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ter à la longue sur le corps législatif; et quand la loi est enfin soumise aux hommes, il ne reste que des esclaves et des maîtres; l'état est détruit.

Avant cette destruction, le gouvernement doit, par son progrès naturel, changer de forme et passer par degrés du grand nombre au moindre.

Les diverses formes dont le gouvernement est susceptible se réduisent à trois principales. Après les avoir comparées par leurs avantages et par leurs inconvéniens, je donne la préférence à celle qui est intermédiaire entre les deux extrêmes, et qui porte le nom d'aristocratie. On doit se souvenir ici que la constitution de l'état et celle du gouvernement sont deux choses trèsdistinctes, et que je ne les ai pas confondues. Le meilleur des gouvernemens est l'aristocratique; la pire des souverainetés est l'aristocratique.

Ces discussions en amènent d'autres sur la manière dont le gouvernement dégénère, et sur les moyens de retarder la destruction du corps politique.

Enfin, dans le dernier livre, j'examine, par voie de comparaison avec le meilleur gouvernement qui ait existé, savoir celui de Rome, la police la plus favorable à la bonne constitution de l'état; puis je termine ce livre et tout l'ouvrage par des recherches sur la manière dont la religion peut et doit entrer comme partie constitutive dans la composition du corps politique.

Que pensiez-vous, monsieur, en lisant cette analyse courte et fidèle de mon livre? Je le devine. Vous disiez en vous-même : Voilà l'histoire du gouvernement de Genève. C'est ce qu'ont dit à la lecture du même ouvrage tous ceux qui connaissent votre constitution.

Et en effet, ce contrat primitif, cette essence de la souveraineté, cet empire des lois, cette institution du gouvernement, cette maniere de le resserrer à divers degrés pour compenser l'autorité par la force, cette tendance à l'usurpation, ces assemblées périodiques, cette adresse à les ôter, cette destruction prochaine, enfin, qui vous menace et que je voulais prévenir, n'est-ce pas trait pour trait l'image de votre république, depuis sa naissance jusqu'à ce jour?

J'ai donc pris votre constitution, que je trouvais belle, pour modèle des institutions politiques; et vous proposant en exemple à l'Europe, loin de chercher à vous détruire, j'exposais les moyens de vous conserver. Cette constitution, toute bonne qu'elle est, n'est pas sans défaut; on pouvait prévenir les altérations qu'elle a souffertes, la garantir du danger qu'elle court aujourd'hui. J'ai prévu ce danger, je l'ai fait entendre, j'indiquais des préservatifs : était-ce la vouloir détruire, que de montrer ce qu'il fallait faire pour la maintenir? C'était par mon attachement pour elle que j'aurais voulu que rien ne pût l'altérer. Voilà tout mon crime:

j'avais tort, peut-être ; mais si l'amour de la patrie m'aveugla sur cet article, était-ce à elle de m'en punir?

Comment pouvais-je tendre à renverser tous les gouvernemens, en posant en principes tous ceux du vôtre? Le fait seul détruit l'accusation. Puisqu'il y avait un gouvernement existant sur mon modèle, je ne tendais donc pas à détruire tous ceux qui existaient. Eh! monsieur, si je n'avais fait qu'un systême, vous êtes bien sûr qu'on n'aurait rien dit on se fût contenté de reléguer le Contrat social, avec la République de Platon, l'Utopie et les Sévarambes, dans le pays des chimères. Mais je peignais un objet existant, et l'on voulait que cet objet changeât de face. Mon livre portait témoignage contre l'attentat qu'on allait faire : voilà ce qu'on ne m'a pas pardonné.

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Mais voici qui vous paraîtra bizarre. Mon livre attaque tous les gouvernemens, et il n'est proscrit dans aucun! Il en établit un seul, il le propose en exemple, et c'est dans celui-là qu'il est brûlé! N'est-il pas singulier que les gouvernemens attaqués se taisent, et que le gouvernement respecté sévisse? Quoi! le magistrat de Genève se fait le protecteur des autres gouvernemens contre le sien même ! Il punit son propre citoyen d'avoir préféré les lois de son pays à toutes les autres ! Cela est-il concevable? et le croiriez-vous si vous ne l'eussiez vu? Dans tout le reste de l'Europe quelqu'un s'est-il avisé de flétrir l'ouvrage ? non, pas même l'état où il a été imprimé (2); pas même la France, où les magistrats sont là-dessus si sévères. Y a-t-on défendu le livre ? rien de semblable: on n'a pas laissé d'abord entrer l'édition de Hollande; mais on l'a contrefaite en France, et l'ouvrage y court sans difficulté. C'était donc une affaire de commerce et non de police on préférait le profit du libraire de France au profit du libraire étranger: voilà tout.

Le Contrat social n'a été brûlé nulle part qu'à Genève, où il n'a pas été imprimé ; le seul magistrat de Genève y a trouvé des principes destructifs de tous les gouvernemens. A la vérité, ce magistrat n'a point dit quels étaient ces principes; en cela je crois qu'il a fort prudemment fait.

