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14. Alors, confus d'avoir insulté un homme paisible et doux, ils s'empresseront à lui faire oublier leurs outrages; et ils l'aimeront comme leur proche, et il les aimera comme ses frères; des cris séditieux ne les ameuteront plus; l'hypocrisie exhalera son fiel en vains murmures, que les femmes même n'écouteront point; la paix de Christ règnera parmi les chrétiens, et le scandale sera ôté du milieu d'eux.

15. C'est ainsi que j'avais parlé à Pierre Duval, dit Pierrot des dames, lorsque je daignai le choisir pour porter ma parole à son frère errant.

16. Mais, au lieu d'obéir à la mission que je lui avais donnée, et d'aller trouver Jean-Jacques, comme je le lui avais commandé, il s'est défié de ma promesse, et n'a pu croire au miracle dont il devait être l'instrument; féroce comme l'onagre du désert, et têtu comme la mule d'Edom, il n'a pu croire qu'on pût mettre des discours persuasifs dans sa bouche, et s'est obstiné dans sa rebellion.

17. C'est pourquoi, l'ayant rejeté, je t'ordonne à toi, Pierre de la Montagne, dit le Voyant, d'écrire cet anathême, et de le lui adresser, soit directement, soit par le public, à ce qu'il n'en prétende cause d'ignorance, et que chacun apprenne, par l'accomplissement du châtiment que je lui annonce, à ne plus désobéir aux saintes visions.

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· CHAPITRE III.

1. Ici sont les paroles dictées par la voix, sous le prunier des prunes vertes, à moi Pierre de la Montagne, dit le Voyant, pour être la sentence portée en icelles duement signifiée et prononcée audit Pierre Duval, dit Pierrot des dames, afin qu'il se prépare à son exécution, et que tout le peuple en étant témoin devienne sage par cet exemple, et apprenne à ne plus désobéir aux

saintes visions.

2. Homme de col roide, craignais-tu que celui qui fit donner par des corbeaux la nourriture charnelle au prophête, ne pût donner par toi la nourriture spirituelle à ton frère? craignais-tu que celui qui fit parler une ânesse ne pût faire parler un cheval?

3. Au lieu d'aller avec droiture et confiance remplir la mission que je t'avais donnée, tu t'es perdu dans l'égarement de ton mauvais cœur; de peur d'amener ton frère à récipiscence, tu n'as point voulu lui porter ma parole; au lieu de cela, te livrant à l'esprit de cabale et de mensonge, tu as divulgué l'ordre que je t'avais donné en secret; et supprimant malignement le bien que je t'avais chargé de dire, tu lui as faussement substitué le mal dont je ne t'avais pas parlé.

4. C'est pourquoi j'ai porté contre toi cet arrêt irrévocable, dont rien ne peut éloigner ni changer l'effet. Toi donc, Pierre Duval, dit Pierrot des dames, écoute et tremble; car voici, heure approche; sa rapidité se réglera sur la soif.

ton

5. Je connais toutes tes machinations secrètes: tes complots ont été formés en buvant; c'est en buvant qu'ils seront punis. Depuis la nuit mémorable de ta vision jusqu'à ce jour, treizieme du mois d'élul (1), à la neuvième heure (2), il s'est passé cent seize heures,

6. Pour te donner, dans ma clémence, le temps de te reconnaître et de t'amender, je t'accorde de pouvoir boire encore cent quinze rasades de vin pur, ou leur valeur, mesurées dans la même tasse où tu bus ton dernier coup la veille de ta vision.

7. Mais sitôt que tes lèvres auront touché la cent seizième rasade, il faut mourir; et avant qu'elle soit vidée tu mourras subi

tement.

8. Et ne pense pas m'abuser sur le compte en buvant furtivement ou dans des coupes de diverses mesures; car je te suis partout de l'œil, et ma mesure est aussi sûre que celle du pain de ta servante, et que le trébuchet où tu pèses tes écus.

(1) Le mois d'élul répond à peu près à notre mois d'août.

(2) La neuvième heure en cette saison fait environ les deux heures après-midi.

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9. En quelque temps et en quelque lieu que tu boives la cent seizième rasade, tu mourras subitement.

10. Si tu la bois au fond de ta cave, caché seul, entre tes tonneaux de piquette, tu mourras subitement.

II. Si tu la bois à table dans ta famille, à la fin de ton maigre diner, tu mourras subitement.

12. Si tu bois avec Joseph Clerc, cherchant avec lui dans le vin quelque mensonge, tu mourras subitement.

13. Si tu la bois chez le maire Baillod, écoutant un de ses vieux sermons, tu t'endormiras pour toujours, même sans qu'il continue de le lire.

14. Si tu la bois causant en secret chez M. le professeur, fût-ce en arrangeant quelque vision nouvelle, tu mourras subitement.

15. Mortel heureux jusqu'à ton dernier instant et au-delà, tu mettras, en expirant, plus d'esprit dans ton estomac que n'en rendra ta cervelle; et la plus pompeuse oraison funèbre, où tes visions seront célébrées, te rendra plus d'honneur après ta mort 'que tu n'en eus de tes jours.

16. Boy, trop heureux Pierre Boy; hâte-toi de boire; tu ne peux trop te presser d'aller cueillir les lauriers qui t'attendent dans le pays des visions. Tu mourras; mais grâce à celle-ci, ton nom vivra parmi les hommes. Boy, Pierre Boy, va promptement à l'immortalité qui t'est due. Ainsi soit-il, amen, amen.

17. Et lorsque j'entendis ces paroles, moi, Pierre de la Montagne, dit le Voyant, je fus saisi d'un grand effroi, et je dis à la

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18. A Dieu ne plaise que j'annonce ces choses sans en être assuré par un signe! Je connais mon frère Pierrot des dames; il veut avoir des visions à lui tout seul. Il ne voudra pas croire aux miennes, encore qu'on m'ait appelé le Voyant. Mais, s'il en doit advenir comme tu dis, donne-moi un signe sous l'autorité duquel je puisse parler.

19. Et comme j'achevais ces mots, voici, je fus éveillé par un coup terrible; et portant la main sur ma tête, je me sentis la face tout en sang; car je saignais beaucoup du nez, et le sang me ruisselait du visage : toutefois, après l'avoir étanché comme je pus, je me levai sans autre blessure, sinon que j'avais le nez meurtri et fort enflé.

20. Puis, regardant autour de moi d'où pouvait me venir cette atteinte, je vis enfin qu'une prune était tombée de l'arbre et m'avait frappé.

21. Voyant la prune auprès de moi, je la pris; et après l'avoir bien considérée, je reconnus qu'elle était fort saine, fort grosse, fort verte et fort dure, comme l'état de mon nez en faisait foi.

22. Alors mon entendement s'étant ouvert, je vis que la

prune en cet état ne pouvait naturellement être tombée d'ellemême, joint que la juste direction sur le bout de mon nez était une autre merveille non moins manifeste, qui confirmait la première, et montrait clairement l'œuvre de l'esprit.

23. Et, rendant grâces à la voix d'un signe si notoire, je résolus de publier la vision, comme il m'avait été commandé, et de garder la prune en témoignage de mes paroles, ainsi que j'ai fait jusqu'à ce jour.

DISCOURS

SUR

L'ORIGINE ET LES FONDEMENS

DE

L'INÉGALITÉ PARMI LES HOMMES.

Non in depravatis, sed in his quæ bene secundum naturam se habent, considerandum est quid sit naturale.

ARISTOT. Politic. lib. I.

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