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d'avoir nié les miracles, qui ne sont pas même niés dans cet écrit? Je n'en ai pas parlé ailleurs (31).

Quoi! parce que l'auteur d'un écrit publié par un autre y introduit un raisonneur qu'il désaprouve (32), et qui, dans une dispute, rejette les miracles, il s'ensuit de là que non-seulement l'auteur de cet écrit, mais l'éditeur, rejette aussi les miracles? Quel tissu de témérités! Qu'on se permette de telles présomptions dans la chaleur d'une querelle littéraire, cela est très-blamable et trop commun: mais les prendre pour des preuves dans les tribunaux, voilà une jurisprudence à faire trembler l'homme le plus juste et le plus ferme, qui a le malheur de vivre sous de pareils magistrats.

L'auteur de la profession de foi fait des objections tant sur l'utilité que sur la réalité des miracles, mais ces objections ne sont point des négations. Voici là-dessus ce qu'il dit de plus fort: « C'est l'ordre inaltérable de la nature qui montre le » mieux l'Être suprême. S'il arrivait beaucoup d'exceptions, je ne saurais plus qu'en penser; et pour moi je crois trop » en Dieu pour croire à tant de miracles si peu dignes de lui.

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Or, je vous prie, qu'est-ce que cela dit? Qu'une trop grande multitude de miracles les rendrait suspects à l'auteur; qu'il n'admet point indistinctement toute sorte de miracles et que sa foi en Dieu lui fait rejeter tous ceux qui ne sont pas dignes de Dieu. Quoi donc! celui qui n'admet pas tous les miracles, rejette-t-il tous les miracles? et faut-il croire à tous ceux de la légende, pour croire l'ascension de Christ?

Pour comble, loin que les doutes contenus dans cette seconde partie de la profession de foi puissent être pris pour des négations, les négations, au contraire, qu'elle peut contenir ne doivent être prises que pour des doutes. C'est la déclaration de l'auteur en la commençant, sur les sentimens qu'il va combattre Ne donnez, dit-il, à mes discours que l'autorité de la raison. J'ignore si je suis dans l'erreur. Il est difficile, quand on discute, de ne pas prendre quelquefois le ton affirmatif; mais souvenez-vous qu'ici toutes mes affirmations ne sont que des raisons de douter (33). Peut-on parler plus positivement?

Quant à moi, je vois des faits attestés dans les saintes écritures cela suffit pour arrêter sur ce point mon jugement. S'ils étaient ailleurs, je rejetterais ces faits, ou je leur ôterais le nom de miracles; mais parce qu'ils sont dans l'écriture, je ne les rejette point. Je ne les admets pas non plus, parce que ma raison s'y refuse, et que ma décision sur cet article n'intéresse point mon salut. Nul chrétien judicieux ne peut croire que tout soit inspiré dans la Bible, jusqu'aux mots et aux erreurs. Ce qu'on

(31) J'en ai parlé depuis dans ma Lettre à M. de Beaumont; mais outre qu'on n'a rien dit sur cette lettre, ce n'est pas sur ce qu'elle contient qu'on peut fonder les procédures faites avant qu'elle ait paru. (32) Emile, tome II, liv. IV.

(33) Emile, ibid.

doit croire inspiré est tout ce qui tient à nos devoirs; car pourquoi Dieu aurait-il inspiré le reste? Or la doctrine des miracles n'y tient nullement; c'est ce que je viens de prouver. Ainsi le sentiment qu'on peut avoir en cela n'a nul trait au respect qu'on doit aux livres sacrés.

D'ailleurs, il est impossible aux hommes de s'assurer que quelque fait que ce puisse être est un miracle (34); c'est encore ce que j'ai prouvé. Donc, en admettant tous les faits contenus dans la Bible, on peut rejeter les miracles sans impiété, et même sans inconséquence. Je n'ai pas été jusques-là.

