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juges de la doctrine. C'est un autre corps qu'il a chargé de ce soin, et c'est ce corps qu'ils doivent consulter sur toutes les matières de religion, comme ils ont toujours fait depuis que votre gouvernement existe. En cas de délit en ces matières, deux tribunaux sont établis, l'un pour le constater, et l'autre pour le punir; cela est évident par les termes de l'ordonnance: nous y reviendrons ci-après.

Suivent les imputations ci-devant examinées, et que, par cette raison, je ne répéterai pas: mais je ne puis m'abstenir de transcrire ici l'article qui les termine; il est curieux.

Il est vrai que M. Rousseau et ses partisans prétendent que ces doutes n'attaquent point réellement le christianisme, qu'à cela près il continue d'appeler divin. Mais si un livre, caractérisé comme l'évangile l'est dans les ouvrages de M. Rousseau, peut encore être appelé divin, qu'on me dise quel est donc le nouveau sens attaché à ce terme. En vérité, si c'est une contradiction, elle est choquante; si c'est une plaisanterie, convenez qu'elle est bien déplacée dans un pareil sujet (7).

J'entends. Le culte spirituel, la pureté du cœur, les œuvres de miséricorde, la confiance, l'humilité, la résignation, la tolérance, l'oubli des injures, le pardon des ennemis, l'amour du prochain, la fraternité universelle, et l'union du genre humain par la charité, sont autant d'inventions du diable. Serait-ce là le sentiment de l'auteur et de ses amis? On le dirait à leurs raisonnemens et surtout à leurs œuvres. En vérité, si c'est une contradiction, elle est choquante; si c'est une plaisanterie, convenez qu'elle est bien déplacée dans un pareil sujet.

Ajoutez que la plaisanterie sur un pareil sujet est si fort du goût de ces messieurs, que, selon leurs propres maximes, elle eût dû, si je l'avais faite, me faire trouver grace devant eux (8).

Aprés l'exposition de mes crimes, écoutez les raisons pour lesquelles on a si cruellement renchéri sur la rigueur de la loi dans la poursuite du criminel.

Ces deux livres paraissent sous le nom d'un citoyen de Genève. L'Europe en témoigne son scandale. Le premier parlement d'un royaume voisin poursuit Emile et son auteur. Que fera le gouvernement de Genève?

Arrêtons un moment. Je crois apercevoir ici quelque mensonge.

Selon notre auteur, le scandale de l'Europe força le conseil de Genève de sévir contre le livre et l'auteur d'Emile, à l'exemple du parlement de Paris: mais, au contraire, ce furent les décrets de ces deux tribunaux qui causèrent le scandale de l'Europe. Il y avait peu de jours que le livre était public à Paris, lorsque le parlement le condamna (9); il ne paraissait encore en nul autre pays, pas même en Hollande où il était imprimé; et il n'y eut, (7) Page 11.

(8) Page 23.

(9) C'était un arrangement pris avant que le livre parût.

entre le décret du parlement de Paris et celui du conseil de Genève, que neuf jours d'intervalle (10) ; le temps à peu près qu'il fallait pour avoir avis de ce qui se passait à Paris. Le vacarme affreux qui fut fait en Suisse sur cette affaire, mon expulsion de chez mon ami, les tentatives faites à Neufchatel, et même à la cour, pour m'ôter mon dernier asile, tout cela vint de Genève et des environs, après le décret. On sait quels furent les instigateurs, on sait quels furent les émissaires, leur activité fut sans exemple; il ne tint pas à eux qu'on ne m'ôtât le feu et l'eau dans l'Europe entière, qu'il ne me restât pas une terre pour lit, pas une pierre pour chevet. Ne transposons donc point ainsi les choses, et ne donnons point, pour motif du décret de Genève, le scandale qui en fut l'effet.

Le premier parlement d'un royaume voisin poursuit Emile et son auteur. Que fera le gouvernement de Genève?

ou

La réponse est simple. Il ne fera rien, il ne doit rien faire, plutôt il doit ne rien faire. Il renverserait tout ordre judiciaire, il braverait le parlement de Paris, il lui disputerait la compétence en l'imitant. C'était précisément parce que j'étais décrété à Paris que je ne pouvais l'être à Genève. Le délit d'un criminel a certainement un lieu, et un lieu unique; il ne peut pas plus être coupable à la fois du même délit en deux états, qu'il ne peut être en deux lieux dans le même temps; et s'il veut purger deux décrets, comment voulez-vous qu'il se partage? En effet, avez-vous jamais ouï dire qu'on ait décrété le même homme en deux pays à la fois pour le même fait? C'en est ici le premier exemple, et probablement ce sera le dernier. J'aurai, dans mes malheurs, le triste honneur d'être à tous égards un exemple unique.

les

Les crimes les plus atroces, les assassinats même, ne sont pas et ne doivent pas être poursuivis par-devant d'autres tribunaux que ceux des lieux où ils ont été commis. Si un Genevois tuait un homme, même un autre Genevois, en pays étranger, le conseil de Genève ne pourrait s'attribuer la connaissance de ce crime: il pourrait livrer le coupable s'il était réclamé, il pourrait en solliciter le châtiment; mais, à moins qu'on ne lui remît volontairement le jugement avec les pièces de la procédure, il ne le jugerait pas, parce qu'il ne lui appartient pas de connaître d'un délit commis chez un autre souverain, et qu'il ne peut pas même ordonner les informations nécessaires pour le constater. Voilà la règle, et voilà la réponse à la question: Que fera le gouvernement de Genève? Ce sont ici les plus simples notions du droit public, qu'il serait honteux au dernier magistrat d'ignorer. Faudra-t-il toujours que j'enseigne à mes dépens les élémens de la jurisprudence à mes juges?

