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lée de cette manière dans le Ta-hio ou la Grande Etude, ch. X, § 5 (p. 161):

• Obtiens l'affection du peuple et tu obtiendras l'empire:

« Perds l'affection du peuple et tu perdras l ́enipire. »

On ferait plusieurs volumes si l'on voulait recueillir tous les axiomes semblables qui sont exprimés dans les livres chinois, depuis les plus anciens jusqu'aux plus modernes, et, nous devons le dire, on ne trouverait pas, dans tous les écrivains politiques et moraux de la Chine, bien plus nombreux que partout ailleurs, un seul apôtre de la tyrannie et de l'oppression, un seul écrivain qui ait eu l'audace, pour ne pas dire l'impiété, de nier les droits de tous aux dons de Dieu, c'est-àdire, aux avantages qui résultent de la réunion de l'homme en société, et de les revendiquer au profit d'un seul ou d'un petit nombre. Le pouvoir le plus absolu que les écrivains politiques et les moralistes chinois aient reconnu aux chefs du gouvernement, n'a jamais été qu'un pouvoir délégué par le Ciel, ou la Raison suprême absolue, ne pouvant s'exercer que dans l'intérêt de tous, pour le bien de tous, et jamais dans l'intérêt d'un seul et pour le bien d'un seul. Des limites morales infranchissables sont posées à ce pouvoir absolu; et s'il lui arrivait de les dépasser, d'enfreindre ces lois morales, d'abuser de son mandat, alors, comme l'a dit un célèbre philosophe chinois du douzième siècle de notre ère, TCHOU-HI, dans son Commentaire sur le premier des Quatre Livres classiques de la Chine (voy. p. 154-155), enseigné dans toutes les écoles et les colléges de l'empire, le peuple serait dégagé de tout respect et de toute obéissance envers ce même pouvoir, qui serait détruit immédiatement, pour faire place à un autre pouvoir légitime, c'est-à-dire, s'exerçant uniquement dans les intérêts de tous.

Ces doctrines sont enseignées dans le Chou-king ou le Livre sacré par excellence des Chinois, ainsi que dans les Quatre Livres classiques du grand philosophe KHOUNG-TSEU et de ses disciples, dont nous donnons, dans ce volume, une traduction complète et aussi littérale que possible. Ces livres, révérés à l'égal des livres les plus révérés dans d'autres parties du monde, et qui ont reçu la sanction d'innombrables générations et de populatious immenses, forment la base du droit public; ils ont été expliqués et commentés par les philosophes et les moralistes les plus célèbres, et ils sont continuellement dans les mains de tous ceux qui, tout en voulant orner leur intelligence, désirent encore posséder la connaissance de ces grandes vérités morales, qui font seules la prospérité et la félicité des sociétés humaines.

KHOUNG-FOU-TSEU (que les missionnaires européens, en le faisant connaître et admirer à l'Europe, nommèrent Confucius, en latinisant son nom), fut, non pas le premier, mais le plus grand législateur de la Chine". C'est lui qui re• Nous renvoyons, pour d'amples détails sur sa vie et ses

cueillit et mit en ordre, dans la seconde moitié du sixième siècle avant notre ère, tous les documents religieux, philosophiques, politiques et moraux, qui existaient de son temps, et en forma un corps de doctrines sous le titre de Y-king ou Livre sacré des changements; Chou-king, ou Livre sacré par excellence; Chi-king, ou Livre des vers; Li-ki, ou Livre des Rites. Les Sse-chou. ou Quatre Livres classiques, sont ses dits et ses maximes recueillis par ses disciples. Si l'on peut juger de la valeur d'un homme et de la puissance de ses doctrines par l'influence qu'elles ont exercée sur les populations, on peut, avec les Chinois, appeler KHOUNG-TSEU le plus grand Instituteur du genre humain que les siècles aient jamais produit!

En effet, il suffit de lire les ouvrages de ce philosophe, composés par lui ou recueillis par ses disciples, pour être de l'avis des Chinois. Jamais la raison humaine n'a été plus dignement représentée. On est vraiment étonné de retrouver dans les écrits de KHOUNG-TSEU l'expression d'une si haute et si vertueuse intelligence, en même temps que celle d'une civilisation aussi avancée. C'est surtout dans Lún-yù ou les Entretiens philosophiques que se manifeste la belle âme de KHOUNG-TSEU. Où trouver, en effet, des maximes plus belles, des idées plus nobles et plus élevées que dans les livres dont nous publions la traduction? On ne doit pas être surpris si les missionnaires européens, qui les premiers firent connaître ces écrits à l'Europe, concurent pour leur auteur un enthousiasme égal à celui des Chinois.