L'effet des défenses indiscrètes est de n'être point observées, et d'énerver la force de l'autorité. Mon livre est dans les mains de tout le monde à Genève, et que n'est-il également dans tous les cœurs! Lisez-le monsieur, ce livre si décrié, mais si nécessaire; vous y verrez partout la loi mise au dessus des hommes; vous y verrez partout la liberté réclamée, mais toujours sous l'autorité des lois, sans lesquelles la liberté ne peut exister, et sous lesquelles on est toujours libre, de quelque façon qu'on soit gouverné. Par-là je ne fais pas, dit-on, ma cour aux puissances: tan pis pour elles; car je fais leurs vrais intérêts, si elles savaient

(2) Dans le fort des premières clameurs, causées par les procédures de Paris et de Genève, le magistrat surpris défendit les deux livres : mais, sur son propre examen ce sage magistrat a bien changé de sentiment, surtout quant au Contrat social.

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les voir et les suivre. Mais les passions aveuglent les hommes sur leur propre bien. Ceux qui soumettent les rois aux passions humaines sont les vrais destructeurs des gouvernemens : voilà les gens qu'il faudrait punir.

Les fondemens de l'état sont les mêmes dans tous les gouvernemens; et ces fondemens sont mieux posés dans mon livre que dans aucun autre. Quand il s'agit ensuite de comparer les diverses formes de gouvernement, on ne peut éviter de peser séparément les avantages et les inconvéniens de chacun : c'est ce que je crois avoir fait avec impartialité. Tout balancé, j'ai donné la préférence au gouvernement de mon pays. Cela était naturel et raisonnable; on m'aurait blâmé si je ne l'eusse pas fait. Mais je n'ai point donné d'exclusion aux autres gouvernemens; au contraire, j'ai montré que chacun avait sa raison qui pouvait le rendre préférable à tout autre, selon les hommes, les temps et les lieux. Ainsi, loin de détruire tous les gouvernemens, je les ai tous établis. En parlant du gouvernement monarchique en particulier, j'en ai bien fait valoir l'avantage, et je n'en ai pas non plus déguisé les défauts. Cela est, je pense, du droit d'un homme qui raisonne ; et quand je lui aurais donné l'exclusion, ce qu'assurément je n'ai pas fait, s'ensuivrait-il qu'on dût m'en punir à Genève? Hobbes a-t-il été décrété dans quelque monarchie, parce que ses principes sont destructifs de tout gouvernement républicain? et fait-on le procès chez les rois aux auteurs qui rejettent et dépriment les républiques? Le droit n'est-il pas réciproque? et les républicains ne sont-ils pas souverains dans leur pays comme les rois le sont dans le leur? Pour moi, je n'ai rejeté aucun gouvernement, je n'en ai méprisé aucun. En les examinant, en les comparant, j'ai tenu la balance, et j'ai calculé les poids: je n'ai rien fait de plus.

On ne doit punir la raison nulle part, ni même le raisonnement; cette punition prouverait trop contre ceux qui l'imposeraient. Les représentans ont très-bien établi que mon livre, où je ne sors pas de la thèse générale, n'attaquant point le gouvernement de Genève, et imprimé hors du territoire, ne peut être considéré que dans le nombre de ceux qui traitent du droit naturel et politique, sur lesquels les lois ne donnent au conseil aucun pouvoir, et qui se sont toujours vendus publiquement dans la ville, quelque principe qu'on y avance, et quelque sentiment qu'on y soutienne. Je ne suis pas le seul qui, discutant par abstraction des questions de politique, ait pu les traiter avec quelque hardiesse chacun ne le fait pas, mais tout homme a droit de le faire; plusieurs usent de ce droit, et je suis le seul qu'on punisse pour en avoir usé. L'infortuné Sidney pensait comme moi, mais il agissait ; c'est pour son fait, et non pour son livre, qu'il eut l'honneur de verser son sang. Althusius, en Allemagne, s'attira des ennemis, mais on ne s'avisa pas de le poursuivre criminellement. Locke, Montesquieu, l'abbé de Saint-Pierre, ont traité les mêmes matières, et souvent avec la même liberté tout

au moins. Locke en particulier les a traitées exactement dans les mêmes principes que moi. Tous trois sont nés sous des rois ont vécu tranquilles, et sont morts honorés dans leurs pays. Vous savez comment j'ai été traité dans le mien.

Aussi soyez sûr que, loin de rougir de ces flétrissures, je m'en glorifie, puisqu'elles ne servent qu'à mettre en évidence le motif qui me les attire, et que ce motif n'est que d'avoir bien mérité de mon pays. La conduite du conseil envers moi m'afflige sans doute, en rompant des nœuds qui m'étaient si chers; mais peut-elle m'avilir? Non, elle m'élève, elle me met au rang de ceux qui ont souffert pour la liberté. Mes livres, quoi qu'on fasse, porteront toujours témoignage d'eux-mêmes, et le traitement qu'ils ont reçu ne fera que sauver de l'opprobre ceux qui auront l'honneur d'être brûlés après eux.

