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losophes qui se piquent de n'en point avoir... La science s'étend et la foi s'anéantit. Tout le monde veut enseigner à bien faire, et personne ne veut l'apprendre; nous sommes tous devenus docteurs, et nous avons cessé d'être chrétiens.

>> Non, ce n'est point avec tant d'art et d'appareil que l'Évangile s'est étendu par tout l'univers, et que sa beauté ravissante a pénétré les cœurs. Ce divin livre, le seul nécessaire à un chrétien, le plus utile de tous à quiconque même ne le seroit pas, n'a besoin que d'être médité pour porter dans l'âme l'amour de son auteur et la volonté d'accomplir ses préceptes. Jamais la vertu n'a parlé un si doux langage; jamais la plus profonde sagesse ne s'est exprimée avec tant d'énergie et de simplicité. On n'en quitte point la lecture sans se sentir meilleur qu'auparavant (1). »

On ne sauroit reconnoître plus expressément, dans la doctrine de l'Évangile, l'utilité, la beauté, la sainteté, la vérité, la profondeur, qui forment le caractère le plus certain, le plus infaillible, de la mission des envoyés divins. Donc nier la mission divine de JésusChrist, qui est venu apporter au monde la doctrine de l'Évangile, c'est nier une vérité, un fait infailliblement

certain.

«Le second caractère est dans celui des hommes choisis de Dieu pour annoncer sa parole; leur sainteté, leur véracité, leur justice, leurs mœurs pures et sans tache, leurs vertus inaccessibles aux passions

(1) Réponse au roi de Pologne. Mélanges, tom. IV, p. 268, 269.

humaines, sont, avec les qualités de l'entendement, la raison, l'esprit, le savoir, la prudence, autant d'indices respectables dont la réunion, quand rien ne s'y dément, forme une preuve complète en leur faveur, et dit qu'ils sont plus que des hommes (1). »

Ce second caractère, qui, quoique moins certain que le premier, suivant Rousseau, frappe par préférence les gens bons et droits (2), se trouve-t-il dans le christianisme? Jésus-Christ a-t-il possédé toutes les qualités dont la réunion forme une preuve complète de la mission divine? Écoutons encore le même philosophe.

« Je vous avoue que la majesté des Écritures m'étonne, la sainteté de l'Évangile parle à mon cœur. Voyez les livres des philosophes avec toute leur pompe; qu'ils sont petits près de celui-là! Se peut-il qu'un livre, à la fois si sublime et si simple, soit l'ouvrage des hommes? Se peut-il que celui dont il fait l'histoire ne soit qu'un homme lui-même? Est-ce là le ton d'un enthousiaste ou d'un ambitieux sectaire? Quelle grâce touchante dans ses instructions! Quelle douceur, quelle pureté dans ses mœurs! Quelle élévation dans ses maximes! Quelle profonde sagesse dans ses discours! Quelle présence d'esprit, quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses! Quel empire sur ses passions! Où est l'homme, où est le sage qui sait agir, souffrir et mourir sans foiblesse et sans ostentation? Quand Platon peint son juste imaginaire, couvert de

(1) Lettres écrites de la Montagne, p. 87 et 88. (2) Ibid.

tout l'opprobre du crime, et digne de tous les prix de la vertu, il peint trait pour trait Jésus-Christ: la ressemblance est si frappante que tous les Pères l'ont sentie, et qu'il n'est pas possible de s'y tromper (1). Quels préjugés, quel aveuglement ne faut-il point avoir pour oser comparer le fils de Sophronisque au fils de Marie ! quelle distance de l'un à l'autre, Socrate mourant sans douleur, sans ignominie, soutint aisément jusqu'au bout son personnage; et si cette facile mort n'eût honoré sa vie, on douteroit si Socrate, avec tout son esprit, fut autre chose qu'un sophiste. Il inventa, dit-on, la morale. D'autres avant lui l'avoient mise en pratique ; il ne fit que dire ce qu'ils avoient fait, il ne fit que mettre en leçons leurs exemples. Aristide avoit été juste avant que Socrate eût dit ce que c'étoit que justice; Léonidas étoit mort pour son pays avant que Socrate eût fait un devoir d'aimer la patrie; avant qu'il eût défini la vertu, la Grèce abondoit en hommes vertueux. Mais où Jésus avoit-il pris chez les siens cette morale élevée et pure dont lui seul a donné les leçons et l'exemple? Du sein du plus furieux fanatisme (2),

