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le reste de l'Europe... Faites vous, dit Rousseau à la Pologne, des spectacles nationaux et des fêtes qui vous dégoûtent à jamais. du bonheur de tous les autres peuples; faites en sorte qu'il vous soit impossible d'être autre chose que des Polonais, et vous le serez pour l'éternité... En les séparant ainsi de toute la terre, ce nouveau Lycurgue semble en effet préparer aux Polonais un bonheur qui ne s'est jamais trouvé parmi les hommes. Des mœurs, et presque point de lois; la raison pour le premier code des magistrats; des citoyens qui soient tous législateurs pour qu'il n'y en ait aucun d'esclave; des laboureurs se rendant dignes d'être au besoin les défenseurs de la patrie, par des exercices et des fêtes militaires qui seront le délassement de leurs travaux rustiques; les récompenses toutes en honneur, aucune en argent; l'argent presque proscrit, comme faisant circuler les vices et les crimes avec plus de rapidité encore que les richesses; tous les rangs également accessibles à tous les citoyens, qui les rempliront tous successivement, en croissant par degrés en vertus et en talens, comme en grandeur; le trône même rempli par des citoyens qui auraient appris, dans tous les états qu'ils auraient parcourus, les besoins et les devoirs de tous les états; le bonheur, enfin, toujours modéré, parce qu'il s'use lorsqu'il est trop vif et que l'homme trouve bientôt l'ennui et les dégoûts, dans les voluptés immodérées : tel est le tableau du gouvernement que le citoyen de Genève voulait donner à la Pologne. »

VIII. LETTRES SUR LE GOUVERNEMENT DE LA CORSE.

Les Corses avaient conçu quelque orgueil de la manière dont Rousseau avait parlé de leur nation dans son Contrat social; et voulant justifier la haute idée que le philosophe en avait donné à l'Europe, ils songèrent à organiser un gouvernement capable d'assurer leur indépendance et leur bonheur. M. ButtaFuoco, d'une des premieres familles du pays, écrivit plusieurs fois à Rousseau pour lui demander ses idées sur ce projet important. Paoli entama également une correspondance avec l'auteur du Contrat social; Rousseau dit dans ses Confessions, qu'il ne crut pas devoir refuser de concourir à une si grande et belle œuvre, lorsqu'il aurait pris toutes les instructions dont il avait besoin pour cela. Ce fut dans ce sens qu'il répondit aux deux nobles insulaires, et telle est l'origine des Lettres sur le gouvernement de la Corse. Ce n'étaient encore que les préliminaires du grand travail dont Rousseau voulait s'occuper, et qu'il aurait sans doute élevé au rang de ses plus beaux ouvrages; mais il sentit que pour exécuter cette entreprise, il fallait vivre en Corse et avec les Corses. La persécution qu'il essuya vers ce temps dans la principauté de Neufchâtel, à cause de ses Lettres de la Montagne, lui inspirerent le désir de céder au vœu de Butta-Fuoco et de Paoli, et d'aller chercher le repos entre les âpres rochers d'une île de la Méditerranée. Cependant une autre

:

considération le retint. En travaillant à la législation de ses hôtes, il aurait été obligé d'entretenir avec eux des relations multipliées, et la vie active répugnait à son esprit paresseux peu de temps après, l'occupation de l'ile de Corse par les Français acheva de le détourner de son projet. Il eût été intéressant de voir Rousseau s'établir en législateur dans une île habitée peuple énergique, et y essayer de pratiquer ces systèmes qui avaient jusqu'alors occupé son génie, et qui essuyaient tant de contradictions en France et dans la Suisse.

par un

AVIS.

Les renvois à l'Émile, qui se trouvent dans la Lettre à M. de Beaumont et dans les Lettres écrites de la Montagne, n'ayant pu être indiqués que par les livres, nous placerons à la suite de la Notice qui précédera l'Emile, le numéro des pages auxquelles ces renvois se rapportent dans cette édition, afin d'éviter des recherches aux lecteurs.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU,

CITOYEN DE GENÈVE,

A

CHRISTOPHE DE BEAUMONT,

ARCHEVÊQUE DE PARIS, DUC DE SAINT-CLOUD, PAIR DE FRANCE, COMMANDEUR DE L'ORDRE DU SAINT-ESPRIT " PROVISEUR DE SORBONNE, etc.

Da veniam si quid liberius dixi, non ad contumeliam tuam, sed ad defensionem meam. Præsumsi enim de gravitate et prudentia tua, quia potes considerare quantam mihi respondendi necessitatem imposueris,

AUG. Epist. 238 ad Pascent.

Pardonne-moi si j'ai écrit un peu trop librement, non pour ton déshonneur, mais pour ma défense. Je me suis reposé sur ta prudence et sur ton équité; car tu peux considérer le devoir que tu m'as imposé de répondre.

CITOYEN DE GENÈVE,

A

CHRISTOPHE DE BEAUMONT,
ARCHEVÊQUE DE PARIS.

POURQUOI faut-il, monseigneur, que j'aie quelque chose à vous dire? Quelle langue commune pouvons-nous parler? comment pouvons-nous nous entendre? et qu'y a-t-il entre vous et moi?

:

Cependant il faut vous répondre; c'est vous-même qui m'y forcez. Si vous n'eussiez attaqué que mon livre, je vous aurais laissé dire mais vous attaquez aussi ma personne; et plus vous avez d'autorité parmi les hommes, moins il est permis de me taire quand vous voulez me déshonorer.

Je ne puis m'empêcher, en commençant cette lettre, de réfléchir sur les bizarreries de ma destinée : elle en a qui n'ont été que pour moi.

J'étais né avec quelque talent; le public l'a jugé ainsi : cependant j'ai passé ma jeunesse dans une heureuse obscurité, dont je ne cherchais point à sortir. Si je l'avais cherché, cela même eût été une bizarrerie, que durant tout le feu du premier âge je n'eusse pu réussir, et que j'eusse trop réussi dans la suite quand ce feu commençait à passer. J'approchais de ma quarantième année, et j'avais, au lieu d'une fortune que j'ai toujours méprisée, et d'un nom qu'on m'a fait payer si cher, le repos et des amis, les deux seuls biens dont mon cœur soit avide. Une misérable question d'académie, m'agitant l'esprit malgré moi, me jeta dans un métier pour lequel je n'étais point fait un succès inattendu m'y montra des attraits qui me séduisirent. Des foules d'adversaires m'attaquèrent sans m'entendre, avec une étourderie qui me douna de l'humeur, et avec un orgueil qui m'en inspira peut-être. Je me défendis, et, de dispute en dispute, je me sentis engagé dans la carrière, presque sans y avoir pensé. Je me trouvai devenu pour ainsi dire auteur à l'âge où l'on cesse de l'être, et homme de lettres par mon mépris même pour cet état. Dès là je fus dans le public quelque chose; mais aussi le repos et les amis disparurent. Quels maux ne souffris-je point avant de prendre une assiette plus fixe et des attachemens plus heureux! Il fallut dévorer mes peines; il fallut qu'un peu de réputation me tînt

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