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Mais il n'étoit pas au pouvoir de Fénelon de maîtriser tout-à-coup un caractère impérieux, qui se révoltoit souvent contre la main paternelle attentive à mettre un frein à ses fureurs.

Lorsque le jeune prince se livroit à ces accès de colère et d'impatience, auxquels son naturel irascible ne le rendoit que trop sujet, alors le gouverneur, le précepteur, les instituteurs, tous les officiers et tous les domestiques de sa maison, se concertoient sans affectation pour observer avec lui le plus profond silence. On évitoit de répondre à ses questions; on le servoit en détournant les regards, ou en ne les portant sur lui qu'avec une espèce d'effroi, comme si on eût craint de se met. tre en société avec un être qui s'étoit dégradé lui-même par des fureurs incompatibles avec la raison. On paroissoit ne s'occuper de lui que par cette espèce de compassion humiliante que l'on accorde aux malheureux dont la raison est aliénée. On se bornoit à lui offrir les soins et les secours nécessaires à la conservation de sa misérable existence. On lui retiroit tous ses livres, tous ses moyens d'instruction, comme devenus désormais inutiles à l'état déplorable où il se trouvoit réduit; on l'abandonnoit ainsi à lui-même, à ses réflexions, à ses regrets et à ses remords. Frappé de cet abandon universel, de cette solitude ef

frayante, le malheureux jeune homme, trop convaincu de ses torts et de son ingratitude, aimoit à se confier encore en l'indulgence et la bonté si souvent éprouvées de son précepteur, venoit se jeter à ses pieds, lui faire l'aveu de ses fautes, déposer dans son cœur la ferme résolution de prendre plus d'empire sur lui-même, et arroser de ses larmes les mains de Fénelon, qui le pressoit contre son sein avec la tendre affection d'un père compatissant, toujours accessible au repentir.

Dans ces combats si violens d'un caractère im-, pétueux, avec une raison prématurée, le jeune prince sembloit se méfier de lui-même, et il appeloit l'honneur en garantie de ses promesses. On a encore les originaux de deux engagemens d'honneur, qu'il déposa entre les mains de Fénelon.

Je promets, foi de prince, à M. l'abbé de Fénelon, de faire sur-le-champ ce qu'il m'ordonnera, et de lui obéir dans le moment qu'il me défendra quelque chose; et si j'y manque, je me soumets à toutes sortes de punitions et de déshonneur. Fait à Versailles, le 29 novembre 1689.

Signé Louis.

Louis, qui promets de nouveau de mieux tenir ma promesse. Ce 20 septembre. Je prie M. de Fénelon de le garder encore.

Le prince qui souscrivoit ces engagemens d'honneur, n'avoit encore que huit ans, et déjà il sentoit la force de ces mots magiques, foi de prince et d'honneur.

Dans ces momens propices, si favorables pour graver dans un cœur sensible et honnête une impression profonde et durable, Fénelon se voyoit heureusement dispensé de rappeler avec sévérité des torts que le jeune homme se reprochoit luimême avec amertume. Il ne s'occupoit qu'à relever son ame abattue, à lui inspirer une utile confiance en ses propres forces, et à adoucir par les consolations les plus affectueuses, la honte de s'être avili par ses excès.

Fénelon lui-même ne fut pas à l'abri des vivacités de son élève. On nous a conservé (1) le récit de la manière dont Fénelon se conduisit dans une circonstance délicate. Le parti qu'il sut en tirer, fut une leçon qui ne s'effaça jamais de l'esprit et du cœur de M. le duc de Bourgogne. Cette conduite de Fénelon peut servir de modèle à tous ceux qui sont appelés à exercer des fonctions du même genre auprès des enfans des princes et des grands.

Fénelon s'étoit vu forcé de parler à son élève

(1) Vic de M. le Dauphin, père de Louis XV, par M. l'abbé Proyart.

avec une autorité et même une sévérité qu'exigeoit la nature de la faute dont il s'étoit rendu coupable; le jeune prince se permit de lui répondre: Non, non, Monsieur; je sais qui je suis et qui vous êtes. Fénelon, fidèle aux maximes qu'il avoit enseignées lui-même dans son traité De l'Education, ne répondit pas un seul mot; il sentit que le moment n'étoit pas venu, et que dans la disposition où se trouvoit son élève, il n'étoit pas en état de l'entendre. Il parut se recueillir en silence, et se contenta de marquer par l'impression sérieuse et triste qu'il donna à son maintien, qu'il étoit profondément blessé. Il affecta de ne plus lui parler de la journée, voulant préparer par cette espèce de séparation anticipée, l'effet de la scène qu'il méditoit, et qu'il vouloit rendre assez imposante pour que le jeune prince n'en perdît jamais le souvenir.

Le lendemain, à peine M. le duc de Bourgogne fut éveillé, que Fénelon entra chez lui; il n'avoit pas voulu attendre l'heure ordinaire de son travail, afin que tout ce qu'il avoit à lui dire parût plus marqué, et frappât plus fortement l'imagination du jeune prince. Fénelon lui adressant aussitôt la parole avec une gravité froide et respectueuse, bien différente de sa manière habituelle, lui dit : « Je ne sais, Monsieur, si vous vous rap

» pelez ce que vous m'avez dit hier : que vous » saviez ce que vous êtes, et ce que je suis ; il est » de mon devoir de vous apprendre que vous

ignorez l'un et l'autre. Vous vous imaginez donc, » Monsieur, être plus que moi ; quelques valets, » sans doute, vous l'auront dit; et moi, je ne crains >> pas de vous dire, puisque vous m'y forcez, que » je suis plus que vous. Vous comprenez assez qu'il n'est pas ici question de la naissance. Vous

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regarderiez comme un insensé celui qui préten» droit se faire un mérite de ce que la pluie du »ciel a fertilisé sa moisson, sans arroser celle de » son voisin. Vous ne seriez pas plus sage, si vous » vouliez tirer vanité de votre naissance, qui n'a» joute rien à votre mérite personnel. Vous ne » sauriez douter que je suis au-dessus de vous par >> les lumières et les connoissances. Vous ne savez » que ce que je vous ai appris; et ce que je vous » ai appris n'est rien, comparé à ce qu'il me res» teroit à vous apprendre. Quant à l'autorité, » vous n'en avez aucune sur moi, et je l'ai moi» même, au contraire, pleine et entière sur vous. » Le Roi, et Monseigneur, vous l'ont dit assez » souvent. Vous croyez peut-être que je m'estime » fort heureux d'être pourvu de l'emploi que j'exerce auprès de vous; désabusez-vous en

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» core, Monsieur; je ne m'en suis chargé que

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