Voilà comment vos messieurs tirent des miracles, qui ne sont pas certains, qui ne sont pas nécessaires, qui ne prouvent rien, et que je n'ai pas rejetés, la preuve évidente que je renverse les fondemens du christianisme, et que je ne suis pas chrétien.

L'ennui vous empêcherait de me suivre si j'entrais dans le même détail sur les autres accusations qu'ils entassent pour tâ– cher de couvrir par le nombre l'injustice de chacune en particulier. Ils m'accusent, par exemple, de rejeter la prière. Voyez le livre, et vous trouverez une prière dans l'endroit même dont il s'agit. L'homme pieux qui parle (35) ne croit pas, il est vrai, qu'il soit absolument nécessaire de demander à Dieu telle ou telle chose en particulier (36); il ne désapprouve point qu'on le fasse. Quant à moi, dit-il, je ne le fais pas, persuadé que Dieu est un bon père, qui sait mieux que ses enfans ce qui leur convient. Mais

(34) Si ces messieurs disent que cela est décidé dans l'écriture, et que je dois reconnaître pour miracle ce qu'elle me donne pour tel; je réponds que c'est ce qui est en question, et j'ajoute que ce raisonnement de leur part est un cercle vicieux. Car, puisqu'ils veulent que le miracle serve de preuve à la révélation, ils ne doivent pas employer l'autorité de la révélation pour constater le miracle.

(35) Un ministre de Genève, difficile assurément en christianisme, dans les jugemens qu'il porte du mien affirme que j'ai dit, moi J. J. Rousseau, que je ne priais pas Dieu : il l'assure en tout autant de termes, cinq ou six fois de suite, et toujours en me nommant. Je veux porter respect à l'église; mais oserais je lui demander où j'ai dit cela? Il est permis à tout barbouilleur de papier de déraisonner et bavarder tant qu'il veut; mais il n'est pas permis à un bon chrétien d'être un calomniateur public.

(36) Quand vous prierez, dit Jésus, priez ainsi. Quand on prie avec des paroles, c'est bien fait de préférer celles-là; mais je ne vois point ici l'ordre de prier avec des paroles. Une autre prière est préférable, c'est d'être disposé à tout ce que Dieu veut. Me voici, Seigneur, pour faire ta volonté. De toutes les formules, l'oraison dominicale est, sans contredit, la plus parfaite; mais ce qui est plus parfait encore est l'entière résignation aux volontés de Dieu. Non point ce que je veux, mais ce que tu veux. Que dis-je ? c'est l'oraison dominicale elle-même. Elle est tout entière dans ces paroles : Que ta volonté soit faite. Toute autre prière est superflue, et ne fait que contrarier celle-là. Que celui qui pense ainsi se trompe, cela peut etre. Mais celui qui publiquement l'accuse à cause de cela de détruire la morale chrétienne, et de n'être pas chrétien, est-il un fort bon chrétien lui-même ?

ne peut-on lui rendre aucun autre culte aussi digne de lui? Les hommages d'un cœur plein de zèle, les adorations, les louanges, la contemplation de sa grandeur, l'aveu de notre néant, la résignation à sa volonté, la soumission à ses lois, une vie pure et sainte, tout cela ne vaut-il pas bien des vœux intéressés et mercenaires? Près d'un Dieu juste, la meilleure manière de demander est de mériter d'obtenir. Les anges qui le louent autour de son trône le prient-ils ? Qu'auraient-ils à lui demander? Ce mot de prière est souvent employé dans l'écriture pour hommage, adoration; et qui fait le plus est quitte du moins. Pour moi, je ne rejette aucune des manières d'honorer Dieu; j'ai toujours approuvé qu'on se joignît à l'église qui le prie : je le fais; le prêtre savoyard le faisait lui-même (37). L'écrit si violemment attaqué est plein de tout cela. N'importe : je rejette, dit-on, la prière; je suis un impie à brûler. Me voilà jugé.