SECONDE PARTIE.

LETTRE VII.

Vous m'aurez trouvé diffus, monsieur; mais il fallait l'être, et les sujets que j'avais à traiter ne se discutent pas par des épigrammes. D'ailleurs ces sujets m'éloignaient moins qu'il ne semble de celui qui vous intéresse. En parlant de moi, je pensais à vous; et votre question tenait si bien à la mienne, que l'une est déjà résolue avec l'autre; il ne me reste que la conséquence à tirer. Partout où l'innocence n'est pas en sûreté, rien n'y peut être; partout où les lois sont violées impunément, il n'y a plus de liberté.

Cependant comme on peut séparer l'intérêt d'un particulier de celui du public, vos idées sur ce point sont encore incertaines; vous persistez à vouloir que je vous aide à les fixer. Vous demandez quel est l'état présent de votre république, et ce que doivent faire ses citoyens. Il est plus aisé de répondre à la première question qu'à l'autre.

Cette première question vous embarrasse sûrement moins par elle-même que par les solutions contradictoires qu'on lui donne autour de vous. Des gens de très bon sens vous disent, Nous sommes le plus libre de tous les peuples; et d'autres gens de trèsbon sens vous disent, Nous vivons sous le plus dur esclavage. Lesquels ont raison, me demandez-vous? Tous, monsieur; mais à différens égards: une distinction très-simple les concilie. Rien n'est plus libre que votre état légitime; rien n'est plus servile que votre état actuel.

Vos lois ne tiennent leur autorité que de vous; vous ne reconnaissez que celles que vous faites; vous ne payez que les droits que vous imposez; vous élisez les chefs qui vous gouvernent; ils n'ont

droit de vous juger que par des formes prescrites. En conseil général vous êtes législateurs, souverains, indépendans de toute puissance humaine; vous ratifiez les traités, vous décidez de la paix et de la guerre; vos magistrats eux-mêmes vous traitent de magnifiques, très-honorés et souverains seigneurs : voilà votre liberté. Voici votre servitude.

Le corps chargé de l'exécution de vos lois en est l'interprète et l'arbitre suprême; il les fait parler comme il lui plaît ; il peut les faire taire; il peut même les violer sans que vous puissiez y mettre ordre; il est au-dessus des lois.

Les chefs que vous élisez ont, indépendamment de votre choix, d'autres pouvoirs qu'ils ne tiennent pas de vous, et qu'ils étendent aux dépens de ceux qu'ils en tiennent. Limités dans vos élections à un petit nombre d'hommes, tous dans les mêmes principes et tous animés du même intérêt, vous faites avec un grand appareil un choix de peu d'importance. Ce qui importerait dans cette affaire serait de pouvoir rejeter tous ceux entre lesquels on vous force de choisir. Dans une élection libre en apparence, vous

êtes si gênés de toutes parts, que vous ne pouvez pas même élire un premier syndic ni un syndic de la garde : le chef de la répu— blique et le commandant de la place ne sont pas à votre choix.

Si l'on n'a pas le droit de mettre sur vous de nouveaux impôts, vous n'avez pas celui de rejeter les vieux. Les finances de l'état sont sur un tel pied, que, sans votre concours, elles peuvent suffire à tout. On n'a donc jamais besoin de vous ménager dans cette vue, et vos droits à cet égard se réduisent à être exempts en partie, et à n'être jamais nécessaires.

Les procédures qu'on doit suivre en vous jugeant sont prescrites; mais quand le conseil veut ne les pas suivre, personne ne peut l'y contraindre, ni l'obliger à réparer les irrégularités qu'il commet. Là-dessus je suis qualifié pour faire preuve, et vous savez si je suis le seul.

En conseil général votre souveraine puissance est enchaînée : vous ne pouvez agir que quand il plaît à vos magistrats, ni parler que quand ils vous interrogent. Š'ils veulent même ne point assembler de conseil général, votre autorité, votre existence est anéantie, sans que vous puissiez leur opposer que de vains murmures qu'ils sont en possession de mépriser.

Enfin, si vous êtes souverains seigneurs dans l'assemblée, en sortant de là vous n'êtes plus rien. Quatre heures par an souverains subordonnés, vous êtes sujets le reste de la vie, et livrés sans réserve à la discrétion d'autrui.

Il vous est arrivé, messieurs, ce qu'il arrive à tous les gouvernemens semblables au vôtre. D'abord la puissance législative et la puissance exécutive qui constituent la souveraineté n'en sont pas distinctes. Le peuple souverain veut par lui-même, et par lui-même il fait ce qu'il veut. Bientôt l'incommodité de ce concours de tous à toute chose force le peuple souverain de charger quelques-uns de ses membres d'exécuter ses volontés. Ces officiers,

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