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d'automne, célébrant sa fête par un immense sabbat qui lui rappelle, au moins pour une nuit, la gloire du temps passé. Mais vous êtes insensible, si vous ne donnez au moins une larme au sort de ce pauvre Jupiter, devenu l'unique habitant de l'Ile des Lapins. Quand il apprend de la bouche d'un jeune matelot que son beau temple de Grèce n'est plus qu'une ruine honteuse, habitée par les pourceaux, le vieux dieu s'affaisse et retombe sur son siége de pierre en pleurant comme un enfant. Son aigle fidèle et décharné pousse un cri terrible et les matelots s'enfuient épou

vantés.

Henri Heine excelle à rendre l'impression vive de ce paganisme populaire transformé en légendes. Il n'y a pas de conte d'Hoffmann qui surpasse en intérêt fantastique ces récits étranges où les réminiscences des âges poétiques se nuancent de sentiments tout contemporains. L'ensemble de ces deux inspirations, mêlées d'une main si habile en ses apparentes naïvetés, est d'un effet saisissant. C'est attrayant comme un conte, poétique comme la mythologie, et en même temps tout cela est animé de l'ironie la plus moderne et de l'esprit le plus personnel.

Nous disions plus haut, à propos de la Correspondance, qu'elle servait de démonstration éclatante à cette thèse à la fois littéraire et morale

sur les dangers de la personnalité, funeste conseillère du talent. Mais il faut s'entendre. J'ai voulu parler de cette personnalité inquiète, tracassière, préoccupée des petits intérêts de la vanité, se faisant centre de tout, reportant à soi la vie du monde entier, n'imaginant pas qu'il y ait de crime plus grand que de nier le droit divin de son génie, la légitimité de ses passions petites ou grandes, de ses vices mêmes, dont chacun a sa raison, sa nécessité, son emploi. Il y a beaucoup trop de cette personnalité dans les écrits comme dans les lettres de Henri Heine; tout cela est condamné à périr.

Mais il est une autre sorte de personnalité qui restera le caractère supérieur et distinctif de son talent. Il en avait le sentiment juste, bien que l'expression en fût exagérée, quand il opposait, dans une série de parallèles trop peu modestes, les tendances propres de son talent à celles du génie de Goethe. Sa raison esthétique, son sens critique si fin et si délicat ne le trompaient pas quand il soutenait que le principe de l'époque de Goethe, l'idée de l'art, s'en va; qu'avec un temps nouveau commence un principe nouveau.... que le monde objectif du beau, créé par la parole et par l'exemple de Goethe, le goethisme (Goethenthum) s'écroule sous l'invasion d'esprits nouveaux et va faire place au règne de la subjectivité pure... L'art et l'anti

quité, s'écrie-t-il fièrement, ne seront pas en état de refouler la nature et la jeunesse 1. » Il y a du vrai dans ces déclarations de Heine. Bien qu'il s'exagère son rôle et l'importance du mouvement qu'il a commencé, il est chef d'école; il a réagi puissamment par son exemple et par ses excitations aux poëtes contre la domination exclusive, devenue presque tyrannique de Goethe. Il a été maître lui aussi, initiateur et créateur; c'est du Livre des Chants et des Reisebilder que date, pour la poésie allemande, l'ère du lyrisme personnel, s'appliquant moins à reproduire exactement les formes plastiques de l'antiquité qu'à exprimer le mouvement et la vie de l'âme moderne avec ses inspirations libres et son accent original. Là est la durable grandeur de Heine. Il faut, pour la bien comprendre, distinguer nettement ces deux sortes de personnalités, l'une qui est un principe délétère pour le talent, l'autre qui le renouvelle et le vivifie; l'une qui n'est qu'une forme de l'égoïsme passionné, vaniteux, irritable, despotique; l'autre qui est une forme nouvelle, vraiment humaine et vivante de l'art; l'une qui ne voit que soi dans la nature; l'autre qui voit la nature en soi, qui sent la réalité dans chaque palpitation de son cœur, dans chaque mouvement de sa vie, et qui la traduit

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avec une note individuelle, dans toute sa sincérité et son indépendance. L'une est l'inspiration funeste de la vie et de la Correspondance de Heine; l'autre est le principe immortellement jeune de sa poésie, je dirai même de la poésie moderne dont il restera un des types les plus vrais et les plus vivants.

SIXIÈME ÉTUDE.

DES MOEURS LITTÉRAIRES

AU TEMPS PRÉSENT.

L'autre jour, en suivant d'illustres funérailles1, qui ont été presque un événement public dans ce Paris si frivole pourtant, si facilement oublieux et ingrat, je fus naturellement amené à réfléchir sur les destinées différentes des générations intellectuelles qui se sont succédé en France depuis un demi-siècle, à comparer les circonstances où elles se sont produites sur la scène et les rôles divers qu'elles ont été appelées à y remplir. Quand on voit disparaître un à un ces représentants d'un passé si récent encore, n'est-on pas tenté de croire qu'il y a comme une décroissance dans la race intellectuelle et que le siècle se découronne? Ce sont de grands ancêtres qui se retirent devant les générations nouvelles, sans que l'on puisse voir bien

1. Celles de M. Cousin. Écrit au mois de mars 1867.

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