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sien, dans Vincent de Beauvais, dans Césaire, la description de cette terrible maladie qui, à certaines époques, désolait les pieuses et savantes retraites où s'abritait la vie intellectuelle et morale de ces temps profondément troublés. Les écrivains ecclésiastiques donnèrent un nom grec à cette maladie, et l'appelèrent acedia. L'excès de cet ennui maladif conduisait droit au suicide, et c'est avec un frisson d'épouvante que les pieux chroniqueurs nous en citent quelques exemples douloureux. C'est une religieuse, d'un âge avancé, d'une vertu exemplaire, qui se sent tout à coup troublée par le mal de tristesse, et tourmentée de l'esprit de blasphème, de doute et d'incrédulité. Elle se croit damnée, se désespère et se précipite dans la Moselle, d'où on la retire vivante. C'est un frère convers qui se noie dans une heure de délire. C'est une religieuse séduite par les artifices magiques d'un moine, et qui, folle d'amour, incapable de résister à la tentation, veut sortir du couvent. On l'en empêche, elle se précipite dans un puits et meurt. C'est Baudoin, moine de Brunswick, qui, la tête affaiblie par les veilles et le travail, se pend à la corde de la cloche de son couvent. C'est un vieux moine, Héron, qui, troublé tout d'un coup par le démon de la tristesse, se noie. Ainsi, il y avait un sentiment plus fort que la doctrine même du christianisme, plus fort que la foi, plus

fort que l'espérance du salut, et qui, à certaines heures, signalait sa présence par de terribles victoires; c'était une insupportable tristesse, un incurable ennui. En vain certaines âmes, malades du dégoût de la vie, cherchaient au fond des asiles sacrés un refuge contre elles-mêmes. Toutes ne trouvaient pas la guérison dans le repos mystique de la contemplation et de la prière; plusieurs languissaient à l'écart dans de mortelles tristesses; quelques-unes souffraient jusqu'à aimer mieux mourir, et la foi vaincue cédait en frémissant à l'horrible joie de la mort. Qu'il fallait souffrir pour que, dans cet âge de la simplicité dans la foi, à l'ombre des tabernacles où résidait le Dieu vivant, la pensée du suicide triomphât de la crainte de l'enfer éternel! Qui nous redira le gémissement de ces pauvres âmes blessées à mort? Mais ces vieux murs mystiques ont gardé leur secret, et ce n'est qu'avec peine qu'on peut suivre à la trace du sang ces histoires ensevelies dans le passé.

En dépit de l'acedia et de ses ravages, en dépit de l'hallucination démoniaque qui fit tant de victimes pendant le moyen âge, il faut bien dire qu'en somme, sous la loi chrétienne, le suicide est rare, surtout dans ces temps où la croyance était naïve et forte, la vie laborieuse, la souffrance réelle, la lutte quotidienne contre la famine, la peste, les maux de la guerre. Ce qui montre, mieux que toute autre

preuve, que ces faits sont rares, c'est qu'ils ont frappé l'imagination contemporaine d'une sorte de frayeur mystérieuse. Chaque suicide est pour les chroniqueurs le crime inexpiable de Judas. Le récit ne s'en fait qu'avec une pieuse horreur. On peut dire que le moyen âge est comme un point d'arrêt dans l'histoire du suicide.

Pendant toute cette époque où le dogme chrétien règne sans conteste sur les consciences, la mort volontaire apparaît encore de temps à autre; mais ce n'est plus comme autrefois une doctrine, c'est une révolte contre la règle acceptée. Quand vint le protestantisme, il eut de nouvelles condamnations contre le suicide. Luther déclare formellement que Dieu est le maître unique, absolu, de la vie et de la mort. Calvin et Théodore de Bèze ne sont pas moins explicites. On connaît cette lettre admirable de Jane Grey au docteur Aylmers, écrite la veille de sa mort, et dans laquelle cette pauvre reine de neuf jours, cette femme, presque un enfant, raconte quel pieux raisonnement elle opposa aux tentatives de son fidèle serviteur Asham, qui voulait la soustraire par le poison aux ignominies du dernier supplice, et qui l'excitait à la mort volontaire en lui proposant les exemples antiques. « Les anciens, dit-elle, élevaient leur âme par la contemplation de leurs propres forces; les chrétiens ont un témoin, et c'est devant

lui qu'il faut vivre et mourir : les anciens voulaient glorifier la nature humaine, et mettaient au premier rang des vertus la mort qui soustrait au pouvoir des oppresseurs ; les chrétiens estiment davantage le dévouement qui nous soumet aux volontés de la Providence.» Ainsi pensait, ainsi mourut cette aimable et douce reine, qui a su émouvoir le cœur de la postérité par ce qu'il y a de plus touchant au monde, la grâce dans l'infortune.

Mais en face du catholicisme qui renouvelle ses arrêts, et du protestantisme qui proclame qu'à Dieu seul appartient le droit sur la vie, voici la Renaissance qui revendique les fiers priviléges du stoïcisme et renouvelle l'école philosophique du suicide. Le réveil éclatant des sciences et des lettres, l'admiration de la savante antiquité, la passion de l'imitation, le prestige des grands noms et des morts illustres, le goût renaissant pour le paganisme, l'ébranlement des croyances, voilà autant de causes énergiques qui contribuèrent puissamment à modifier les idées du moyen âge sur la mort volontaire. Alors se produisent de toutes parts des apologies philosophiques. Thomas Morus, dans son Utopie, admet, en certains cas, la légitimité du meurtre de soi-même. Un autre Anglais, Jean Donne, compose, sous la double inspiration de la Renaissance qui exalte son esprit et de la misère qui l'opprime, un livre intitulé « Suicide, démonstration de

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cette thèse l'homicide de soi-même n'est pas si naturellement un péché, qu'il ne puisse être vu autrement; dans laquelle la nature et l'étendue de toutes les lois qui semblent être violées par cet acte, sont soigneusement passées en revue. » En France, Montaigne est un apologiste enthou siaste de la mort stoïcienne, et il exprime sa sympathie décidée pour le trépas de Caton, qu'il glorifie à chaque instant, j'allais dire qu'il déifie. « Ce personnage-là, nous dit-il, feut véritablement un patron que nature choisit pour montrer où l'humaine vertu et fermeté pouvait atteindre..... Son trépas lui procura je ne sçay quelle esjouissance de l'âme, et une émotion de plaisir extraordinaire et d'une volupté virile. - Et ailleurs : « Le sçavoir mourir nous affranchit de toute subjection et contrainte.... La plus volontaire mort, c'est la plus belle. La vie despend de la volonté d'autruy, la mort de la nostre. En aucune chose, nous ne devons tant nous accommoder à nos humeurs qu'en celle-li. La réputation ne touche pas une telle entreprise, c'est folie d'en avoir respect. Le commun train de la guarison se conduit aux despens de la vie; on nous incise, on nous cauté rise, on nous destruit les membres, on nous soustrait l'aliment et le sang; un pas plus outre, nous voilà guaris tout à fait. Sur ce point, Montaigne, c'est Sénèque ressuscité dans la plus pure tradi

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