Ses doctrines étaient simples et fondées sur la nature de l'homme Aussi disait-il à ses disciples: «Ma doctrine est simple et facile à pénétrer*. » Sur quoi l'un d'eux ajoutait : « La doctrine de notre >> maître consiste uniquement à posséder la droi» ture du cœur et à aimer son prochain comme soi» même** >>

Cette doctrine, il ne la donnait pas comme nouvelle, mais bien comme un dépôt traditionnel des sages de l'antiquité, qu'il s'était imposé la mission de transmettre à la postérité ***. Cette mission, il l'accomplit avec courage, avec dignité, avec persévérance, mais non sans éprouver de profonds découragements et de mortelles tristesses. Il faut donc que, partout, ceux qui se dévouent au bonheur de l'humanité, s'attendent à boire le calice d'amertume, le plus souvent jusqu'à la lie, comme s'ils devaient expier par toutes les souffrances humaines les dons supérieurs dont leur âme avait été douée pour accomplir leur mission divine!

Cette mission d'Instituteur du genre humain, le philosophe chinois l'accomplit dans toute son ouvrages, au premier volume de notre Description de la Chine déjà citée, t. Ier, p. 120 et suiv. On trouvera ausel, dans le xir volume des Mémoires concernant les Chinois, une vie très-détaillée du grand philosophe chinois, par le P. Amiot, que nous avons analysée dans l'ouvrage précité. Lin-ù, cù. IV, § 15.

** Id., § 16.

*** Id, ch. VII, § I, IV.

étendue, et bien autrement qu'aucun philosophe de l'antiquité classique. Sa philosophie ne consistait pas en spéculations plus ou moins vaines, mais c'était une philosophie surtout pratique qui s'étendait à toutes les conditions de la vie, à tous les rapports de l'existence sociale. Le grand but de cette philosophie, le but pour ainsi dire unique était l'amélioration constante de soi-même et des autres hommes; de soi-même d'abord, ensuite des autres. L'amélioration ou le perfectionnement de soi-même est d'une nécessité absolue pour arriver à l'amélioration et au perfectionnement des autres. Plus la personne est en évidence, plus elle occupe un rang élevé, plus ses devoirs d'amélioration de soimême sont grands. Aussi KHOUNG-TSEU considé rait-il le gouvernement des hommes comme la plus haute et la plus importante mission qui puisse être conférée à un mortel, comme un véritable mandat céleste. L'étude du cœur humain, ainsi que l'histoire, lui avaient appris que le pouvoir pervertissait les hommes quand ils ne savaient pas se défendre de ses prestiges, que ses tendances permanentes étaient d'abuser de sa force et d'arriver à l'oppression. C'est ce qui donne aux écrits du philosophe chinois, comme à tous ceux de sa grande école, un caractère si éminemment politique et moral. La vie de KHOUNG-TSEU se consume en cherchant à donner des enseignements aux princes de son temps, à leur faire connaître leurs devoirs ainsi que la mission dont ils sont chargés pour gouverner les peuples et les rendre heureux. On le voit constamment plus occupé de prémunir les peuples contre les passions et la tyrannie des rois, que les rois contre les passions et la turbulence des peuples; non pas qu'il regardât les derniers comme ayant moins besoin de connaître leurs devoirs et de les remplir, mais parce qu'il considérait les rois comme seuls responsables du bien et du mal qui arrivaient dans l'empire, de la prospérité ou de la misère des populations qui leur étaient confiées. Il attachait à l'exercice de la souveraineté des devoirs si étendus et si obligatoires, une influence si vaste et si puissante, qu'il ne croyait pas pouvoir trop éclairer ceux qui en étaient revêtus, des devoirs qu'ils avaient à remplir pour accomplir convenablement leur mandat. C'est ce qui lui faisait dire : « Gouverner son pays avec la vertu et la capacité nécessaires, c'est ressembler à l'étoile po«laire qui demeure immobile à sa place, tandis « que toutes les autres étoiles circulent autour a d'elle et la prennent pour guide*. »