Ils disent encore que j'accuse la morale chrétienne de rendre tous nos devoirs impraticables en les outrant. La morale chrétienne est celle de l'évangile ; je n'en reconnais point d'autre, et c'est en ce sens aussi que l'entend mon accusateur, puisque c'est des imputations où celle-là se trouve comprise qu'il conclut, quelques lignes après, que c'est par dérision que j'appelle l'évangile divin (38).

Or voyez si l'on peut avancer une fausseté plus noire, et montrer une mauvaise foi plus marquée, puisque, dans le passage de mon livre où ceci se rapporte, il n'est pas même possible que j'aie voulu parler de l'évangile.

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Voici, monsieur, ce passage; il est dans le deuxième tome, liv. IV. « En n'asservissant les honnêtes femmes qu'à de >> tristes devoirs, on a banni du mariage tout ce qui pouvait le >> rendre agréable aux hommes. Faut-il s'étonner si la taciturnité qu'ils voient régner chez eux les en chasse, ou s'ils sont peu » tentés d'embrasser un état si déplaisant? A force d'outrer tous » les devoirs, le christianisme les rend impraticables et vains à sà » force d'interdire aux femmes le chant, la danse, et tous les » amusemens du monde, il les rend maussades, grondeuses, in» supportables dans leurs maisons, »>

Mais où est-ce que l'évangile interdit aux femmes le chant et la danse? où est-ce qu'il les asservit à de tristes devoirs? Tout au contraire, il y est parlé des devoirs des maris, mais il n'y est pas dit un mot de ceux des femmes. Donc on a tort de me faire dire de l'évangile ce que je n'ai dit que des jansénistes, des méthodistes, et d'autres dévots d'aujourd'hui, qui font du christianisme une religion aussi terrible et déplaisante (39), qu'elle est agréable et douce sous la véritable loi de Jésus-Christ.

(37) Émile, tome II, liv. IV.

(38) Lettres écrites de la campagne, page 11.

(59) Les premiers réformés donnèrent d'abord dans cet excès avec une dureté qui fit bien des hypocrites; et les premiers jansénistes ne manquèrent pas de les imiter en cela. Un prédicateur de Genève, appelé Henri

Je ne voudrais pas prendre le ton du père Berruyer, que je n'aime guère, et que je trouve même de très-mauvais goût; mais je ne puis m'empêcher de dire qu'une des choses qui me charment dans le caractère de Jésus n'est pas seulement la douceur des mœurs, la simplicité, mais la facilité, la grace, et même l'élé– gance. Il ne fuyait ni les plaisirs ni les fêtes, il allait aux noces, il voyait les femmes, il jouait avec les enfans, il aimait les parfums, il mangeait chez les financiers. Ses disciples ne jeûnaient point; son austérité n'était point fâcheuse. Il était à la fois indulgent et juste, doux aux faibles, et terrible aux méchans. Sa morale avait quelque chose d'attrayant, de caressant, de tendre; il avait le cœur sensible, il était homme de bonne société. Quand il n'eût pas été le plus sage des mortels, il en eût été le plus aimable.

Certains passages de saint Paul, outrés ou mal entendus, ont fait bien des fanatiques, et ces fanatiques ont souvent défiguré et déshonoré le christianisme. Si l'on s'en fût tenu à l'esprit du maître, cela ne serait pas arrivé. Qu'on m'accuse de n'être pas toujours de l'avis de saint Paul; on peut me réduire à prouver que j'ai quelquefois raison de n'en pas être, mais il ne s'ensuivra jamais de là que ce soit par dérision que je trouve l'évangile divin. Voilà pourtant comment raisonnent mes persécuteurs.

Pardon, monsieur; je vous excède ayec ces longs détails, je le sens, et je les termine: je n'en ai déjà que trop dit pour ma défense, et je m'ennuie moi-même de répondre toujours par des raisons à des accusations sans raison.

