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» l'étendue et la vivacité de son esprit étoien prodigieuses, et l'empêchoient de s'appliquer à » une seule chose à la fois, jusqu'à l'en rendre incapable ».

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Tel étoit le prince qui fut confié à Fénelon : tout étoit à craindre d'un pareil caractère, tout étoit à espérer d'une ame qui annonçoit tant d'énergie. Ecoutons encore le duc de Saint-Simon.

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<< Tant d'esprit et une telle force d'esprit, joint » à une telle sensibilité, à de telles passions, et » toutes si ardentes, n'étoient pas d'une éducation » facile. Le duc de Beauvilliers, qui en sentoit » exactement les difficultés et les conséquences, » s'y surpassa lui-même par son application, » sa patience, la variété des remèdes. Fénelon, Fleury, quelques gentilshommes de la manche, » Moreau, premier valet de chambre, fort au>> dessus de son état, quelques rares valets de l'in» térieur, le duc de Chevreuse, seul du dehors, » tous furent mis en œuvre, et tous du même >> esprit, travaillèrent chacun sous la direction du » gouverneur, dont l'art déployé dans un récit >> seroit un ouvrage également curieux et instruc»tif. Le prodige est qu'en très-peu de temps la » dévotion et la grâce en firent un autre homme, » et changèrent tant et de si redoutables défauts >> en vertus parfaitement contraires. De cet abîme

» sortit un prince affable, doux, humain, modéré, patient, modeste, humble et austère pour soi, tout appliqué à ses obligations, et les com» prenant immenses; il ne pensa plus qu'à allier » les devoirs de fils et de sujet à ceux auxquels il » se voyoit destiné ».

Mais que de soins, d'attention, de patience, que d'art, d'habileté, quel esprit d'observation; que de délicatesse et de variété dans le choix des moyens ne fallut-il pas pour opérer une révolution aussi extraordinaire dans le caractère d'un enfant, d'un prince, d'un héritier du trône? Je dirai plus; si ses instituteurs n'avoient pas été les plus vertueux des hommes; si leur élève, dont la pénétration étoit si redoutable, avoit surpris en eux la plus légère apparence de foiblesse ou d'inconséquence, tout leur art, tous leurs soins, toute leur application étoient perdus. Ils durent bien moins le succès inespéré de cette éducation à leur génie et à leurs talens, qu'à leurs vertus et à leurs qualités.

Fénelon reconnut bientôt que la partie de l'é- XXXVII. ducation qui excite ordinairement le plus le zèle

Education morale de

des instituteurs et l'amour-propre des parens, la M. le duc de partie de l'instruction seroit celle qui lui donne- Bourgogne. roit le moins de peine. Il pressentit qu'avec l'es

prit et les dispositions singulières que son élève

avoit reçus de la nature, il feroit des progrès rapides dans tous les genres de connoissances qui distinguent les esprits supérieurs, et qui n'appartiennent pas toujours aux enfans des rois; mais le plus difficile étoit de dompter d'abord cette ame si violemment constituée, d'en conserver toutes les qualités nobles et généreuses, d'en séparer toutes les passions trop fortes, et de former de cette nouvelle création morale, un prince tel que le génie de Fénelon l'avoit conçu pour le bonheur de l'humanité en un mot, il voulut réaliser le beau idéal de la vertu sur le trône, comme les artistes de l'antiquité cherchoient à imprimer à leurs ouvrages ce beau idéal, qui donnoit aux formes humaines une expression surnaturelle et céleste.

L'enfant confié aux soins de Fénelon étoit appelé à régner, et Fénelon voyoit, dans cet enfant, la France entière qui attendoit son bonheur ou son malheur du succès de ses soins; ainsi il n'eut qu'une seule méthode, celle de n'en avoir aucune, ou plutôt il ne se prescrivit qu'une seule règle, celle d'observer à chaque moment le caractère du jeune prince, de suivre avec une attention calme et patiente, toutes les variations et tous les écarts de ce tempérament fougueux, et de faire toujours ressortir la leçon de la faute même.

Une pareille éducation devoit être en action bien plus qu'en instruction : l'élève ne pouvoit jamais prévoir la leçon qui l'attendoit, parce qu'il ne pouvoit prévoir lui-même les torts dont il se rendoit coupable par l'emportement de son humeur. Ainsi, les avis et les reproches étoient toujours le résultat nécessaire et naturel des excès auxquels il s'étoit abandonné.

Si on veut connoître la méthode de Fénelon et suivre l'éducation de son élève, on n'a qu'à lire les Fables et les Dialogues qu'il écrivit pour le jeune prince. Chacune de ces fables, chacun de ces dialogues fut composé dans le moment même où l'instituteur le jugeoit utile ou nécessaire, pour rappeler à l'élève la faute qu'il venoit de commettre, et lui inculquer, d'une manière plus sensible et plus précise, la leçon qui devoit l'instruire.

On a imprimé ces fables et ces dialogues sans y observer un ordre et une suite, dont un pareil recueil n'avoit en effet aucun besoin. Fénelon ne les composoit, comme on l'a déjà dit, que pour la circonstance et pour le moment; mais il seroit facile d'en suivre, pour ainsi dire, la chronologie, en les comparant au progrès que l'âge et l'instruction devoient amener dans l'éducation du duc de Bourgogne. On observera que ces fables

XXXVIII.

Fables de Fénelon.

et ces dialogues ne conviennent qu'à un prince et à un prince destiné à régner. Tout se rapport à cet objet presque exclusif; tout se rallie à c grand intérêt auquel tant d'autres intérêts ve noient se réunir. On voit par la simplicité, la pré cision et la clarté de quelques-unes de ces fables qui furent probablement écrites les premières qu'elles s'adressent à un enfant dont il falloi éviter de fatiguer l'intelligence, et à l'esprit duquel on ne devoit présenter que ce qu'il pouvoi saisir et conserver.

Ces fables prennent ensuite un caractère un peu plus élevé; elles renferment quelques allusions à l'histoire et à la mythologie, à mesure que les progrès de l'instruction mettoient le jeune prince à portée de les saisir et de s'en faire l'application: c'est ainsi que Fénelon le familiarisoit peu à peu avec cette ingénieuse féerie, que les poètes de l'antiquité avoient créée pour embellir des couleurs brillantes de leur imagination les premiers événemens du monde, et pour suppléer aux faits que la révélation ne leur avoit point appris sur la véritable origine des choses.

Le style de ces Fables a toujours une élégance naturelle qui flatte agréablement l'oreille d'un enfant né avec du goût, et qui contribue à lui donner de bonne heure le sentiment de la conve

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