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Il avait une foi si vive dans l'efficacité des doctrines qu'il enseignait aux princes de son temps, qu'il disait:

« Si je possédais le mandat de la royauté, il ne me faudrait pas plus d'une génération pour « faire régner partout la vertu de l'humanité **. » Quoique la politique du premier philosophe et législateur chinois soit essentiellement démocratique, c'est-à-dire, ayant pour but la culture morale

* Lun-gi, ch. ", 5 1, ** Id,, ch. xm, § 12.

et la félicité du peuple, il ne faudrait pas cependant prendre ce mot dans l'acception qu'on lui donne habituellement. Rien ne s'éloigne peut-être plus de la conception moderne d'un gouvernement démocratique que la conception politique du philosophe chinois. Chez ce dernier, les lois morales et politiques qui doivent régir le genre humain sous le triple rapport de l'homme considéré dans sa nature d'être moral perfectible, dans ses relations de famille, et comme membre de la société, sont des lois éternelles, immuables, expression vraie de la véritable nature de l'homme, en harmonie avec toutes les autres lois du monde visible, transmises et enseignées par des hommes qui étaient eux-mêmes la plus haute expression de la nature morale de l'homme, soit qu'ils aient dû cette perfection à une faveur spéciale du ciel, soit qu'ils l'aient acquise par leurs propres efforts pour s'améliorer et se rendre dignes de devenir les instituteurs du genre humain. Dans tous les cas, ces lois ne pouvaient être parfaitement connues et enseignées que par un très-petit nombre d'hommes, arrivés à la plus haute culture morale de l'intelligence à laquelle il soit donné à la nature humaine d'atteindre, et qui aient dévoué leur vie tout entière et sans réserve à la mission noble et sainte de l'enseignement politique pour le bonheur de l'humanité. C'est donc la réalisation des lois morales et politiques qui peuvent constituer véritablement la société et assurer la félicité publique, lois conçues et enseignées par un petit nombre au profit de tous; tandis que, dans la conception politique moderne d'un gouvernement démocratique, la connaissance des lois morales et politiques qui constituent la société et doivent assurer la félicité publique, est supposée dans chaque individu dont se compose cette société, quel que soit son degré de culture morale et intellectuelle; de sorte que, dans cette dernière conception, il arrive le plus souvent, que celui qui n'a pas même les lumières nécessaires pour distinguer le juste de l'injuste, dont l'éducation morale et intellectuelle est encore entièrement à faire, ou même dont les penchants vicieux sont les seuls mobiles de sa conduite, est appelé, surtout si sa fortune le lui permet, à donner des lois à celui dont la culture moraie et intellectuelle est le plus développée et dont la mission devrait être l'enseignement de cette même société, régie par les intelligences, les plus nombreuses il est vrai, mais aussi souvent les moins faites pour cette haute mission.

Selon KHOUNG-TSEU, le gouvernement est ce qui est juste et droit *. C'est la réalisation des lois éternelles qui doivent faire le bonheur de l'humanité, et que les plus hautes intelligences, par une application incessante de tous les instants de leur vie, sont seules capables de connaître et d'enseigner aux hommes. Au contraire, le gouvernement, dans la conception moderne, n'est plus qu'un acte à la portée de tout le monde, auquel tout le monde

* Lun-yù, ch. XII, § 17.

ve at prendre part, comme a la chose la plus triviale et la plus vulgaire, et à laquelle on n'a pas besoin d'être préparé par le moindre travail intellectuel et moral.

Pour faire mieux comprendre les doctrines morales et politiques du philosophe chinois, nous pensons qu'il ne sera pas inutile de présenter ici un court aperçu des Quatre Livres classiques dont nous donnons la traduction à la suite de celle du Chou-king, ou Livre sacré par excellence.

