a besoin: ce motif est pressant ; personne ne nous sait gré d'une tendresse qui ne sert à personne. Le défunt ne dit point votre époux: d'abord pour ne point porter le doigt sur la plaie; ensuite pour éloigner de ses souvenirs un nom qui fait couler ses pleurs. Défunt s'applique à tout le monde. Que vous noyiez: dans ce torrent de larmes qui coulent de ses yeux. Rien de forcé dans la métaphore: ce torrent menace d'une espèce de naufrage ses charmes le bien le plus précieux pour une femme, pour une veuve; rien qui ne soit très-adroit dans l'exagération que présente la métaphore.

(9) Puisqu'il est des vivans, ne songez plus aux morts. L'antithèse la plus jnste est celle qui est non pas en image, mais en raisonnement. Celle-ci est du meilleur choix.

(10) Et tout autre chose que le défunt. Quel vaste champ pour l'imagination et la curiosité! Est-il veuve au monde qui résistât à ce motif? Si l'on aima un premier mari, combien l'on aimera davantage encore le second, puisqu'il sera tout autre chose! Il n'y a plus rien à ajouter à cela. Aussi l'exhortation du père finitelle à cet argument.

(11) Un cloltre est l'époux qu'il me faut. La répartie est vive,

comme

comme le langage des grandes douleurs. Le poète s'est imité luimême dans ce vers d'une de ses épîtres à une Abbesse:

Il fut conclu par votre parentage,'

Qu'on vous feroit un Couvent épouser.

(Euv. div. T. I. p. 40.)`

(12) Toute la bande des Amours revient au colombier. Ca vers est éclairci par ceux du poète Rousseau :

En ce lieu donc Amours de tout plumage...
De toutes parts viennent se rallier,

Tels que Pigeons volans au colombier.

( Allég. Livr. I. La Volière.)

Le commentaire est élégant; la première idée réunit la précision à l'enjouement.

(13) On se plonge soir et matin

Dans la fontaine de Jouvence. Fontaine poétique, dont les eaux avoient la vertu de rajeunir. Ainsi la veuve se rajeunissoit, soit par les essences dont elle se baigne, soit par les vêtemens plus gais qu'elle échange contre les crêpes et les habits de deuil.

Bonaventure Desperriers, dans Cymbalum mundi ( Dialog. III. p. 121): « Me desrober, et m'en aller en la vallée de Joyssance, où est la fontaine de Jouvance, en laquelle je me joue, je me rafreschi et récrée, et y fais mon heureux séjour ». Un ancien fabliau la place au pays de Cocagne. La source de cette fiction, qui a parcouru l'univers, vient sans doute des traditions orientales, qui mettent dans le Paradis Terrestre une fontaine comme un arbre de vie (V. d'Herbelot, p. 738). De cette fontaine est venue pour nos romanciers la fontaine de Jovent ou Jouvence.

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EPILOG U E.

(Avant la Fontaine). LATINS. Phèdre, Epilogue, Liv. IV. imité par M. Aubert, à la fin de la première partie de ses fables, p. 169, et par Florian, à la fin de son Recueil de Fables.

BORNONS ici cette carrière:

Les longs ouvrages me font peur (1).
Loin d'épuiser une matière,

On n'en doit prendre que la fleur (2).
Il s'en va temps (3) que je reprenne
Un peu de forces et d'haleine,
Pour fournir à d'autres projets.
'Amour, ce tyran de ma vie,
Veut que je change de sujets:
Il faut contenter son envie.

Retournons à Psyché (4): Damon, vous m'exhortez
A peindre ses malheurs et ses félicités.

J'y consens: peut-être ma veine

En sa faveur s'échauffera.

Heureux si ce travail est la dernière peine
Que son époux me causera!

OBSERVATIONS DIVERSES.

L'Epilogue est à la fin d'un ouvrage, ce que le Prologue est à son commencement: il en est la conclusion, comme celui-ci en est l'avant-propos. Notre auteur, en composant cet épilogue, avoit sous les yeux celui qui termine le IVe, livre des Fables de Phèdre.

(1) Les longs ouvrages me font peur. C'étoit là une des maximes chéries de l'antiquité. Callimaque, à la fin de son hymne à Jupiter, répond par cette comparaison à ses amis qui lui reprochoient

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