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un pareil danger, la basse jalousie et les petites passions osentelles se faire entendre? Valent-elles qu'on les contente à si haut prix? et faudra-t-il que vos enfans disent un jour en pleurant sur leurs fers: Voilà le fruit des dissensions de nos pères? En un mot, il s'agit moins ici de délibération que de concorde : le choix du parti que vous prendrez n'est pas la plus grande affaire; fût-il mauvais en lui-même, prenez-le tous ensemble; par cela seul il deviendra le meilleur, et vous ferez toujours ce qu'il faut faire pourvu que vous le fassiez de concert. Voilà mon avis, monsieur, et je finis par où j'ai commencé. En vous obéissant, j'ai rempli mon dernier devoir envers la patrie. Maintenant je prends congé de ceux qui l'habitent; il ne leur reste aucun mal à me faire, et je ne puis plus leur faire aucun bien.

FIN DES LETTRES ÉCRITES DE LA MONTAGNE.

A M. ABAUZIT

EN LUI ENVOYANT LES LETTRES ÉCRITES DE LA MONTAGNE.

Motiers, le 9 décembre 1764.

DAIGNEZ, vénérable Abauzit, écouter mes justes plaintes. Combien j'ai gémi que le conseil et les ministres de Genève m'aient mis en droit de leur dire des vérités si dures ! Mais puisqu'enfin je leur dois ces vérités, je veux payer ma dette. Ils ont rebuté mon respect, ils auront désormais toute ma franchise. Pesez mes raisons, et prononcez. Ces dieux de chair n'ont pu me punir si j'étais coupable; mais si Caton m'absout, ils n'ont pu que m'opprimer.

LETTRE

A M. DE MONTMOLLIN

EN LUI ENVOYANT LES LETTRES ÉCRITES DE LA MONTAGNE.

Le 23 décembre 1764.

PLAIGNEZ-MOI, monsieur, d'aimer tant la paix, et d'avoir toujours la guerre. Je n'ai pu refuser à mes anciens compatriotes de prendre leur défense comme ils avaient pris la mienne. C'est ce que je ne pouvais faire sans repousser les outrages dont, par la plus noire ingratitude, les ministres de Genève ont eu la bassesse de m'accabler dans mes malheurs, et qu'ils ont osé porter jusques dans la chaire sacrée. Puisqu'ils aiment si fort la guerre, ils l'auront; et, après mille agressions de leur part, voici mon premier acte d'hostilité, dans lequel toutefois je défends une de leurs plus grandes prérogatives, qu'ils se laissent lâchement enlever; car, pour insulter à leur aise au malheureux, ils rampent volontiers sous la tyrannie. La querelle, au reste, est tout-à-fait personnelle entre eux et moi; ou, si j'y fais entrer la religion protestante pour quelque chose, c'est comme son défenseur contre ceux qui veulent la renverser. Voyez mes raisons, monsieur, et soyez persuadé que plus on me mettra dans la nécessité d'expliquer mes sentimens, plus il en résultera d'honneur pour votre conduite envers moi, et pour la justice que vous m'avez rendue.

Recevez, monsieur, je vous prie, mes salutations et mon respect.

VISION

DE PIERRE DE LA MONTAGNE,

DIT LE VOYANT.

Ici sont les trois chapitres de la vision de PIERRE DE LA MONTAGNE, dit LE VOYANT, concernant la désobéissance et damnable rebellion de Pierre Duval, dit Pierrot des dames.

1.

CHAPITRE PREMIER.

Er j'étais dans mon pré, fauchant mon regain, et il faisait chaud, et j'étais las, et un prunier de prunes vertes était près de moi.

2. Et me couchant sous le prunier, je m'endormis.

3. Et durant mon sommeil j'eus une vision, et j'entendis une voix aigre et éclatante comme le son d'un cornet de postillon.

4. Et cette voix était tantôt faible et tantôt forte, tantôt grosse et tantôt claire, passant successivement et rapidement des sons les plus graves aux plus aigus, comme le miaulement d'un chat sur une gouttière, ou comme la déclamation du révérend Imers, diacre du Val-de-Travers.

5. Et la voix s'adressant à moi, me dit ainsi : Pierre le voyant, mon fils, écoute mes paroles. Et je me tus en dormant, et la voix continua.

6. Ecoute la parole que je t'adresse de la part de l'esprit, et la retiens dans ton cœur. Répands-la par toute la terre et partout le Val-de-Travers, afin qu'elle soit en édification à tous les fidèles.

7. Et afin qu'instruits du châtiment du rebelle Pierre Duval, dit Pierrot des dames, ils apprennent à ne plus mépriser les nocturnes inspirations de la voix.

8. Car je l'avais choisi dans l'abjection de son esprit, et dans la stupidité de son cœur, pour être mon interprète.

9. J'en avais fait l'honorable successeur de ma servante la Batizarde (1), afin qu'il portât, comme elle, dans toute l'église la lumière de mes inspirations.