1° LE TA-HIO OU LA GRANDE ÉTUDE. Ce petit ouvrage se compose d'un texte attribué à KHOUNGTSEU, et d'une exposition faite par son disciple Thseng-tseu. Le texte proprement dit est fort court Il est nommé Kingou Livre par excellence; mais tel qu'il est, cependant, c'est peut-être, sous le rapport de l'art de raisonner, le plus précieux de tous les écrits de l'ancien philosophe chinois, parce qu'il offre, au plus haut degré, l'emploi d'une méthode logique, qui décèle dans celui qui en fait usage, sinon la connaissance des procédés syllogistiques les plus profonds, enseignés et mis en usage par les philosophes indiens et grecs, au moins les progrès d'une philosophie qui n'est plus bornée à l'expression aphoristique des idées morales, mais qui est déjà passée à l'état scientifique. L'art est ici trop évident pour que l'on puisse attribuer l'ordre et l'enchaînement logique des propositions à la méthode naturelle d'un esprit droit qui n'aurait pas encore eu conscience d'elle-même. On peut donc établir que l'argument nommé sorite était déjà connu en Chine environ deux siècles avant Aristote, quoique les lois n'en aient peutêtre jamais été formulées dans cette contrée, par des traités spéciaux*.

Toute la doctrine de ce premier traité repose sur un grand principe auquel tous les autres se rattachent et dont ils découlent comme de leur source primitive et naturelle: le perfectionnement de soi-même. Ce principe fondamental, le philosophe chinois le déclare obligatoire pour tous les homines, depuis celui qui est le plus élevé et le plus puissant, jusqu'au plus obscur et au plus faible, et il établit, que négliger ce grand devoir, c'est se mettre dans l'impossibilité d'arriver à aucun autre perfectionnement moral.

Après avoir lu ce petit traité, 'on demeure convaincu que le but du philosophe chinois a été d'enseigner les devoirs du gouvernement politique comme ceux du perfectionnement de soi-même et de la pratique de la vertu par tous les hommes.

2o LE TCHOUNG-YOUNG, OU L'INVARIABILITÉ DANS LE MILIEU. Le titre de cet ouvrage a été interprété de diverses manières par les commentateurs chinois. Les uns l'ont entendu comme signifiant la persévérance de la conduite dans une ligne droite également éloignée des extrémes, c'est-à-dire, dans la voie de la'vérité que l'on doit constamment suivre; les autres l'ont considéré comme signifiant

* Voy. l'Argument philosophique de l'édition chinoiselatine et française que nous avons donnée de cet ouvrage. Paris, 1837, gr. in-8".

tenir le milieu en se conformant aux temps et aux circonstances, ce qui nous paraît contraire à la doctrine exprimée dans ce livre, qui est d'une nature aussi métaphysique que morale. Tseu-sse, qui le ré. digea,était petit-fils et disciple de KHOUNG-TSEU.On voit, à la lecture de ce traité, que Tseu-sse voulut exposer les principes métaphysiques des doctrines de son maître, et montrer que ces doctrines n'étaient pas de simples préceptes dogmatiques puisés dans le sentiment et la raison, et qui seraient par conséquent plus ou moins obligatoires selon la manière de sentir et de raisonner, mais bien des principes métaphysiques fondés sur la nature de l'homme et les lois éternelles du monde. Ce caractère élevé, qui domine tout le Tchoung-young, et que des écrivains modernes, d'un mérite supérieur d'ailleurs", n'ont pas voulu reconnaître dans les écrits des philosophes chinois, place ce traité de morale métaphysique au premier rang des écrits de ce genre que nous a légués l'antiquité. On peut certainement le mettre à côté, sinon au-dessus de tout ce que la philosophie ancienne nous a laissé de plus élevé et de plus pur. On sera même frappé, en le lisant, de l'analogie qu'il présente, sous certains rapports, avec les doctrines morales de la philosophie stoïque enseignées par Épictète et MarcAurèle, en même temps qu'avec la métaphysique d'Aristote.

On peut se former une idée de son contenu par l'analyse sommaire que nous allons en donner, d'après les commentateurs chinois.

Dans le premier chapitre, Tseu-sse expose les idées principales de la doctrine de son maître KнOUNG-TSEU, qu'il veut transmettre à la postérité. D'abord il fait voir que la voie droite, ou la règle de conduite morale, qui oblige tous les hommes, a sa base fondamentale dans le ciel, d'où elle tire son origine, et qu'elle ne peut changer; que sa substance véritable, son essence propre, existe complétement en nous, et qu'elle ne peut en être séparée; secondement, il parle du devoir de conserver cette règle de conduite morale, de l'entretenir, de l'avoir sans cesse sous les yeux; enfin il dit que les saints hommes, ceux qui approchent le plus de l'intelligence divine, type parfait de notre imparfaite intelligence, l'ont portée par leurs œuvres à son dernier degré de perfection.

