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plutôt à périr avec lui? La vérité est qu'autant il aima son fils, sur qui ses vœux et sa volonté appelaient la clémence de César, autant il envia à César la gloire de lui pardonner. - Nos adversaires ne veulent pas que nous préférions à Caton le saint homme Job, qui aima mieux souffrir dans sa chair les plus cruelles douleurs, que de s'en délivrer par la mort. Eh bien! prenons dans leurs propres livres l'exemple de Régulus. Vaincu après avoir été vainqueur, il aima mieux se résigner et rester captif, que s'affranchir et devenir meurtrier de lui-même. Inébranlable dans sa patience à subir le joug de Carthage, et dans sa fidélité à aimer Rome, il ne consentit pas plus à dérober son corps vaincu aux ennemis qu'à sa patrie son cœur invincible. Quelle leçon pour les chrétiens, adorateurs du vrai Dieu et amants de la céleste Patrie ! » Après cette réfutation vive et serrée du stoïcisme, saint Augustin passe en revue les différents prétextes que l'on peut alléguer en faveur de la mort volontaire. Une femme est en péril de subir les derniers outrages? Mais où réside la chasteté ? dans l'âme ou dans le corps? Évitera-t-on, par un crime certain, la faute incertaine d'un autre?— Si la mort volontaire était désirable comme un refuge contre le péché, vous seriez conduit à conseiller aux hommes de se donner la mort au moment où l'eau du baptême vient de les régénérer.

Un tel langage ne serait-il pas criminel? — On allègue l'exemple de quelques saints en certains cas où la foi nous assure qu'ils ont agi par une permission expresse du Créateur. Permis à celui qui sait qu'il est défendu d'attenter sur soi-même de se tuer, si c'est pour obéir à celui dont il n'est pas permis de mépriser les ordres; mais qu'il prenne garde que l'ordre ne soit pas douteux. Nous ne prétendons pas au jugement des choses cachées. Ce que nous disons, ce que nous affirmons, ce que nous approuvons en toutes manières, c'est que personne n'a le droit de se donner la mort, ni pour éviter les misères du temps, car il risque de tomber dans celles de l'éternité; ni à cause des péchés d'autrui, car, pour éviter un péché qui ne le souillait pas, il commence par se charger lui-même d'un péché qui lui est propre ; ni pour ses péchés passés, car s'il a péché, il a d'autant plus besoin de vivre pour faire pénitence; ni enfin, par le désir d'une vie meilleure, car il n'y a point de vie meilleure pour ceux qui sont coupables de leur mort..

Nous avons tenu à citer quelques traits de cette argumentation décisive, parce qu'elle rompt avec les doctrines antiques, et qu'elle fixe d'une manière définitive l'idée chrétienne sur le suicide.. Les conciles firent bientôt passer cette doctrine dans la législation canonique. Il faut suivre cette

curieuse histoire dans les savantes recherches de M. Bourquelot. Le concile d'Arles, en 452, déclare que la mort volontaire ne peut être que l'effet d'une fureur diabolique. Les conciles de Bragues, d'Auxerre, de Troyes, les instructions pastorales du pape Nicolas Ier refusent aux suicidés les prières de l'Église et la sépulture chrétienne. De la loi religieuse, ces sévérités passèrent dans les lois civiles du moyen âge, qui poursuivaient le crime du suicidé dans l'honneur et dans la fortune des familles, et faisaient ainsi survivre le châtiment au criminel.

Nous n'avons pas à poursuivre cet historique dans les détails. Ce que nous voulons marquer, ce sont les grandes influences religieuses, philosophiques ou sociales sur le suicide. Ce que nous voulons marquer, dans le cas spécial dont il s'agit, c'est l'autorité décisive du christianisme dans cette grande question, où la philosophie antique avait souvent erré. C'est par l'effet de l'enseignement chrétien que l'idée d'un crime s'est associée irrésistiblement à l'idée de la mort volontaire, et s'est emparée si fortement de la conscience moderne. Le christianisme parvint ainsi à rétablir le sentiment de la dignité de la vie dans les âmes, où ce sentiment s'était complétement perdu. Il apprit à l'homme à respecter en soi ce principe mystérieux de l'existence qui nous a été donné comme un in

strument non de volupté ou d'orgueil, mais de lutte salutaire et d'épreuve. La vie avait dès lors un grand but, le perfectionnement de l'âme, et l'âme elle-même, que la corruption romaine avait jetée en proie aux rêves les plus effrénés de la débauche, reprenait aux yeux de la raison chrétienne un prix infini, rachetée comme elle l'était par les souffrances, par la mort d'un Dieu. Tel était l'enseignement de l'Église, et il ne fallait pas moins que cette doctrine pour arrêter la tentation universelle du suicide dont le monde semblait possédé. Il fallut une législation rigoureuse pour changer violemment, à cet égard, les habitudes païennes, et ce ne fut pas une des moindres conquêtes du dogme nouveau, d'avoir ramené l'âme au respect de la vie, d'avoir réprimé cette fureur de l'homicide personnel, qui n'était qu'une des formes du mépris de l'humanité.

On se tromperait pourtant, si l'on supposait que ces prescriptions sévères, terribles de l'Église suffirent à supprimer complétement cette maladie dans les âmes. Une maladie morale, comme celle du suicide, peut être réprimée; elle ne disparaît jamais complétement, et laisse toujours sa trace dans le monde, parce qu'elle n'est que l'effet extrême des passions, et que tant qu'il y aura des passions, c'est-à-dire des hommes, il y aura des

désespoirs violents et des colères furieuses contre la vie. Grégoire de Tours nous rapporte avec horreur quelques traits de suicide, où il voit nonseulement l'inspiration, mais la main du démon. Il nous suffira de rappeler le désespoir de Mérovée, fils de Chilpéric, pris par les soldats de son père, et qui força son ami Gaïlen à le percer d'un coup de poignard. Citons encore le comte Palladius, qui, dépouillé de sa province et menacé de périr, fut pris d'une sorte de délire, et deux fois s'élança sur son épée.

Ce sont là des suicides politiques, guerriers, laïques, si je puis parler ainsi. Mais il est curieux et triste de voir la mort volontaire pénétrer jusqu'au sein des monastères et dans le sanctuaire de l'Église. La vie religieuse elle-même ne défendait pas de cette tentation certaines âmes inquiètes et malades. Le démon de la tristesse, si vigoureusement combattu par saint Chrysostome dans l'âme affaiblie de Stagyre', s'abattait de temps à autre sur de pauvres moines perdus au fond de leur cellule et ignorés du monde. Il faut lire dans Cas

1. Voir dans le Cours de littérature dramatique de M. SaintMarc Girardin, qui a touché avec une si délicate justesse à toutes ces questions, la profonde analyse de cette tristesse particulière, l'athumia, dont l'âme de Stagyre est possédée et qui n'est pas autre chose que le premier symptôme de la maladie moderne de Werther et de René. (Cours de Littérature dramatique, Ier vol., p. 93.)

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