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Boismont, on compte 3215 hommes, et 1380 femmes seulement, c'est-à-dire un tiers environ. M. Devergie, dans son relevé de la Statistique décennale de la Morgue, de 1834 à 1846, admet une proportion plus faible encore. Suivant lui, le suicide à Paris serait quatre fois et demie plus fréquent chez les individus du sexe masculin que chez ceux du sexe féminin. Cette opinion est aussi celle de M.. Lélut. En tout cas, il est constant que la différence est très-grande, et cela nous semble s'expliquer très-bien par deux causes principales: il y a plus de vie morale chez les femmes, plus de croyance religieuse. Il y a en même temps moins de ce courage physique nécessaire pour vaincre, dans un moment de décision suprême, les dernières révoltes de la nature.

La mort volontaire est rare chez les enfants,.ce qui se comprend, puisqu'elle est ordinairement l'effet d'une passion poussée à bout et d'une décision énergique. On en trouve pourtant des exemples qui s'expliquent, presque tous, par le développement précoce d'une sensibilité irritable. Saint Augustin nous parle, dans ses Confessions, d'un enfant à la mamelle qui ne pouvait voir sa nourrice donner le sein à un autre enfant, sans entrer dans une violente colère, au point d'en avoir des convulsions. Supposez cet enfant, quelques années après, excité par des préférences

qui ne seraient pas pour lui, et la jalousie pourra l'amener au suicide. Notre civilisation. hâtive contribue puissamment à développer avant l'âge ces susceptibilités. orgueilleuses et jalouses. Cette tendance au suicide, chez les enfants, a sensiblement augmenté dans ces dernières années, et surtout à Paris. Si vous donnez à ces petits êtres des habitudes et des idées qui ne sont pas de l'enfance, vous les exposez à concevoir des passions et à imaginer des actes hors de toute proportion avec leur âge. Il y a là, pour les parents, matière à de bien sérieuses réflexions.

La proportion des suicides chez les vieillards est relativement plus élevée que chez les adultes, si l'on tient compte des populations respectives de ces deux séries. Ce fait en révèle un autre, c'est que si le vieillard, à mesure qu'il avance dans la vie, s'y attache davantage, comme on l'a si souvent observé, en revanche les ennuis, les déceptions, la misère s'accroissent dans cet âge triste et glacé, auquel manque cette dernière ressource de la douleur, l'espérance. Il y a, à la fois, pour le vieillard, plus de raisons que jamais de tenir à la vie, s'il est heureux, puisqu'il n'a plus longtemps à en jouir, mais aussi plus de raisons de la quitter, s'il souffre, puisque pour lui l'avenir n'existe pas. Ce n'est pas là une contradiction, ce sont deux faces de la même vérité.

L'influence du célibat est considérable, et cela se conçoit, puisque dans cet état on se considère comme plus libre de disposer de soi-même. Le sentiment de l'inutilité de l'existence est pour beaucoup dans la résolution du suicide. Se sentir nécessaire à quelqu'un, c'est une responsabilité de plus, et bien des hommes même dépravés n'y sont pas insensibles. C'est là un des bienfaits de la famille; elle impose des devoirs nouveaux, et ce sont autant de liens qui rattachent à la vie une âme révoltée contre elle.

La misère est sans doute, bien souvent, une cause prédisposante. Elle n'intervient, cependant, comme circonstance accessoire ou principale, que dans le tiers des cas relevés par M. de Boismont. Sur les 4595 faits étudiés, 697 individus (le sixième environ) étaient dans de bonnes conditions de fortune; 2000 gagnaient leur vie par le travail. Dans la troisième catégorie, plusieurs conservaient encore quelque argent, mais étaient sur le bord du précipice. Tous les autres étaient plus ou moins malheureux; sur ce nombre, 282 paraissent s'être donné la mort par suite de leur profonde misère.

Une étude très-curieuse est celle des professions. Il en résulte qu'il y a, à Paris, une quantité considérable d'artisans qui se donnent la mort. La proportion de cette catégorie est de près de la moitié des professions connues. M. de Boismont indique

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très-judicieusement les causes de ce fait lamentable la concentration de toutes les industries dans la capitale, l'attrait des salaires élevés, la concurrence qui amène à chaque instant des perturbations dans la main-d'œuvre, les privations de toute nature, la cherté des vivres, la mauvaise disposition des logements, la facilité des plaisirs, parmi lesquels la débauche et le vin ont une part considérable, l'ignorance ou le mépris des devoirs, les mauvaises lectures et les mauvais spectacles, l'exemple contagieux du vice, la vue continuelle du luxe, l'absence ou l'affaiblissement des principes moraux. Il y a beaucoup de vrai dans ces observations. Mais qu'on n'oublie pas aussi que la classe des artisans est de beaucoup la plus nombreuse, et que la proportion des suicides doit être en conséquence.

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Je ne m'arrêterai pas à des faits d'une importance secondaire, comme celui-ci, que le nombre des suicides augmente chaque année de janvier à juillet, et décroît progressivement d'août à décembre, ce qui s'explique par les influences de la température. Mais voici une singulière observation: les deux premiers jours de chaque mois offrent un chiffre plus élevé que les autres. C'est là une des singularités de la statistique dont une psychologie curieuse pourrait bien tirer quelques inductions, mais qui, en définitive, n'aboutirait à rien

de très-sérieux. Je me hâte d'arriver à quelque chose de plus caractéristique. Un triste résultat qui ressort des chiffres habilement interrogés par M. de Boismont, c'est que l'instruction entre pour beaucoup dans les éléments de la question. Il est vrai de dire, et M. de Boismont n'y a pas manqué, que cette instruction est souvent puisée à des sources malsaines, dans une littérature corruptrice, ou encore dans les publications violentes de l'esprit de parti, et que ces influences ne sont de nature ni à former le jugement ni à rectifier le sens moral. Elles agacent les âmes, elles prédisposent à la révolte contre la règle; le suicide n'est souvent qu'une des formes de cette révolte des intelligences aigries par le paradoxe ou des volontés irritées contre les maux inséparables de la société. Il n'en est pas moins douloureux de penser qu'à mesure que l'instruction s'étend, elle semble répandre avec elle l'idée du suicide, extrêmement rare parmi les populations ignorantes. Ayons le courage de voir le mal et de le signaler. Il est incontestable que la demi-science, non dirigée et soutenue par une forte éducation morale, propage les tentations dépravées de l'imagination, les désirs insensés, et, avec l'esprit de scepticisme, ledégoût de la vie pratique. Et le remède où est-il ? A Dieu ne plaise que nous le cherchions dans l'ignorance! Combattons la demi-science, toujours

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