Dans les dix chapitres qui suivent, Tseu-sse ne fait, pour ainsi dire, que des citations de paroles de son maître destinées à corroborer et à compléter le sens du premier chapitre. Le grand but de cette partie du livre est de montrer que la prudence éclairée, l'humanité ou la bienveillance universelle pour les hommes, la force d'âme, ces trois vertus universelles et capitales, sont comme la porte par laquelle on doit entrer dans la voie droite que doivent suivre tous les hommes; c'est pourquoi ces vertus ont été traitées dans la première partie de l'ouvrage, qui comprend les chapitres 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 et 11.

Voy. les Histoires de la philosophie ancienne. de Begel et de H. Ritter, précédemment cités.

Dans le douzième chapitre, Tseu-sse cherche à expliquer le sens de cette expression du premier chapitre, où il est dit que la voie droite ou la règle de conduite morale de l'homme est tellement obligatoire, que l'on ne peut s'en écarter d'un seul point un seul instant. Dans les huit chapitres qui suivent, Tseu-sse cite sans ordre les paroles de son maître KHOUNG-TSEU, pour éclaircir le même sujet.

Toute morale qui n'aurait pas pour but le perfectionnement de la nature humaine serait une morale incomplète et passagère. Aussi le disciple de KHOUNG-TSEU, qui veut enseigner la loi éternelle et immuable d'après laquelle les actions des hommes doivent être dirigées, établit, dans le vingtième chapitre, que la loi suprême, la loi de conduite morale de l'homme qui renferme toutes les autres, est la perfection. « Il y a un principe certain, dit«il, pour reconnaître l'état de perfection. Celui qui « ne sait pas distinguer le bien du mal, le vrai du faux, qui ne sait pas reconnaitre dans l'homme « le mandat du ciel, n'est pas encore arrivé à la "perfection.»

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Selon le philosophe chinois, le parfait, le vrai, dégagé de tout mélange, est la loi du ciel; la perfection ou le perfectionnement, qui consiste à employer tous ses efforts pour découvrir et suivre la loi céleste, le vrai principe du mandat du ciel, est la loi de l'homme. Par conséquent, il faut que l'homme atteigne la perfection pour accomplir sa propre loi.

«

Mais pour que l'homme puisse accomplir sa loi, il faut qu'il la connaisse « Or, dit Tseu-sse (chap. « XXII), il n'y a dans le monde que les hommes « souverainement parfaits qui puissent connaître à fond leur propre nature, la loi de leur être et les « devoirs qui en dérivent; pouvant connaître à « fond la loi de leur être et les devoirs qui en dé«rivent, ils peuvent, par cela même, connaître à « fond la nature des autres hommes, la loi de leur être, et leur enseigner tous les devoirs qu'ils ont à observer pour accomplir le mandat du ciel.» Voilà les hommes parfaits, les saints, c'est-à-dire, ceux qui sont arrivés à la perfection, constitués les instituteurs des autres hommes, les seuls capables de leur enseigner leurs devoirs et de les diriger dans la droite voie, la voie de la perfection morale. Mais Tseu-sse ne borne point là les facultés de ceux qui sont parvenus à la perfection. Suivant le procédé logique que nous avons signalé précédemment, il montre que les hommes arrivés à la perfection développent leurs facultés jusqu'à leur plus haute puissance, s'assimilent aux pouvoirs supérieurs de la nature, et s'absorbent finalement en eux. « Pouvant connaître à fond, ajoute-t-il, la na<< ture des autres hommes, la loi de leur être, et ⚫ leur enseigner les devoirs qu'ils ont à observer - pour accomplir le mandat du ciel, ils peuvent, « par cela même, connaître à fond la nature des « autres êtres vivants et végétants, et leur faire - accomplir leur loi de vitalité selon leur propre nature pouvant connaître à fond la na

