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ble d'attendrir les pierres..... des sons douloureux, comme il ne pouvait en sortir que d'un sein qui renfermait en lui tout le martyre, toutes les tortures subies par un peuple depuis depuis dixhuit cents ans. C'était le râle d'une âme qui, mourante de fatigue, tombe devant les portes du ciel... Et je croyais connaître cette voix, il me semblait que je l'avais entendue un jour qu'elle s'écriait dans le même désespoir : « Jessica, mon enfant1 ! » Voilà une page qui rachète bien des enfantillages et des misères.

D'autres fois, l'apologie de la race juive et de son vice originel se présente sous une forme humoristique. Heine soutient que cette opulence tant reprochée au peuple d'Israël lui fait le plus grand honneur. C'est le témoignage visible de la pureté de sa foi dans un dieu invisible. Qu'arriva-t-il ? tandis que les aveugles païens, incapables de s'élever à l'Esprit pur, se faisaient toute espèce de dieux d'or et d'argent et gaspillaient ainsi les plus précieux métaux, que faisaient les juifs, bien avisés et récompensés de leur foi sublime par le vrai Dieu ? Ils convertissaient en numéraire tout l'or et l'argent qu'ils pouvaient trouver; ils le plaçaient soit à gros intérêts, soit dans les emprunts d'État d'Assyrie et de Babylone, dans les obligations

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1. De l'Angleterre. Jessica et Porcia.

de Nébukadnetzar, dans les actions de canaux égyptiens, dans le cinq pour cent de Sidon et autres valeurs classiques que le Seigneur a bénies, comme il a coutume aussi de bénir les valeurs modernes 1. »

Mélancoliques ou gaies, ces protestations révèlent l'idée fixe. Elle reparaît à chaque instant. La grande douleur juive devint ainsi la douleur particulière de Heine. Il ne faut pas trop s'en plaindre. Nous devons à cette circonstance de sa naissance quelques-unes de ses plus touchantes inspirations. Ce fut pour lui l'occasion de prendre quelque chose au sérieux dans la vie. Il sentit, même dans ses souffrances fictives, la souffrance historique d'une race. Il y eut là une source d'émotions viriles et saines, qui donnent parfois à sa poésie un accent inattendu de tendresse et de compassion. Bien que sa personnalité méfiante et blessée en soit généralement l'occasion, le sentiment de ce long martyre d'un peuple enlève alors sa pensée à ses préoccupations égoïstes et vaniteuses; il traduit, avec une véritable élévation morale et dans un langage magnifique, l'immense pitié qui s'est emparée de son cœur.

A un autre point de vue encore, il ne lui fut pas inutile d'être né israélite. De quelque manière

1. De tout un peu, p. 339.

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qu'on l'explique, il est un fait que l'histoire comparée des races a mis hors de doute, c'est que de toutes les races, la plus naturellement religieuse, la race monothéiste par excellence, c'est la race sémitique. Nous n'expliquerons cela ni par la conformation particulière du cerveau des Sémites, ni par cette proposition célèbre qu'ils ont vécu long+ temps dans le désert et que « le désert est monothéiste. Nous constatons le fait, voilà tout. Or, bien qu'il semble au premier abord paradoxal de rechercher l'élément religieux de la race à travers les plaisanteries immodérées et les blasphèmes dont est remplie la poésie de Heine, pour qui sait discerner les influences secrètes et les mouvements des âmes, il n'est pas douteux que de tous les poëtes contemporains, aucun n'a été plus intimement préoccupé de l'idée religieuse que ce poëte si souvent impie et révolté. Je dirai presque qu'il en est obsédé. C'est une lutte étrange entre l'instinct secret de la race qu'il porte en lui, et le doute qu'il a puisé dans les enseignements contradictoires de son temps comme de son propre cœur. Il raille, il blasphème; mais une force inconnue le ramène comme malgré lui à ce Dieu dont il ne peut secouer le joug, tout en le maudissant. Impiété sans doute, mais impiété irritée comme celle de Lucrèce, impiété lyrique, bien différente de l'athéisme scientifique, sec et froid comme toute négation qui se

croit sûre d'elle-même. Henri Heine n'est pas davantage ce pur hégélien, spectateur complaisant des tableaux variés de l'histoire qui ne sont pour lui que des évolutions nécessaires de l'idée, juge indulgent qui ne s'applique qu'à saisir la loi secrète de chaque phénomène historique, la raison d'être de chaque religion. Non; c'est de la colère qu'il a contre Dieu; il s'emporte, ne s'apercevant pas que la colère procède en une certaine manière de la croyance. On ne s'irrite pas contre des chimères. Tant qu'il reste de la passion dans une âme, c'est le signe qu'il y reste encore de la foi. — Pour tous ceux qui ont vécu dans l'intimité intellectuelle de Henri Heine, il est évident que l'idée toujours présente de Jéhovah est une des sources de son lyrisme. Elle est dans son sang; elle a coulé dans ses veines. Ses injures et ses défis sont une forme de cet instinct qu'il ne peut arracher de son cœur. Il a beau combattre et railler le dieu de sa race, « le Dieu transcendant de la foudre, » à certains accents profondément humains, troublés et tristes, on sent qu'il tremble parfois sous les coups qu'il ose défier. Le poëte juif a pu être un révolté, il n'a pu réussir à devenir un athée.

III

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Malgré tant de saillies du plus vif et du plus charmant esprit répandues dans chaque lettre, à tout propos et hors de propos, quelque chose fait de la Correspondance d'Henri Heine une lecture profondément triste. On y voit s'étaler au grand jour trop de misères morales. Oh! les poëtes! s'écrie quelque part Henri Heine, ne les observons jamais de trop près! Ils sont comme ces charmantes lumières qui, par les beaux soirs d'été, brillent d'un si vif éclat sur les gazons et le feuillage, qu'on les prendrait pour les étoiles de la terre.... On croirait que ce sont des diamants et des émeraudes, de précieux joyaux que les enfants d'un roi, jouant dans le jardin, ont suspendus aux haies et y ont oubliés.... On les prendrait pour des gouttes ignées du soleil, qui, perdues dans les hautes herbes, se reposent à la fraîcheur de la nuit, jusqu'à ce que, le matin revenu, l'astre de flamme les fasse remonter jusqu'à lui.... Hélas! ne cherchez pas de jour la trace de ces étoiles, de ces diamants, de ces gouttes de soleil! vous ne trouvez plus à leur place qu'un pauvre petit ver de terre, d'une laide couleur, qui rampe misérablement le long du che

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