(1) Vieille commère de la lie du peuple, qui jadis se piquait d'avoir des visions.

10. Je l'avais chargé d'être, comme elle, l'organe de ma parole, afin que ma gloire fût manifestée, et qu'on vît que je puis quand il me plaît, tirer de l'or de la boue, et des perles du fu

mier.

11. Je lui avais dit : Va, parle à ton frère errant Jean-Jacques, qui se fourvoie, et le ramène au bon chemin.

12. Car dans le fond ton frère Jean-Jacques est un bonhomme, qui ne fait tort à personne, qui craint Dieu, et qui aime la vérité.

13. Mais, pour le ramener d'un égarement, ce peuple y tombe lui-même, et, pour vouloir le rendre à la foi, ce peuple renonce à la loi.

14. Car la loi défend de venger les offenses qu'on a reçues, et eux outragent sans cesse un homme qui ne les a point offensés. 15. La loi ordonne de rendre le bien pour le mal, et eux lui rendent le mal pour le bien.

16. La loi ordonne d'aimer ceux qui nous haïssent, et eux haïssent celui qui les aime.

17. La loi ordonne d'user de miséricorde, et eux n'usent pas même de justice.

18. La loi défend de mentir, et il n'y a sorte de mensonge qu'ils n'inventent contre lui.

19. La loi défend la médisance, et ils le calomnient sans cesse. 20. Ils l'accusent d'avoir dit que les femmes n'avaient point d'ame, et il dit, au contraire, que toutes les femmes aimables en ont au moins deux.

21. Ils l'accusent de ne pas croire en Dieu, et nul n'a si fortement prouvé l'existence de Dieu.

22. Ils disent qu'il est l'Antechrist, et nul n'a si dignement honoré le Christ.

23. Ils disent qu'il veut troubler leurs consciences, et jamais il ne leur a parlé de religion.

24. Que s'ils lisent des livres faits pour sa défense en d'autres pays, est-ce sa faute, et les a-t-il priés de les lire? mais, au contraire, c'est pour ne les avoir point lus qu'ils croient qu'il y a dans ces livres de mauvaises choses qui n'y sont point, et qu'ils ne croient point que les bonnes choses qui y sont y soient en effet.

25. Car ceux qui les ont lus en pensent tout autrement, et le disent lorsqu'ils sont de bonne foi.

26. Toutefois ce peuple est bon naturellement; mais on le trompe, et il ne voit qu'on lui fait défendre la cause de Dieu avec les armes de Satan.

27. Tirons-les de la mauvaise foi où on les mène, et ôtons cette pierre d'achoppement de devant leurs pieds.

CHAPITRE II.

1. Va donc, et parle à ton frère errant Jean-Jacques, et lui adresse en mon nom ces paroles. Ainsi a dit la voix de la part de l'esprit :

2. Mon fils, Jean-Jacques, tu t'égares dans tes idées. Reviens à toi, sois docile, et reçois mes paroles de correction.

3. Tu crois en Dieu puissant, intelligent, bon, juste, et rémunérateur; et en cela tu fais bien.

4. Tu crois en Jésus son fils, son Christ, et en sa parole; et en cela tu fais bien.

5. Tu suis de tout ton pouvoir les préceptes du saint évangile; et en cela tu fais bien.

6. Tu aimes les hommes comme ton prochain, et les chrétiens comme tes frères; tu fais le bien quand tu peux, et ne fais jamais de mal à personne que pour ta défense et celle de la justice.

7. Fondé sur l'expérience, tu attends peu d'équité de la part des hommes, mais tu mets ton espoir dans l'autre vie, qui te dédommagera des misères de celle-ci ; et en tout cela tu fais bien.

8. Je connais tes œuvres : j'aime les bonnes; ton cœur et ma clémence effaceront les mauvaises. Mais une chose me déplaît en toi;

9. Tu t'obstines à rejeter les miracles: et que t'importent les miracles? puisqu'au surplus tu crois à la loi sans eux, n'en parle point, et ne scandalise plus les faibles.

10. Et lorsque toi, Pierre Duval, dit Pierrot des dames, auras dit ces paroles à ton frère errant Jean-Jacques, il sera saisi d'é

tonnement.

11. Et voyant que toi, qui es un brutal et un stupide, tu lui parles raisonnablement et honnêtement, il sera frappé de ce prodige, et il reconnaîtra le doigt de Dieu;

12. Et, se prosternant en terre, il dira: Voilà mon frère Pierrot des dames qui prononce des discours sensés et honnêtes; mon incrédulité se rend à ce signe évident. Je crois aux miracles, car aucun n'est plus grand que celui-là.

13. Et tout le Val-de-Travers, témoin de ce double prodige, entonnera des cantiques d'allégresse; et l'on criera de toutes parts dans les six communautés: Jean-Jacques croit aux miracles, et des discours sensés sortent de la bouche de Pierrot des dames: le Tout-Puissant se montre à ses œuvres; que son saint nom soit béni.

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