«

« ture des êtres vivants et végétants, et leur faire << accomplir leur loi de vitalité, selon leur propre « nature, ils peuvent, par cela même, au moyen « de leurs facultés intelligentes supérieures, aider « le ciel et la terre dans la transformation et l'en« tretien des êtres, pour qu'ils prennent leur complet « développement; pouvant aider le ciel et laterre dans « la transformation et l'entretien des êtres, ils peu« vent, par cela même, constituer un troisième pou« voir avec le ciel et la terre. » Voilà la loi du ciel. Mais, selon Tseu-sse (chap. XXIII-XXIV), il y a différents degrés de perfection. Le plus haut degré est à peine compatible avec la nature humaine, ou plutôt ceux qui l'ont atteint sont devenus supérieurs à la nature humaine. Ils peuvent prévoir l'avenir, la destinée des nations, leur élévation et leur chute, et ils sont assimilés aux intelligences immatérielles, aux êtres supérieurs à 'homme. Cependant, ceux qui atteignent un degré de perfection moins élevé, plus accessible à la nature de l'homme (chap. XXIII), opèrent un grand bien dans le monde par la salutaire influence de leurs bons exemples. On doit donc s'efforcer d'atteindre à ce second degré de perfection.

« Le parfait (chap. XXV) est par lui-même « parfait, absolu; la loi du devoir est par elle« même loi du devoir.

« Le parfait est le commencement et la fin de « tous les êtres; sans le parfait, les êtres ne se«raient pas. C'est pourquoi Tseu-sse place le perfectionnement de soi-même et des autres au premier rang des devoirs de l'homme. « Réunir le « perfectionnement intérieur et le perfectionne• ment extérieur constitue la règle du devoir. »

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« C'est pour cela, dit-il (chap. XXVI), que « l'homme souverainement parfait ne cesse jamais d'opérer le bien et de travailler au perfectionne«ment des autres hommes. » Ici le philosophe chinois exalte tellement la puissance de l'homme parvenu à la perfection, qu'il l'assimile à celle du ciel et de la terre (chap. XXVI et XXVII). C'est un caractère propre à la philosophie de l'Orient*, et que l'on ne retrouve point dans la philosophie de l'antiquité classique, d'attribuer à l'homme parvenu à la perfection philosophique des pouvoirs surnaturels qui le placent au rang des puissances surhumaines.

T'seu-sse, dans le vingt-neuvième chapitre de son livre, est amené, par la méthode de déduction, à établir que les lois qui doivent régir un empire ne peuvent pas être proposées par des sages qui ne seraient pas revêtus de la dignité souveraine, parce qu'autrement, quoique excellentes, elles n'obtiendraient pas du peuple le respect nécessaire à leur sanction, et ne seraient point observées. Il en conclut que cette haute mission est réservée au souve rain qui doit établir ses lois selon les lois du ciel et de la terre, et d'après les inspirations des intelligences supérieures. Mais voyez à quelle rare et

• Voyez aussi notre traduction des Essais de Colebrooke, sur la Philosophie des Hindous.

sublime condition il accorde le droit de donner des institutions aux hommes et de leur commander! Il n'y a dans l'univers (chap. XXXI) que ⚫ l'homme souverainement saint qui, par la fa⚫ culté de connaître a fond et de comprendre par⚫ faitement les lois primitives des êtres vivants, « soit digne de posséder l'autorité souveraine et de ⚫ commander aux hommes; qui, par sa faculté ⚫ d'avoir une âme grande, magnanime, affable et douce, soit capable de posséder le pouvoir de ré⚫ pandre des bienfaits avec profusion; qui, par sa ⚫ faculté d'avoir une âme élevée, ferme, impertur.bable et constante, soit capable de faire régner ⚫ la justice et l'équité; qui, par sa faculté d'être toujours honnête, simple, grave, droit et juste, soit capable de s'attirer le respect et la vénéraration; qui, par sa faculté d'être revêtu des orne⚫ments de l'esprit et des talents que donne une ⚫ étude assidue, et de ces lumières que procure ⚫ une exacte investigation des choses les plus ca⚫chées, des principes les plus subtils, soit capa⚫ble de discerner avec exactitude le vrai du faux, « le bien du mal. »

Il ajoute: « Que cet homme souverainement saint - apparaisse avec ses vertus, ses facultés puissantes, et les peuples ne manqueront pas de lui té• moigner leur vénération; qu'il parle, et les peu>ples ne manqueront pas d'avoir foi en ses paroles; qu'il agisse, et les peuples ne manqueront pas d'être dans la joie... Partout où les vaisseaux et les chars peuvent parvenir, où les forces de l'industrie humaine peuvent faire pénétrer; dans tous les lieux que le ciel couvre de son dais im« mense; sur tous les points que la terre enserre, ⚫ que le soleil et la lune éclairent de leurs rayons, - que la rosée et les nuages du matin fertilisent, ⚫ tous les êtres humains qui vivent et qui respirent - ne peuvent manquer de l'aimer et de le révé