(1) La ressemblance est en effet très frappante. Méconnu, outragé, pesécuté, le juste de Platon persévère jusqu'à la mort dans la vertu, qui n'attire sur lui que des souffrances. « Ne pensez pas, ajoute Pla»ton,que ce soit moi qui le dise; mais ce seront les méchans qui » diront que ce Juste doit être battu de verges, tourmenté, chargé » de chaînes, et enfin suspendu à un gibet. » De republic., lib. II; Oper. tom. VI, pag. 215. Edit. Bipont.—Nous abandonnons ce passage au jugement du lecteur.

(2) Tous les philosophes du siècle dernier ont déclamé avec un fanatisme furieux contre les Juifs. Ce peuple les embarrasse.

la plus haute sagesse se fit entendre, et la simplicité des plus héroïques vertus honora le plus vil de tous les peuples (1). La mort de Socrate philosophant tranquillement avec ses amis est la plus douce qu'on puisse désirer, celle de Jésus expirant dans les tourmens, injurié, raillé, maudit de tout un peuple, est la plus horrible qu'on puisse craindre. Socrate prenant la coupe empoisonnée, bénit celui qui la lui présente et qui pleure; Jésus au milieu d'un supplice affreux prie pour ses bourreaux acharnées. Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu (2). »

Rien ne manque à ce tableau de ce que Rousseau exige pour former une preuve complète en faveur de l'homme choisi de Dieu pour annoncer sa parole. Voilà donc, suivant Rousseau même, une seconde preuve complète de la divinité du christianisme. Et remarquez de plus qu'il reconnoît que la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu, paroles qui n'ont aucun sens si elles ne signifient pas que Jésus est réellement Dieu. Poursuivons.

« Le troisième caractère des envoyés de Dieu est une émanation de la puissance divine qui peut interrompre et changer le cours de la nature, à la volonté de ceux qui reçoivent cette émanation. Ce caractère est sans contredit le plus brillant des trois, le plus frap

(1) Est-ce à cause qu'il rendoit seul un culte au vrai Dieu, qu'il étoit le plus vil de tous les peuples?

(2) Emile, liv. IV; tom. III, p. 40, 41, 42.

pant, le plus prompt à sauter aux yeux; celui qui, se marquant par un effet subit et sensible, semble exiger le moins d'examen et de discussion: par là ce caractère est aussi celui qui saisit spécialement le peuple, incapable de raisonnemens suivis, d'observations lentes et sûres, et en toute chose esclave de ses sens (1).

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Ce dernier caractère est équivoque selon Rousseau, qui ne veut pas qu'on puisse être pleinement certain de la réalité d'un miracle. Cependant, quelque équivoque que soit ce caractère à ses yeux, il ne l'est pas jusqu'au point de lui ôter toute force de preuve. « La >> bonté divine, dit-il, se prête aux foiblesses du vul» gaire (2), et veut bien lui donner des preuves qui >> fassent pour lui (3). » Il est à croire que des preuves que Dieu donne ont bien quelque poids. Mais ce qui peut paroître assez singulier, c'est que Rousseau lui-même, qui conteste ici la possibilité de s'assurer d'aucun miracle, parle ailleurs, sans la moindre apparence d'hésitation, de tous les miracles dont Dieu honoroit la foi des apôtres (4). Au reste, quelle que fût à cet égard sa croyance réelle, nous avons prouvé qu'il falloit abjurer le sens commun et renoncer complètement à la raison humaine, pour nier que les œuvres de Jésus fussent de vrais miracles. Ainsi, des trois carac

(1) Lettres écrites de la Montagne., p. 88.

(2) Que cette pitié philosophique est touchante! avec quelle modeste naïveté le sage s'élève au-dessus du vulgaire, et se déclare exempt de ses foiblesses!

(3) Lettres écrites de la Montagne, p. 89.

(4) Réponse au roi de Pologne. Mélanges, tom. IV, p. 262.

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