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de goût et de gaîté, le récit de la pompeuse réception dont on honora son entrée à Carenac. On pourra observer par ce récit que, dans les provinces comme à Paris, l'éloquence des harangues a toujours été à peu près la même dans tous les temps et dans tous les lieux.

XX.

Lettre de Fenelon

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« Oui, madame, n'en doutez pas, je suis un » homme destiné à des entrées magnifiques. Vous >> savez celle qu'on m'a fait à Bélai, dans votre » gouvernement. Je vais vous raconter celle dont Laval, 168. (Manuscr.) >> on m'a honoré en ce lieu.

» M. de Rouffillac pour la noblesse; M. Rose, » curé, pour le clergé; M. Rigaudie, prieur des » moines, pour l'ordre monastique, et les fermiers » de céans pour le tiers-état, viennent jusqu'à » Sarlat me rendre leurs hommages. Je marche » accompagné majestueusement de tous ces dé» putés; j'arrive au port de Carenac, et j'aperçois » le quai bordé de tout le peuple en foule. Deux >> bateaux, pleins de l'élite des bourgeois, s'a»vancent; et en même temps je découvre que, » par un stratagême galant, les troupes de ce » lieu, les plus aguerries, s'étoient cachées dans >> un coin de la belle île que vous connoissez; de

là, elles vinrent en bon ordre de bataille me >> saluer avec beaucoup de mousquetades; l'air » est déjà tout obscurci par la fumée de tant de

madame de

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» coups, et l'on n'entend plus que le bruit af» freux du salpêtre. Le fougueux coursier que » je monte, animé d'une noble ardeur, veut se » jeter dans l'eau; mais moi, plus modéré, je mets » pied à terre au bruit de la mousqueterie, qui » se mêle à celui des tambours. Je passe la belle >> rivière de Dordogne, presque toute couverte » de bateaux qui accompagnent le mien. Au bord >> m'attendent gravement tous les moines en corps; » leur harangue est pleine d'éloges sublimes; ma réponse a quelque chose de grand et de doux. » Cette foule immense se fend pour m'ouvrir un » chemin; chacun a les yeux attentifs pour lire » dans les miens quelle sera sa destinée; je monte » ainsi jusqu'au château, d'une marche lente et » mesurée, afin de me prêter pour un peu de » temps à la curiosité publique. Cependant mille >> voix confuses font retentir des acclamations » d'allégresse, et l'on entend partout ces paroles': » Il sera les délices de ce peuple. Me voilà à la » porte déjà arrivé, et les consuls commencent » leur harangue par la bouche de l'orateur royal. » A ce nom, vous ne manquez pas de vous représenter ce que l'éloquence a de plus vif et » de plus pompeux. Qui pourroit dire quelles >> furent les grâces de son discours? il me com» para au soleil; bientôt après je fus la lune;

>>

» tous les autres astres les plus radieux eurent >> ensuite l'honneur de me ressembler; de là, » nous en vînmes aux élémens et aux météores, >> et nous finîmes heureusement par le commen» cement du monde. Alors le soleil étoit déjà

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couché, et pour achever la comparaison de lui » à moi, j'allai dans ma chambre pour me pré» parer à en faire de même. »

C'est du même ton de gaîté que Fénelon rend compte à la marquise de Laval d'un plaidoyer qu'il entendit à l'audience publique du tribunal de Sarlat, peu de jours après sa brillante réception à Carenac.

A Issigeac (1), 16 juin 1681.

Lettre de à

madame de 16

« On n'a pas tous les jours un grand loisir et » un sujet heureux pour écrire en style sublime. Fénelon » Ne vous étonnez donc pas, madame, si vous Laval, » n'avez pas eu cette semaine une relation nou- juin 1681. (Manuscr.) » velle de mes aventures; tous les jours de la vie » ne sont pas des jours de pompe et de triomphe. » Mon entrée dans Carenac n'a été suivie d'au» cun événement mémorable. Mon règne y a été » si paisible, qu'il ne fournit aucune variété pour >> embellir l'histoire. J'ai quitté ce lieu-là pour » venir trouver ici M. de Sarlat, et j'ai passé à

(1) Maison de campagne des évêques de Sarlat, que l'oncle de Fénelon avoit réparée et embellie avec soin.

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» Sarlat en venant je m'y suis même arrêté un » jour, pour y entendre plaider une cause fameuse » par les Cicérons de la ville. Leurs plaidoyers >> ne manquèrent pas de commencer par le com» mencement du monde, et de venir ensuite tout » droit par le déluge jusqu'au fait. Il étoit ques» tion de donner du pain par provision à des en» fans qui n'en avoient pas. L'orateur, qui s'étoit chargé de parler aux juges de leur appétit, mêla » judicieusement dans son plaidoyer beaucoup » de pointes fort gentilles avec les plus sérieuses » lois du code, les métamorphoses d'Ovide, et » des passages terribles de l'Ecriture sainte. Ce mélange, si conforme aux règles de l'art, fut » applaudi par les auditeurs de bon goût. Chacun croyoit que les enfans feroient bonne chère, et » qu'une si rare éloquence alloit fonder à jamais >> leur cuisine; mais, ó caprice de la fortune! quoique l'avocat eût obtenu tant de louanges, >> les enfans ne purent obtenir du pain on ap

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pointa la cause; c'est-à-dire, en bonne chicane, qu'il fut ordonné à ces malheureux de plaider » à jeun, et les juges se levèrent gravement du >> tribunal pour aller dîner; je m'y en allai aussi, » et je partis ensuite pour apporter vos lettres à » M. de Sarlat. Je suis arrivé ici presqu'incognito, » pour épargner les frais d'une entrée. Sur les

» sept heures du matin je surpris la ville; ainsi, » il n'y a ni harangue, nì cérémonie, dont ję

puisse vous régaler. Que ne puis-je, pour réjouir mademoiselle de Laval, vous faire part » des fleurs de rhétorique, qu'un prédicateur de » village répandit sur nous, ses auditeurs infor» tunés; mais il est juste de respecter la chaire plus que le barreau ».

>>

C'est pendant le court séjour que Fénelon fit à Carenac, qu'il composa l'ode qui commence par ces vers ?

Montagnes, de qui l'audace
Va porter jusques aux cieux

Un front d'éternelle glace.

On doit bien croire que Fénelon n'avoit jamais eu l'idée de faire imprimer cette ode; elle ne fut en effet imprimée qu'après sa mort, à la suite de la première édition du Télémaque, publiée par sa famille. Elle était adressée à l'abbé de Langeron, qu'une heureuse conformité de caractère et de goûts avoit uni à Fénelon dès sa première jeunesse; qui fut ensuite associé à tous les travaux et à tous les événemens de sa vie; qui vécut et mourut fidèle à l'amitié, dans l'adversité comme dans la prospérité.

Nous aurions peut-être négligé de parler de cette pièce de vers, si on n'y remarquoit com

ΧΧΙ.

De l'abbé

de Langerou.

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