Il devait, suivant les auteurs des représentations, se borner à

(10) Le décret du parlement fut donné le 9 juin, et celui du conseil le 19.

défendre provisionnellement le débit dans la ville (11). C'est en effet tout ce qu'il pouvait légitimement faire pour contenter son animosité; c'est ce qu'il avait déjà fait pour la Nouvelle Héloïse : mais voyant que le parlement de Paris ne disait rien, et qu'on ne faisait nulle part une semblable défense, il en eut honte, et la retira tout doucement (12). Mais une improbation si faible n'aurait-elle pas été taxée de secrète connivence? Mais il y a longtemps que, pour d'autres écrits beaucoup moins tolérables, on taxe le conseil de Genève d'une connivence assez peu secrète, sans qu'il se mette fort en peine de ce jugement. Personne, dit-on, n'aurait pu se scandaliser de la modération dont on aurait usé. Le cri public vous apprend combien on est scandalisé du contraire. De bonne foi, s'il s'était agi d'un homme aussi désagréable au public que monsieur Rousseau lui était cher, ce qu'on appelle modération n'aurait-il pas été taxé d'indifference, de tiedeur impardonnable? Ce n'aurait pas été un si grand mal que cela, et l'on ne donne pas des noms si honnêtes à la dureté qu'on exerce envers moi pour mes écrits, ni au support que l'on prête à ceux d'un autre.

En continuant de me supposer coupable, supposons de plus que le conseil de Genève avait droit de me punir, que la procédure eût été conforme à la loi, et que cependant, sans vouloir même censurer mes livres, il m'eût reçu paisiblement arrivant de Paris; qu'auraient dit les honnêtes gens? le voici.

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<< Ils ont fermé les yeux, ils le devaient. Que pouvaient-ils » faire? User de rigueur en cette occasion eût été barbarie, gratitude, injustice même, puisque la véritable justice com>> pense le mal par le bien. Le coupable a tendrement aimé sa patrie; il en a bien mérité; il l'a honorée dans l'Europe; et » tandis que ses compatriotes avaient honte du nom genevois, » il en a fait gloire, il l'a réhabilité chez l'étranger. Il a donné >> ci-devant des conseils utiles; il voulait le bien public; il s'est trompé, mais il était pardonnable. Il a fait les plus grands éloges des magistrats, il cherchait à leur rendre la confiance » de la bourgeoisie; il a défendu la religion des ministres, il méritait quelque retour de la part de tous. Et de quel front eus» sent-ils osé sévir, pour quelques erreurs, contre le défenseur de » la Divinité, contre l'apologiste de la religion si généralement >> attaquée, tandis qu'ils toléraient, qu'ils permettaient même les » écrits les plus odieux, les plus indécens, les plus insultans au christianisme, aux bonnes mœurs, les plus destructifs de toute vertu, >> de toute morale, ceux même que Rousseau a cru devoir réfuter? » On eût cherché les motifs secrets d'une partialité si choquante; » on les eût trouvés dans le zèle de l'accusé pour la liberté, et >> dans les projets des juges pour la détruire. Rousseau eût passé

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(11) Page 12.

(12) Il faut convenir que si l'Émile doit être défendu, l'Héloïse doit

être tout au moins brûlée. Les notes surtout en sont d'une hardiesse dont la profession de foi du vicaire n'approche assurément pas.

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» pour le martyr des lois de sa patrie. Ses persécuteurs, en pre»nant en cette seule occasion le masque de l'hypocrisie, eussen t été taxés de se jouer de la religion, d'en faire l'arme de leur » vengeance et l'instrument de leur haine. Enfin, par cet empressement de punir un homme dont l'amour pour sa patrie est » le plus grand crime, ils n'eussent fait que se rendre odieux aux gens de bien, suspects à la bourgeoisie et méprisables aux étrangers. » Voilà, monsieur, ce qu'on aurait pu dire; voilà tout le risque qu'aurait couru le conseil dans le cas supposé du délit, en s'abstenant d'en connaître.

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Quelqu'un a eu raison de dire qu'il fallait brûler l'évangile ou les livres de M. Rousseau.

La commode méthode que suivent toujours ces messieurs contre moi! S'il leur faut des preuves, ils multiplient les assertions; et s'il leur faut des témoignages, ils font parler des quidams.