. rer. »

Mais ce n'est pas tout d'être souverainement saint pour donner des lois aux peuples et pour les gouverner, il faut encore être souverainement parfait (chap. XXXII) pour pouvoir distinguer et fixer les devoirs des hommes entre eux. La loi de l'homme souverainement parfait ne peut être conQue que par l'homme souverainement saint; la vertu de l'homme souverainement saint ne peut être pratiquée que par l'homme souverainement parfait; il faut donc être l'un et l'autre pour être digne de posséder l'autorité souveraine. Les grands philosophes européens, qui trouvent la morale du philosophe chinois si triviale, si vulgaire, si dépourvue des hautes facultés de la spéculation alemande moderne, ne sont assurément pas si difficiles sur les conditions requises pour exercer convenablement la souveraineté, surtout quand on proclame comme principe fondamental de sa philosophie, que: Tout ce qui est raisonnable existe réel lement, et tout ce qui existe réellement est raison

nable*.

Was vernünftig ist, ist wirklich, und was wirklich st, ist vernünftig. » (Hegel).

3o Le LUN-YU, ou les ENTRETIENS PHILOSOPHIQUES. La lecture de ces Entretiens philosophiques de KHOUNG-TSEU et de ses disciples rappelle, sous quelques rapports, les dialogues de Platon, dans lesquels Socrate, son maître, occupe le premier plan, mais avec toute la différence des lieux et des civilisations. Il y a assurément beaucoup moins d'art, si toutefois il y a de l'art, dans les entretiens du philosophe chinois, recueillis par quelques-uns de ses disciples, que dans les dialogues poétiques du philosophe grec. On pourrait plutôt comparer les dits de KHOUNG-TSEU à ceux de Socrate, recueillis par son autre disciple Xénophon. Quoi qu'il en soit, l'impression que l'on éprouve à la lecture des Entretiens du philosophe chinois avec ses disciples n'en est pas moins grande et moins profonde, quoiqu'un peu monotone, peut-être. Mais cette monotonie même a quelque chose de la sérénité et de la majesté d'un enseignement moral qui fait passer successivement sous les yeux les divers côtés de la nature humaine en la contemplant d'une région supérieure. Et après cette lecture, on peut se dire comme le philosophe chinois : « Celui qui se livre à l'étude du vrai et du bien, qui s'y applique avec persévérance et sans relâche, n'en éprouve-t-il pas une grande satisfaction *? »

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On peut dire que c'est dans ces Entretiens philosophiques que se révèle à nous toute la belle âme de RHOUNG-TSEU, sa passion pour la vertu, son ardent amour de l'humanité et du bonheur des hommes. Aucun sentiment de vanité ou d'orgueil, de menace ou de crainte, ne ternit la pureté et l'autorité de ses paroles. « Je ne naquis point doué « de la science, dit-il; je suis un homme qui a «< aimé les anciens et qui a fait tous ses efforts « pour acquérir leurs connaissances **. »

« Il était complétement exempt de quatre cho<< ses, disent ses disciples: il était sans amour« propre, sans préjugés, sans égoïsme et sans obsti. « nation ***. » du

L'étude, c'est-à-dire, la recherche du bien, vrai, de la vertu, était pour lui le plus grand moyen de perfectionnement. « J'ai passé, disait-il, des journées entières sans nourriture, et des nuits « entières sans sommeil, pour me livrer à la médi<< tation, et cela sans utilité réelle : l'étude est bien « préférable. »

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Il ajoutait « L'homme supérieur ne s'occupe « que de la droite voie, et non du boire et du man«ger. Si vous cultivez la terre, la faim se trouve << souvent au milieu de vous; si vous étudiez, la « félicité se trouve dans le sein même de l'étude. « L'homme supérieur ne s'inquiète que de ne pas << atteindre la droite voie; il ne s'inquiète pas de « la pauvreté ****. »

Avec queile admiration il parle de l'un de ses disciples, qui, au sein de toutes les privations, ne s'en livrait pas moins avec persévérance à l'étude de la sagesse .

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