LETTRE IV.

Je vous ai fait voir, monsieur, que les imputations tirées de mes livres en preuve que j'attaquais la religion établie par les lois étaient fausses. C'est cependant sur ces imputations que j'ai été jugé coupable, et traité comme tel. Supposons maintenant que je le fusse en effet, et voyons en cet état la punition qui m'était due.

Ainsi que la vertu le vice a ses degrés (1).

Pour être coupable d'un crime, on ne l'est pas de tous. La justice consiste à mesurer exactement la peine à la faute; et l'exde la Marre, soutenait en chaire que c'était péché que d'aller à la noce plus joyeusement que Jésus-Christ n'était allé à la mort. Un curé janséniste soutenait de même que les festins des noces étaient une invention du diable. Quelqu'un lui objecta là-dessus que Jésus-Christ y avait pourtant assisté, et qu'il avait même daigné y faire son premier miracle pour prolonger la gaieté du festin. Le curé, un peu embarrassé, répondit en grondant Ce n'est pas ce qu'il fit de mieux.

(1) Racine, Phèdre, acte IV, scène II.

trême justice elle-même est une injure lorsqu'elle n'a nul égard aux considérations raisonnables qui doivent tempérer la rigueur de la loi.

Le délit supposé réel, il nous reste à chercher quelle est sa nature, et quelle procédure est prescrite en pareil cas par vos lois.

Si j'ai violé mon serment de bourgeois, comme on m'en accuse, j'ai commis un crime d'état, et la connaissance de ce crime appartient directement au conseil; cela est incontestable.

Mais si tout mon crime consiste en erreur sur la doctrine, cette erreur fût-elle même une impiété, c'est autre chose. Selon vos édits, il appartient à un autre tribunal d'en connaître en premier ressort.

Et quand même mon crime serait un crime d'état; si, pour le déclarer tel, il faut préalablement une décision sur la doctrine, ce n'est pas au conseil de la donner. C'est bien à lui de punir le crime, mais non pas de le constater. Cela est formel par vos édits, comme nous verrons ci-après.

Il s'agit d'abord de savoir si j'ai violé mon serment de bourgeois, c'est-à-dire le serment qu'ont prêté mes ancêtres quand ils ont été admis à la bourgeoisie; car pour moi, n'ayant pas habité la ville, et n'ayant fait aucune fonction de citoyen, je n'en ai point prêté le serment. Mais passons.

Dans la formule de ce serment, il n'y a que deux articles qui puissent regarder mon délit. On promet, par le premier, de vivre selon la réformation du saint évangile; et par le dernier, de ne faire, ne souffrir aucunes pratiques, machinations ou entreprises contre la réformation du saint évangile.

Or, loin d'enfreindre le premier article, je m'y suis conformé avec une fidélité et même une hardiesse qui ont peu d'exemples, professant hautement ma religion chez les catholiques, quoique j'eusse autrefois vécu dans la leur ; et l'on ne peut alléguer cet écart de mon enfance comme une infraction au serment, surtout depuis ma réunion authentique à votre église en 1754, et mon rétablissement dans mes droits de bourgeoisie, notoire à tout Genève, et dont j'ai d'ailleurs des preuves positives.

On ne saurait dire, non plus, que j'aie enfreint ce premier article par les livres condamnés, puisque je n'ai point cessé de m'y déclarer protestant. D'ailleurs, autre chose est la conduite, autre chose sont les écrits. Vivre selon la réformation, c'est professer la réformation, quoiqu'on se puisse écarter par erreur de sa doctrine dans de blâmables écrits, ou commettre d'autres péchés qui offensent Dieu, mais qui, par le seul fait, ne retranchent pas le délinquant de l'église. Cette distinction, quand on pourrait la disputer en général, est ici dans le serment même, puisqu'on y sépare en deux articles ce qui n'en pourrait faire qu'un, si la profession de la religion était incompatible avec toute en

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