La sentence de celui-ci n'a qu'un sens qui ne soit pas extravagant, et ce sens est un blaspheme.

Car quel blasphême n'est-ce pas de supposer l'évangile et le recueil de mes livres si semblables dans leurs maximes qu'ils se suppléent mutuellement, et qu'on en puisse indifféremment brûler un comme superflu, pourvu que l'on conserve l'autre? Sans doute, j'ai suivi du plus près que j'ai pu la doctrine de l'évangile; je l'ai aimée, je l'ai adoptée, étendue, expliquée, sans m'arrêter aux obscurités, aux difficultés, aux mystères, sans me détourner de l'essentiel : je m'y suis attaché avec tout le zèle de mon cœur; je me suis indigné, récrié de voir cette sainte doctrine ainsi profanée, avilie, par nos prétendus chrétiens, et surtout par ceux qui font profession de nous en instruire. J'ose même croire, et je m'en vante, qu'aucun d'eux ne parla plus dignement que moi du vrai christianisme et de son auteur. J'ai là-dessus le témoignage, l'applaudissement même de mes adversaires, non de ceux de Genève, à la vérité, mais de ceux dont la haine n'est point une rage, et à qui la passion n'a point ôté tout sentiment d'équité. Voilà ce qui est vrai; voilà ce que prouvent et ma Ré

au roi de Pologne, et ma Lettre à M. d'Alembert, et l'Héloïse, et l'Émile, et tous mes écrits, qui respirent le même amour pour l'évangile, la même vénération pour Jésus-Christ. Mais qu'il s'ensuive de là qu'en rien je puisse approcher de mon maître, et que mes livres puissent suppléer à ses leçons, c'est ce qui est faux, absurde, abominable; je déteste ce blasphême, et désavoue cette témérité. Rien ne peut se comparer à l'évangile; mais sa sublime simplicité n'est pas également à la portée de tout le monde. Il faut quelquefois, pour l'y mettre, l'exposer sous bien des jours. Il faut conserver ce livre sacré comme la règle du maître, et les miens comme les commentaires de l'écolier.

J'ai traité jusqu'ici la question d'une manière un peu générale; rapprochons-la maintenant des faits, par le parallèle des procédures de 1563 et de 1762, et des raisons qu'on donne de leurs

différences. Comme c'est ici le point décisif par rapport à moi, je ne puis, sans négliger ma cause, vous épargner ces détails peut-être ingrats en eux-mêmes, mais intéressans, à bien des égards, , pour vous et pour vos concitoyens. C'est une autre discussion, qui ne peut être interrompue, et qui tiendra seule une longue lettre. Mais, monsieur, encore un peu de courage; ce sera la dernière de cette espèce dans laquelle je vous entretiendrai de moi.

LETTRE V.

APRÈS avoir établi, comme vous avez vu, la nécessité de sévir contre moi, l'auteur des Lettres prouve, comme vous allez voir, que la procédure faite contre Jean Morelli, quoiqu'exactement conforme à l'ordonnance, et dans un cas semblable au mien, n'était point un exemple à suivre à mon égard; attendu, premièrement, que le conseil, étant au-dessus de l'ordonnance, n'est point obligé de s'y conformer; que d'ailleurs mon crime, étant plus grave que le délit de Morelli, devait être traité plus sévèrement. A ces preuves l'auteur ajoute qu'il n'est pas vrai qu'on m'ait jugé sans m'entendre, puisqu'il suffisait d'entendre le livre même; et que la flétrissure du livre ne tombe en aucune façon sur l'auteur; qu'enfin les ouvrages qu'on reproche au conseil d'avoir tolérés sont innocens et tolérables en comparaison des miens.

Quant au premier article, vous aurez peut-être peine à croire qu'on ait ose mettre sans façon le petit conseil au-dessus des lois. Je ne connais rien de plus sûr pour vous en convaincre, que de vous transcrire le passage où ce principe est établi; et, de peur de changer le sens de ce passage en le tronquant, je le transcrirai

tout entier.

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(1) L'ordonnance a-t-elle voulu lier les mains à la puissance civile, et l'obliger à ne réprimer aucun délit contre la religion, qu'après que le consistoire en aurait connu? Si cela » était, il en résulterait qu'on pourrait impunément écrire » contre la religion, que le gouvernement serait dans l'impuissance de réprimer cette licence, et de flétrir aucun livre de » cette espèce; car si l'ordonnance veut que le délinquant pa» raisse d'abord au consistoire, l'ordonnance ne prescrit pas » moins que, s'il se range, on le supporte sans diffame. Ainsi, quel qu'ait été son délit contre la religion, l'accusé, en fai»sant semblant de se ranger, pourra toujours échapper; et » celui qui aurait diffamé la religion par toute la terre, au » moyen d'un repentir simulé, devrait être supporté sans diffame. Ceux qui connaissent l'esprit de sévérité, pour ne rien » dire de plus, qui régnait lorsque l'ordonnance fut compilée, pourront-ils croire que ce soit là le sens de l'article 88 de >> l'ordonnance?

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(1) Page 4.

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