Oldalképek
PDF
ePub

vertus des premiers chrétiens; et ces vertus, jointes à la perfection du gouvernement de l'Église, sont les deux dernières causes qu'il assigne aux progrès du christianisme parmi les païens. N'est-ce pas là une explication singulièrement satisfaisante? On demande comment une doctrine qui choquoit toutes les opinions, tous les préjugés régnans, a pu s'établir parmi les hommes; et on répond qu'elle s'est établie, parce qu'elle combattoit de plus tous les penchans, toutes les inclinations de l'homme. Les idolâtres ont quitté leurs dieux, à cause qu'on leur a dit de quitter encore leurs biens. Ils ont cru aux mystères de la religion chrétienne, afin d'avoir la consolation de se priver de tous les plaisirs, de vivre pauvres, humiliés, méprisés, et de mourir dans les tourmens. Voilà ce qui les a séduits. Il est clair aussi qu'ils durent être fortement attirés par tout ce qu'offroit d'attrayant pour eux le gouvernement de l'Église et sa discipline, le jeûne, la prière, les veilles, la confession publique, les longues et sévères pénitences, et l'obligation d'obéir à des pasteurs qui leur commandoient de renoncer aux spectacles, aux fêtes, à tout ce que le peuple, dans sa corruption, regardoit comme aussi nécessaire que les alimens mêmes : Panem el circenses.

Laissons ces rêveries philosophiques; et puisqu'il a fallu les rapporter, qu'elles servent au moins à nous faire concevoir l'impossibilité d'expliquer par des causes humaines le triomphe de la religion de Jésus-Christ. Et, pour comprendre encore mieux cette importante vérité, observons que si le christia

nisme n'étoit pas l'œuvre de Dieu, il n'auroit pu s'établir que de deux manières : ou par la conformité de sa doctrine avec les pensées, les désirs, les inclinations de l'homme; ou par des causes extérieures également propres à flatter ses inclinations, ses désirs, ses pensées : car il est contradictoire de supposer que l'homme, abandonné à lui-même, puisse vouloir ce qui le choque, et agir contre tous ses penchans. Or c'est pourtant ce qui auroit eu lieu, si l'établissement du christianisme n'étoit pas divin; de sorte qu'il faut nécessairement opter entre deux prodiges: un prodige de la puissance et de la bonté de Dieu, si la religion chrétienne est divine, et un prodige d'absurdité si elle ne l'est pas.

En effet le christianisme est essentiellement et en toutes choses opposé à la nature de l'homme dégradé; et sans cela comment la réformeroit-il? comment auroit-il produit les sublimes vertus que Gibbon luimême admire ?

L'homme est naturellement dominé par l'orgueil : il veut être élevé, distingué, honoré ; il aspire à commander, à être le premier partout et toujours. Le christianisme lui dit : Abaisse-toi, humilie-toi, obéis, sois le dernier.

Sa curiosité n'a point de bornes, il veut savoir, il veut juger. Le christianisme lui dit : Crois.

Il veut satisfaire ses convoitises et jouir de ce qui flatte ses sens. Le christianisme lui dit : Fais pénitence, châtie ton corps, souffre.

Voilà sans doute une doctrine opposée à tout l'homme. Qui a pu déterminer les hommes à l'em

brasser? quels dédommagemens leur offroit-elle pour les sacrifices qu'elle exigeoit d'eux? quels avantages extérieurs trouvoient-ils dans la profession du christianisme ?

L'orgueil y trouvoit la perte des dignités, des honneurs, des biens, la dérision, l'opprobre.

La raison vaine et curieuse y trouvoit, au lieu de la sagesse philosophique, si séduisante pour elle, la folie de la croix (1); au lieu de la science du siècle, une humble foi en des mystères incompréhensibles et qui heurtent le sens humain.

