Oldalképek
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Des études constantes et réfléchies nourrissaient et fortifiaient ses grands talents, qu'il avait enfin conduits depuis quinze ans à la plus étonnante perfection. Il travaillait sans cesse ses rôles, et avait acquis dans les lettres et dans l'histoire les connaissances relatives à son art. Sensible à la poésie, on ne l'a jamais vu mutiler et défigurer les vers qu'il récitait, comme il arrive si souvent à tant d'autres, qui ne songent pas combien cette ignorance est honteuse dans des hommes dont le métier est de réciter sans cesse des vers. Il était tout aussi éloigné de cette erreur commune qui fait croire à quelques comédiens qu'il faut négliger les détails pour faire valoir l'ensemble, et déchirer le poëte pour bien jouer la tragédie. Rien n'était perdu dans son jeu, et Melpomène n'avait aucun reproche à mêler à sa reconnais

sance.

Rempli des chefs-d'oeuvre de nos maîtres, il y avait peu de pièces où il ne fût prêt à jouer deux ou trois rôles. On l'a vu jouer Châtillon dans Zaïre, Théramène dans Phèdre, Pirithoüs dans Ariane; exemple qu'il faut rappeler à ceux qui, par une vanité mal entendue, craindraient d'accepter pour le bien d'une pièce, et pour l'intérêt d'un auteur, un rôle qui ne serait pas de leur emploi, comme si en descendant de son emploi, on descendait de son talent.

Lekain portait dans la société beaucoup de simplicité, une conversation sage, une discussion

judicieuse, même sur des objets étrangers à ses études. Un sens droit était le caractère de son esprit; il s'y mêlait quelquefois de la gaieté, quoique le plus souvent on aperçût en lui cette mélancolie, principe et aliment des passions qu'il éprouvait comme il savait les peindre.

. On lui accordait volontiers dans le monde le degré de considération, dû à la supériorité de ses talents, faite pour tout ennoblir, et pour échapper à l'ascendant des préjugés. Un comédien mauvais ou médiocre, peut n'être qu'un comédien; mais un homme tel que Lekain, Préville ou Garrick, un acteur de cet ordre est un grand artiste.

Un militaire décoré s'adressa un jour à Lekain dans le foyer, et se servant des expressions les plus méprisantes sur l'état des comédiens, il parla de leur fortune, de leurs pensions, des récompenses qui les attendaient, tandis que lui militaire, après de longs services, se retirait avec une chétive pension. L'acteur qui avait écouté sans rien dire, lui fit cette réponse aussi noble que sensée Eh! comptez-vous pour rien, monsieur, le droit que vous croyez avoir de me dire en face tout ce que je viens d'entendre?

Le théâtre français n'a point fait de perte plus difficile à réparer. On peut y apporter une figure plus agréable, un organe plus facile et plus sonore; on peut avec le temps acquérir une con

naissance égale de la scène; mais cette ame tragique, faite pour tout sentir et tout exprimer, se reproduira-t-elle ? et renaîtra-t-il un autre Lekain?

A la nouvelle de sa mort annoncée au théâtre, un cri de douleur s'est fait entendre de tous côtés, et s'est perdu dans un silence de consternation. On assure pourtant qu'une voix a été entendue dans ce silence, et a dit, Tant mieux. Il faut donc que l'envie élève encore un cri sur la tombe de l'artiste! souvent même ce n'est pas le dernier.

On ne regardera pas sans doute ces lignes jetées précipitamment sur le papier, ces premiers traits de la douleur, comme un éloge complet de l'homme rare qui en mérite un beaucoup plus étendu et plus éloquent; dont j'admirais le talent, et dont je chérissais la personne. Je n'ai fait que joindre ma voix à la voix publique. Mes regrets sont ceux de tous les amateurs des lettres et du théâtre, et pour en faire concevoir la justice, je n'ai pas besoin d'ajouter ce qui n'est que trop vrai. Nulli flebilior quam mihi.

P. S. J'apprends dans le moment que M. de Voltaire arrive à Paris. Cette nouvelle peut faire oublier tout à ceux qui sont sensibles à la gloire et au génie; mais cette joie même fera sentir encore davantage la perte que nous avons faite. Il trouvera Melpomène en deuil; ce deuil s'é

tendra jusques sur son triomphe. Il y manquera celui qui en aurait fait un si bel ornement. M. de Voltaire dira sans doute, Où est Vendôme, où est Tancrède? et le public dira, Où est Lekain.

FIN DES ÉLOGES!

UNIV. OF MIOHIOAN,

JUL 1974

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