Enfin les sens y trouvoient tout ce qu'ils repoussent avec horreur, une vie pauvre et dure, les prisons, les chaînes, les chevalets, les bûchers, les échafauds. Transportez-vous au cirque: un chrétien affoibli déjà par les tortures qu'il a subies, paroît dans l'arène. Écoutez les cris de rage de la populace, les froides railleries des sophistes, les sarcasmes des grands. On outrage, on maudit cet homme qui va, dans un moment, être broyé sous la dent des bêtes féroces. Un mot, un seul mot peut le sauver : et ce mot, il ne le prononce pas. Dites-nous quel motif humain l'encourage à mourir d'une mort affreuse, au milieu des exécrations publiques; expliquez-nous cet étrange amour du supplice et de l'ignominie. Pour moi, je vois le martyr étendre ses bras en croix et regarder

(1) Græci sapientiam quærunt, nos autem prædicamus Christum crucifixum Judæis quidem scandalum, gentibus autem stultitiam. Ep. I ad. Corinth., I, 22, 23.

le ciel; et je ne cherche plus sur la terre l'explication de sa constance et la raison de son sacrifice.

A l'époque où le christianisme fut annoncé au monde, il n'y avoit rien, ni en lui ni hors de lui, qui ne dût porter les hommes livrés à eux-mêmes à le rejeter.

Donc le christianisme n'a pu s'établir par aucune cause humaine.

Donc le christianisme est divin dans son établissement.

La philosophie elle-même en convient, lorsqu'elle est de bonne foi; elle cède à une évidence que nul sophisme ne peut obscurcir.

L'Évangile prêché par des gens sans nom, sans étude, sans éloquence, cruellement persécutés et destitués de tous les appuis humains, ne laissa pas de s'établir en peu de temps par toute la terre. C'est un fait

que personne ne peut nier, et qui prouve que c'est l'ouvrage de Dieu (1).

Ainsi parle Bayle, et Rousseau n'étoit pas moins frappé de ce fait merveilleux.

«< Après la mort de Jésus-Christ, douze pauvres pêcheurs et artisans entreprirent d'instruire et de convertir le monde. Leur méthode étoit simple : ils prêchoient sans art, mais avec un cœur pénétré; et de tous les miracles dont Dieu honoroit leur foi, le plus frappant étoit la sainteté de leur vie. Leurs disciples

(1) Bayle, Dictionn. crit., art. Mahomet. Remarque O.

suivirent cet exemple, et le succès fut prodigieux. Les prêtres païens alarmés firent entendre aux princes que l'État étoit perdu, parce que les offrandes diminuoient. Les persécutions s'élevèrent, et les persécuteurs ne firent qu'accélérer le progrès de cette religion qu'ils vouloient étouffer. Tous les chrétiens couroient au martyre, tous les peuples couroient au baptême : l'histoire de ces premiers temps est un prodige continuel (1). »

Suivant l'énergique expression de Tertullien, le sang des martyrs étoit une semence de chrétiens (2). « Nous ne sommes que d'hier, disoit-il, et nous remplissons tout, vos cités, vos îles, vos forteresses, vos bourgades, vos conseils, vos camps mêmes, vos tribus, vos décuries, le palais, le sénat, le forum ; nous ne vous laissons que vos temples (3). » Le christianisme, dès le deuxième siècle, surpassoit en étendue l'empire romain (4): il avoit soumis également et les

(1) Réponse au roi de Pologne, p. 262.

(2) Sanguis martyrum semen est christianorum. Apolog.

(3) Hesterni sumus, et vestra omnia implevimus, urbes, insulas, castella, municipia, conciliabula, castra ipsa, tribus, decurias, palatium, senatum, forum. Sola vobis relinquimus templa. Ibid., cap. XXXVII.

(4) In quem alium universæ gentes crediderunt, nisi in Christum, qui jam venit? Cui enim et aliæ gentes crediderunt: Parthi, Medi, Elamitæ, et qui inhabitant Mesopotamiam, Armeniam, Phrygiam, Cappadociam; et incolentes Pontum, et Asiam, et Pamphiliam; immorantes Ægyptum, et regionem Africæ quæ est trans Cyrenem inhabitantes; Romani et incolæ; tunc et in Hierusalem Judæi, et cæteræ gentes: ut jam Getulorum varietates, et Maurorum multi fines; Hispaniarum omnes termini, et Galliarum diversæ nationes, et Britannorum, inaccessa Romanis loca, Christo verò TOME 4. 24

« ElőzőTovább »